Carol

Par Cinealain


Production Britannique, Américaine

est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2015

Rooney Mara reçoit le Prix d'interprétation féminine

ex æquo avec

Emmanuelle Bercot dans Mon Roi réalisé par Maïwenn

New York, en 1952, quelques jours avant Noël. C'est l'effervescence au rayon jouets où travaille la timide Therese . Une de ses passions réside à s'exercer à la photographie sans oser rêver à s'en faire une vocation.


À l'étincelle de la première rencontre succède rapidement un sentiment plus profond et les deux femmes se retrouvent bientôt prises au piège entre les conventions et leur attirance mutuelle.

Carol décrit avec force la période de transition que furent les années 50 au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. L'Amérique était marquée à la fois par un sentiment de paranoïa et par un certain optimisme. Tandis que ces années d'après-guerre préparent le terrain de bien des changements,
Patricia Highsmith écrit son deuxième roman, Carol publié en 1952 sous le pseudonyme de Claire Morgan, sur la liaison entretenue par deux femmes vivant à New York.

La scénariste
Phyllis Nagy a adapté le roman original afin que le réalisateur Todd Haynes puisse faire découvrir l'histoire de Carol au public d'aujourd'hui. Le cinéaste mourait d'envie de raconter la relation taboue de Therese et Carol avec un film qui capturerait le climat social des années 1950.

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c'est une histoire d'amour inattendue entre deux femmes d'âges et de milieux différents" explique Todd Haynes. "Therese, une jeune femme, la vingtaine, découvre la vie quand elle fait la rencontre de Carol, une femme plus âgée, de belle allure, mère d'une petite fille et en instance de divorce. Après leur coup de foudre, les deux femmes se retrouvent rapidement confrontées aux conventions et aux interdits de l'époque."

Le film montre une période durant laquelle la société se devait absolument de
"suivre un modèle unique", souligne Todd Haynes. Carol comprend combien son mariage avec Harge, riche banquier d'affaires, est source de frustrations. À l'image des doutes vécus par Carol, Therese paraît tout aussi perdue face aux sentiments de son petit ami, Richard, qui lui est entièrement dévoué.


" est une histoire d'amour qui dépeint la vérité comme l'ultime recours. Rester fidèle à qui vous êtes ne changera peut-être pas votre vie", confie Phyllis Nagy. Carol et Therese se sont toutes deux construites selon la norme : c'est ce qui va provoquer le tourbillon émotionnel qu'elles vont traverser.

La productrice
Elizabeth Karlsen a trouvé l'adaptation du roman par Phyllis Nagy très belle, "un vrai bijou de scénario". Les nombreux états amoureux émergent dans la souffrance de ces deux femmes qui trouvent le courage d'être elles-mêmes en avançant dans des territoires inconnus.


Todd Haynes propose un film sur une période particulière au cours de laquelle la société va, lentement mais sûrement, s'ouvrir à l'acceptation du désir homosexuel.

Cate Blanchett a d'abord été séduite par la puissance émotionnelle de l'histoire et par son audace puisqu'elle a été écrite dans les années 50. Elle avait déjà accepté de jouer le rôle de Carol Aird lorsque Todd Haynes s'est vu proposer de réaliser le film. L'actrice et le cinéaste avaient déjà travaillé ensemble sur le film inspiré de la vie de Bob Dylan,
I'm not there, aussi est-ce sans difficulté que Todd Haynes a imaginé l'actrice dans la peau d'une femme mûre et vulnérable, en instance de divorce, face à un changement majeur dans sa vie.

Attirée par les personnages complexes, Cate Blanchett avoue volontiers qu'il s'agit, pour une actrice,
"de rôles délicieux à interpréter". "C'est jouissif de travailler sur une adaptation d'un roman de Patricia Highsmith. La vie intérieure des personnages est d'une richesse extraordinaire et Highsmith a un talent fou pour démontrer que tout adulte porte en lui un secret qui lui est propre." L'actrice avait déjà évolué dans l'univers de la romancière dans Le talentueux Mr. Ripley et avait donc déjà une idée de la façon dont il lui faudrait aller à la rencontre de son personnage.


"Carol est une personne qui peut paraître distante, froide et introvertie, mais je crois qu'au moment de sa rencontre avec Therese, elle est en fait en train de s'écrouler. De son côté, Therese n'est à l'aise dans aucun des cercles qu'elle côtoie. Je crois donc qu'elles se retrouvent particulièrement troublées par l'intensité du lien qui très vite les unit."

