Strategies dramatiques du court-metrage

Par William Potillion @scenarmag

Vous avez une idée de court-métrage et déjà un problème : comment dramatiser cette idée (c’est-à-dire en faire une histoire) et lui donner la forme d’un script.
Quelque chose dans cette idée vous a atteint sur un plan émotionnel, ce n’est pas un simple caprice, cette idée vous hante littéralement. Du scénario au court-métrage, vous souhaitez partager ce qui n’était au départ qu’une idée.

Ecrire une histoire, c’est non seulement un partage mais cela est surtout une demande d’abandon. En effet, qu’il soit lecteur ou spectateur, un individu s’abandonnera dans l’univers de votre fiction tout le temps de celle-ci et parfois même un peu plus.
Il est naturel que vous ayez de vraies motivations à vouloir transformer une idée en une histoire dramatique.

L’idée

Comme toujours dans les processus créatifs et en particulier dans celui qui consiste à développer une idée en une histoire dramatique, il faut se poser quelques questions dont les réponses vous orienteront dans telle ou telle direction.

Considérons que votre idée vous est venue d’une simple observation. Une jeune fille avec un sac à dos arpentant les rues hivernales d’une petite ville.
Est-ce que cela implique qu’elle se rend au collège ?
Et dans ce cas, est-ce que l’histoire pourrait parler des événements qui vont se produire ce jour particulier dans ce collège ?
Ou bien ne pourriez-vous pas mettre l’accent sur la liberté de n’avoir que 16 ans et sans autre obligation que de rejoindre ses amis ?

Nous avons donc une idée (par définition plutôt confuse, mal délimitée) qui a germée de la simple observation d’une personne ou bien d’une image mentale que l’on a composée au gré de son inspiration du moment.
Reconsidérons l’idée de notre jeune fille et nous avons la sensation de cette jeunesse palpitante et nous avons envie d’écrire autour de cela. Ce sera l’idée de base. Il faut nous poser quelques autres questions sur d’autres notions ou des événements que nous pourrions illustrer pour décrire cette jeunesse.

Maintenant, il faut laisser votre idée respirer. Posez-la et déambuler autour d’elle. Comme vous cherchez une direction, autant aller dans toutes les directions qui vous viennent à l’esprit. Les jeunes filles aiment faire du lèche-vitrines, elles aiment rencontrer leurs amies, s’échanger leurs vêtements ou d’autres activités qui les rapprochent. Elles aiment commenter sur les garçons surtout entre amies, elles ont des goûts alimentaires précis et certaines fument ou se droguent.

Les options pour concevoir votre histoire sont presque illimitées. Si vous souhaitez vraiment dépeindre ce que c’est que d’être une jeune fille de 16 ans (et c’est votre idée de départ), vous pouvez exploiter n’importe quel dispositif dramatique pour mettre en avant votre point de vue. Vous pourriez par exemple illustrer le regard d’une jeune fille de 16 ans issue de la classe ouvrière et celui d’une autre jeune fille du même âge mais d’une condition sociale supérieure. Il ne s’agit pas de comparer les jeunes filles, ni d’opposer leurs regards respectifs mais de montrer ces regards sous leurs aspects positifs et négatifs et amener progressivement le lecteur vers votre point de vue sur ce que c’est que d’être une jeune fille de 16 ans (de nos jours ou de n’importe quelle époque que vous pourriez avoir envie de décrire).

Le genre

Après le développement de l’idée dans une certaine direction, la seconde préoccupation serait de déterminer comment vous allez raconter votre histoire ou plus précisément comment la raconter de votre point de vue.

Concernant le court-métrage, il est difficile d’adopter les mêmes genres que l’on retrouve dans des scripts de 90 ou 120 pages. En effet, les genres classiques ainsi que ceux que Blake Snyder a élaborés s’harmonisent mieux lorsqu’ils sont déployés dans un long-métrage.
Nous pouvons cependant définir quelques genres spécifiques au court-métrage ce qui devrait vous faciliter la mise en œuvre de votre histoire courte.

