La peur & l’empathie (1)

La peur, somme toute, se résume à une réponse devant une menace. Physiologiquement, il y a une réaction chimique qui se traduit par un geste de défense comme une gifle pour parer à la menace ou bien (et bien plus souvent) par une réaction de fuite devant la menace.
Ce que nous appelons peur n’est cependant pas aussi simple qu’il y paraît. Ce que la plupart nomme peur est en fait divisé en plusieurs systèmes de valence négative. La joie ou la contemplation du beau sont par exemple des états émotionnels de valence positive alors que la peur ou la tristesse sont des émotions à valence négative.
Parmi les systèmes à valence négative relatifs à la peur sont inclus entre autres la menace grave, la menace potentielle, la menace durable ainsi que le sentiment de perte (en effet, la peur de perdre quelque chose ou quelqu’un est une émotion à valence négative qui fait partie des peurs communes).

Beaucoup de personnes considèrent la peur comme une émotion, donc. Mais l’émotion est difficile à expliquer.
Imaginez un personnage qui ne sait rien des expériences humaines… celui-là même que vous venez de créer. Comment allez-vous vous y prendre pour lui permettre de distinguer la peur de toutes les autres émotions ? comme l’anxiété, par exemple.

Quelle est la différence entre la joie et la surprise, la colère et la frustration, la culpabilité et la honte ?
Qu’est-ce qu’une sensation ? Qu’est-ce qu’une émotion ?
S’il s’agit de réactions physiques comme le cœur qui s’accélère et qui mène à des types de comportements spécifiques comme de crier ou de se couvrir les yeux, quelles sont alors les réactions physiques qui correspondent à quels types de comportement ?

De plus, ces types de comportements spécifiques sont-ils vraiment universels ? Est-ce que être heureux, par exemple, est le même sentiment chez tous les êtres humains ? Ou bien y a-t-il un sens différent de ce sentiment selon les individus ?

Dans les années 1970, Paul Ekman identifia 6 expressions faciales communes et représentatives d’émotions spécifiques : la peur, la surprise, la colère, la joie, la tristesse et le dégoût.
La liste fut allongée par la suite avec les émotions suivantes : l’amusement, le mépris, la satisfaction ou le contentement, l’embarras, l’excitation, la culpabilité, la fierté, le soulagement, la sensualité et la honte.
Cependant, des recherches récentes (Erika Siegel et Lisa Feldman Barrett) ont démontré qu’on ne pouvait pas deviner l’état émotionnel d’un individu sur de simples symptômes physiques comme de suer, un cœur qui bat plus fort ou bien la température du corps.
Ce qui, en tant qu’auteur, nous laisse un peu en désarroi avec nos personnages nouvellement créés.
Mais ces études ont démontré aussi qu’il y avait une variété de comportements et de significations liés à une variété de réponses physiologiques dépendant des personnes, de l’époque et du lieu. Ce qui nous amène à la conclusion que la peur n’est pas ressentie ou du moins n’est pas la même selon les individus. Donc, deux personnages placés dans une situation identique ne pourront éprouver le même type de peur.

Sans entrer dans les détails techniques, tout organisme vivant (du drosophile à l’être humain) possède une réponse à la menace. Ce qui est intéressant alors est de comprendre que ce processus de réponse est capable d’identifier et de faire savoir à l’individu qu’un événement, une situation, une personne, une chose ou une simple impression sont connus de lui et qu’ainsi, l’individu est en sécurité.
L’expression Peur de l’inconnu peut alors prendre tout son sens et peut-être expliquer pourquoi la première attitude d’un personnage face à ce qu’il perçoit comme nouveau ou non familier est le rejet ou le refus.

D’autres études ont par ailleurs montré que de participer avec d’autres à quelque chose de nouveau et d’excitant menait à une expérience émotionnelle plus intense. Quelque que soit l’expérience, d’ailleurs : une frayeur, des images négatives ou positives étaient plus effrayantes, plus tristes ou rendaient les gens plus heureux lorsque ces expériences étaient vécues à plusieurs.
Cependant, l’impact de la présence d’autres personnages sur l’expérience émotionnelle que vous recherchez dans votre scène doit tenir compte de la fonction de ces autres personnages. En effet, s’ils offrent un support quelconque et quel que soit leur qualité (ami, amoureux ou même un étranger), ils peuvent diminuer l’impact émotionnel de l’expérience.
Dans le cas d’une situation terrifiante, leur présence peut donc atténuer l’effet de terreur recherché. Tout dépends de la motivation de cet autre : s’il agit auprès d’un personnage comme une bouée de sauvetage, vous allez atténuer l’horreur de l’expérience.
Pour que cette expérience soit effectivement terrifiante et que vous puissiez communiquer ce sentiment de terreur à votre lecteur (c’est le but recherché), il faut que tous les personnages qui participent à l’expérience que vous décrivez dans votre scène (sommairement, une situation) soient dans le même bateau.
C’est ainsi qu’une frayeur est beaucoup plus intense lorsqu’elle est vécue à plusieurs plutôt que par un seul individu.

Un autre point important est que nous apprécions vivre des expériences avec les autres non seulement pour le plaisir de nos propres réponses émotionnelles mais aussi parce qu’en observant une telle réponse chez autrui, il se crée une empathie et une connection.
En d’autres mots, nous mettons en branle les mêmes processus lorsque nous observons une expérience émotionnelle et lorsque nous vivons la même expérience. Nous sommes ainsi capable de comprendre ce que ressent quelqu’un simplement en l’observant. La personne observée communique les mêmes sentiments qu’elle éprouve. Il y a donc une connection entre un objet (la personne observée) et un sujet (celui ou celle qui observe).
Imaginez le potentiel que cela ouvre aux auteurs pour créer de l’identification chez leurs lecteurs. Bien entendu, lors de cette identification, c’est essentiellement la part affective que nous ressentons. On a une idée de ce que cela pourrait être lorsque l’on observe un personnage se couper le pied avec une scie sur un écran de cinéma mais on est incapable de ressentir physiquement, dans notre chair, cette expérience.

L’empathie est donc de l’ordre de la représentation et cette représentation agit comme un miroir. Des études menées sur des singes ont démontrées qu’il existait une classe de neurones qui étaient actives non seulement lorsque le singe accomplissait une tâche mais aussi lorsqu’il observait un autre singe faire la même tâche. Certains y ont vu la base neurologique de l’empathie.
Ces études ont par aileurs largement été critiquées par des chercheurs tels que James Kilner et Roger Lemon qui ont démontré qu’il y avait plus de questions que de réponses avec ces neurones qui agissait comme un miroir. Il s’agirait davantage de notre habileté à reproduire des expressions et des gestes et aurait peu de rapport avec l’empathie.