Carol va s'avouer ses sentiments pour Therese et, comme Cate Blanchett aime à le souligner, éprouver la peur universelle qui va souvent de pair avec les débuts d'une relation amoureuse.

"Si Therese n'est que le produit de son âge et de son milieu, Carol, son aînée, risque davantage. Si elle succombe vraiment à cette attirance, elle se met bien plus en danger que cette fille beaucoup plus jeune qu'elle" explique Cate Blanchett. " Il y a chez Carol, une mélancolie, une nostalgie et un sentiment d'appréhension étrangers à Therese. "

Le mari de Carol, Harge, interprété par Kyle Chandler, représente ce qui est en jeu, alors qu'il la menace de lui faire perdre la garde de son enfant. La perspective de perdre sa fille effraie Carol, même si son coeur bat pour Therese.

Harge considère que cette nouvelle liaison de son épouse détruit non seulement son mariage mais aussi sa famille : "Mon personnage souhaite sauver l'apparence d'une famille idéale à laquelle il s'accroche. " précise Kyle Chandler.

Sarah Paulson incarne le rôle de la meilleure amie de Carol, Abby : "Dans l'esprit de Harge, Abby est aussi dangereuse car il sait qu'elle et Carol ont entretenu une liaison. Abby a conservé des sentiments forts pour Carol et Harge croit dans un premier temps que c'est elle qui provoque la fin de son mariage avant de découvrir l'existence de Therese. Devenue une confidente attentive, Abby essaie de préserver son amie alors que l'amour de Carol pour Therese s'affirme."

La relation entre Carol et Therese est une véritable histoire d'amour. Au coeur des années 50, le fait d'être lesbienne, amoureuse et décidée à vivre ses sentiments sans se cacher n'est pas une option dans la société américaine. Pour Rooney Mara, "À l'inverse de Carol, Therese n'a pas d'attaches. Elle est en pleine crise d'identité et cherche à savoir ce qu'elle attend de la vie. Sa rencontre avec Carol lui ouvre un champ de possibilités qu'elle n'imaginait pas vraiment. Son monde et sa vie vont s'en trouver transformés."

C'est un sentiment de solitude qui se dégage de la vie de Therese, que même son petit ami, Richard Semco, interprété par Jake Lacy, n'est pas en mesure de combler. Jake Lacy a été attiré par l'étude de moeurs des années 50 :
"Richard est a priori le compagnon idéal pour Therese. Un jeune homme du New York des années 50, en mesure de vivre pleinement le rêve américain. Prêt à gagner de l'argent, s'acheter une maison, avoir des enfants ; autant de projets qu'il souhaite réaliser avec Therese. S'il fait preuve d'un bel optimisme face à l'avenir, Richard va vite s'apercevoir que ce n'est pas lui mais Carol et elle seule qui peut combler le vide dans la vie de Therese."

Le film est tourné en Super 16 pour capter et restituer religieusement la texture des films en 35 mm de l'époque. Edward Lachman, est un fidèle directeur de la photographie pour Todd Haynes. La photo n'est jamais "flamboyante" mais restitue parfaitement l'ambiance du cinéma de ces années-là.

Il en va de même pour les costumes de Sandy Powell, qui avait magnifiquement habillé Julianne Moore dans le chef d'œuvre du réalisateur, Loin du paradis.

L'ensemble n'a rien d'un mélodrame, mais explore davantage la profondeur des sentiments. Ceux des amours considérés comme interdites. Un passage souligne ce point quand l'un des protagonistes tente de déchiffrer les sentiments au travers d'un film censuré par le code Hays.

Il est facile de se laisser emporter par les regards, d'être fasciné ou étouffé par la précision de chaque élément et la reconstitution parfaite de cette époque. Tant au niveau des décors que des costumes. La mise en scène suit ce raffinement sans s'autoriser le moindre dérapage. Le scénario, très linéaire, ne s'accorde aucun débordement. Il faut attendre la toute fin du film pour être bouleversé par le lien fort et magnifique qui unit les deux principales protagonistes.

La jolie Rooney Mara est convaincante dans ce rôle de jeune femme "qui ne sait pas dire non".

Cate Blanchett, prisonnière de ce masque social imposé par une vie qui n'est pas la sienne est resplendissante. Quand il sera question de l'avenir de sa fille, au cours d'une très courte scène forte et douloureuse, elle explosera, enfin.

Un souffle de vie, de fièvre et d'émotions auraient permis une adhésion totale.

Carol reste un beau film, un questionnement aussi, pour toutes celles et de tous ceux qui n'ont pas pu pour certains, oser pour d'autres, choisir la liberté pour vivre pleinement leur propre vie.