Le docudrame
Si la source de votre idée est l’actualité quotidienne, une personne réelle ou tout simplement connectée autant que possible à la réalité de la vie, le docudrame peut se révéler un cadre confortable pour l’y déployer.

La véracité des faits racontés dans un docudrame nécessite de votre part une recherche approfondie sur votre sujet. Vous avez besoin de personnages identifiables que l’on puisse reconnaître comme étant telle ou telle personnalité ou bien très proche de sorte que n’importe lequel de vos lecteurs puisse faire un rapprochement avec une personne de la vraie vie et d’événements qui renforceront votre histoire et lui donneront cette touche de crédibilité bien plus marquée que dans un drame classique.

Un des subterfuges le plus couramment utilisé est de copier le style des journaux télévisés. Tentez de teinter votre histoire avec la patine des reportages en direct ou plus scénarisés afin d’améliorer la crédibilité de votre histoire. C’est une fiction mais vous devez lui donner les atours de la réalité quotidienne et froide des faits. Ce que vous essayez de faire est de fournir un cadre à votre histoire comme si ce que vous racontez se soit réellement produit.
Inspirez-vous de :
Les hommes du président de William Goldman
David Holzman’s Diary de Jim McBride

Le faux documentaire
Le faux documentaire est une forme hybride. Il évoque la réalité des faits mais tente d’en rire. Le faux documentaire n’est pas une satire, il n’en a pas l’intensité. Il se contente d’apporter une critique douce sur le sujet, objet du faux documentaire.
Ce genre spécifique au court-métrage implique aussi une recherche sur le sujet afin de renforcer la crédibilité de l’histoire. Il vaut mieux savoir de quoi l’on parle avant d’en rire.

Il est important que le faux documentaire soit accepté rapidement par le public et que ses codes soient compris. Le faux documentaire ouvre une voie royale à l’humour et mieux celle-ci sera traitée, plus l’histoire aura du succès. D’ailleurs, si votre but est de raconter et de mettre en images une histoire humoristique, le faux documentaire se révélera un genre tout à fait naturel.

La comédie
Le faux documentaire est très proche de la comédie. Cependant, celle-ci a des codes très particuliers qui offrent d’autres options à l’auteur.
Si votre idée est toute orientée vers un personnage, déterminez les caractéristiques qui permettent des opportunités de rire de celui-ci. La comédie s’articule alors sur le personnage, il est le rouage qui permet de rire de lui et c’en est bien sûr l’intention.
Si votre approche est davantage comportementale, vous ne riez plus du personnage mais avec lui. Il s’agit alors d’un comique de situation.

La question que vous devriez vous poser avant de vous lancer dans le processus d’écriture du script est de savoir si la source comique de votre histoire (personnage ou situation) ne sape pas l’approche que vous souhaitez pour votre idée. Il faut que la comédie supporte cette idée.

Vous pourriez aussi examiner ce que l’humour ajoute à votre histoire. Indépendamment de sa nature à faire rire et donc attrayante, l’humour devrait ajouter de la signification à votre histoire.
Considérez un ballon rouge flottant dans les airs. Au début, il reste bien sagement aux ordres de l’enfant mais soudain, il se met à faire preuve de volonté, à prendre des décisions. L’impact est évidemment amusant mais ce n’est pas tout. Ce comportement du ballon l’humanise. A travers le comique de situation essentiellement visuel, le ballon devient le meilleur ami de l’enfant, un compagnon imaginaire. L’objet inanimé prend vie, l’humour a ce pouvoir.

La comédie aide une histoire dans le sens où elle lui apporte une énergie rare. Que ce soit une farce, qu’elle soit plus cérébrale, visuelle ou verbale, elle peut vous aider à inscrire votre histoire dans un cadre qui la renforcera.

La satire
La satire est une forme de la comédie en plus sauvage. L’intention de l’auteur est claire : ridiculiser le sujet de son histoire. Il faut tout de même se poser la question de savoir si ce sujet (l’objet de la dérision) mérite les efforts de l’auteur.

Il faut partir du principe que plus l’objet de la satire est important ou notoire et plus il sera le candidat idéal. Dans le cas contraire, la satire n’atteindra pas son but.
La satire est une exagération en tous points. Le réalisme y est joyeusement bafoué que ce soit par un humour excessif, des personnages aux traits de caractère forcés, des dialogues exubérants à la surenchère poussée et même l’histoire est une hyperbole bien sentie.

Quelques exemples :
– Les valeurs de la classe moyenne
L’âge d’or de Luis Bunuel
Working Girl de Lizzie Borden
– Une histoire honteuse qu’une communauté tente de dissimuler
The Nasty Girl de Michael Verheoven
– Le pouvoir immodéré des médias (en particulier la télévision)
Network de Paddy Chayefsky

La satire possède l’avantage puissant d’une écriture libre mais elle implique aussi certaines contraintes liées à l’échelle du sujet traité et au développement de l’idée de départ.

La fable
Si votre intention est de porter une leçon de morale ou de vie, la fable peut être un cadre efficace. Il est souvent associé à la fable la notion de merveilleux. Les mythes aussi sont souvent sollicités. L’anthropomorphisme est une technique très utilisée pour transmettre les leçons de morale ou de vie sous-jacentes.

Il sera plus facile de laisser choir la réalité et de vous orienter vers le merveilleux ou bien le fantastique (si votre histoire s’y prête mieux). La différence entre le merveilleux et le fantastique est que l’univers merveilleux possède un ordre normal des choses (les ogres et les fées sont des êtres logiques dans ce monde).
Le fantastique, quant à lui, adopte une normalité qui est notre quotidien. Le surnaturel pénètre ce quotidien par une sorte de fissure. Le fantastique est une intrusion dans notre réalité.

La mise en images d’une fable est souvent problématique mais pas impossible. L’ours de Gérard Brach, adapté du livre Le Grizzly de James Oliver Curwood (dirigé par Jean-Jacques Annaud) est un bon exemple.

La leçon de morale que vous envisagez doit être non seulement au centre de votre histoire mais aussi très forte dans son esprit. Gardez en tête que vous ne faites ni de propagande, ni un prêche. Si votre histoire peut supporter le poids de la morale qu’elle véhicule, cela vous ouvrira de nouvelles perspectives quant au développement des autres éléments dramatiques de votre histoire. Attention cependant, la fable recèle des embûches dans lesquelles vous risquez de vous empêtrer.

L’allégorie
L’allégorie (représentation d’une idée abstraite par du concret) permet à un auteur de prendre position sur un problème. L’allégorie tout comme la fable est souvent utilisée  pour offrir une leçon de vie ou de morale à ceux qui munis d’œillères sont incapables de prendre une nouvelle route.

Contrairement à la fable ou au merveilleux, il n’est pas question ici de mondes où les fées ou les elfes sont du domaine normal. Il est encore moins question d’anthropormorphisme. L’allégorie offre une créativité accrue par rapport à une recherche pure de réalisme mais il y a un risque que sa réception par le public ne soit pas à la hauteur des attentes de l’auteur.
Vous devriez prendre la mesure de cette allégorie et de ne pas succomber à une représentation trop simple. Prenez comme exemple à suivre la Psychomachie de Prudence qui se sert de l’allégorie pour décrire le combat des vices et des vertus qui se battent pour dominer l’âme humaine. Shakespeare aussi était passé maître dans l’art de l’allégorie.

L’allégorie offre les plus larges possibilités pour un auteur. Elle peut s’intéresser à tous les sujets, des plus futiles aux plus ambitieux. Ne confondez pas la futilité d’un sujet et la représentation que vous pouvez en faire lors d’une allégorie.
Des allégories magnifiques peuvent être issues de sujets banaux. En somme, c’est la qualité de l’allégorie qui compte.