Corée du nord : le pays qui n’était pas là

Corée du nord : le pays qui n’était pas là

A l’occasion de la sortie de son nouveau livre, Corée du Nord : le pays qui n’était pas là, paru aux éditions Alexipharmaque, Denis Gorteau a accepté de répondre aux questions d’Une graine dans un pot.

Une graine dans un pot : Salut Denis, alors, après La Guerre en Irak est-elle finie ? dont nous avions déjà discuté dans ces lignes, tu t’attaques aujourd’hui à la Corée du Nord, pays très secret selon les dire de nos commentateurs et autres journalistes mainstream.

Denis Gorteau : Justement ! Ce sont les « experts » sur la Corée du Nord qui m’ont donné l’envie de vérifier leurs accusations. Si le pays est vraiment si cauchemardesque, j’étais en droit de savoir pourquoi. L’étude sérieuse du pays m’a emmené à nuancer ce constat… De plus, l’idée d’un pays sinistré et affamé collait mal avec le développement d’une technologie nucléaire et balistique. Même chose pour le caractère à la fois dynastique et communiste du pays. Néanmoins derrière toute légende noire, il y a des vérités.

Des relations compliquées avec le grand frère chinois

Thomas Waret : La Corée du Nord fait aujourd’hui la Une de nos médias après l’annonce d’un nouvel essai nucléaire. Ne me dis pas que Kim fait de la pub pour ton nouveau livre ?! Trêve de plaisanterie, pourquoi les dirigeants nord-coréens dépensent-ils le peu qu’ils ont dans un programme nucléaire ? Même au risque de se couper de la Chine et de la Russie ?

Denis Gorteau : En effet cette stratégie ultra-défensive peut paraître surprenante. Mais c’est notre regard de pays déjà nucléarisé et nullement menacé par ses voisins qui nous amène à penser ainsi. La Corée du Nord et sa population vivent encore dans le souvenir du colonialisme japonais et de la guerre de Corée. Deux épisodes de guerres civiles atroces. Pour eux, impossible d’exister sans une assurance-vie ultime. Seule l’arme atomique peut tenir en respect les États-Unis. L’invasion de l’Irak et l’intervention contre Kadhafi ne plaident pas en la faveur des Occidentaux.

Thomas Waret : Tu connais mes positions politiques, on en a souvent débattu ensemble, pour moi la Corée du Nord est l’un des derniers bastions d’états socialistes tels qu’ils existaient avant la défaite de l’Union soviétique à la fin des années 1980. Qu’en penses-tu ? Qu’est-ce que le Juche ?

Denis Gorteau : Formellement la Corée du Nord est un pays communiste-soviétique bien sûr, mais la réalité est plutôt celle d’une monarchie orientale… Une « noblesse » redistribue les richesses en échange de fidélités et gère le pays comme un fief acquis de haute lutte contre les puissances étrangères. Durant la guerre froide, le pays ne s’aligna jamais sur l’URSS et n’accepta aucunes bases étrangères soviétiques ou autres. De même le Parti du Travail de Corée (le Parti Communiste) ou même l’Assemblée Nationale ne pèsent pas, eu égard au complexe militaro-industriel et à la dynastie des Kim. Dans la culture asiatique, le pouvoir familial est courant en politique ou dans les grandes entreprises. Le juche (idéologie officielle depuis les années 60) ne peut pas être considérée comme un avatar du marxisme mais doit plutôt l’être comme un nationalisme où le peuple (et non la seule classe ouvrière) peut tout du moment qu’il est guidé par un « leader ». L’armée semble incarner cette fusion entre un généralissime et une nation indépendante. Là aussi il faut remonter chez nous à Bonaparte pour trouver quelque chose d’approchant.

Thomas Waret :  La Corée du Nord anime tous les fantasmes et nous avons le droit régulièrement en Occident à des scoops pour le moins douteux. Par exemple, l’histoire de la femme de Kim qu’il aurait fait assassinée suite à sa participation à un film classé X. Et pourtant sa femme est bien vivante… On pourrait multiplier les exemples. Qu’est-ce qui pousse, selon toi, les médias à fabriquer des faux aussi grossiers ? Surtout que la supercherie est souvent vite découverte pour qui s’intéresse un peu au sujet.

Denis Gorteau : Des officines anti-Corée du Nord (en Corée du Sud et ailleurs) travaillent à pourrir Pyongyang, cela dans le but de conserver en réserve un « méchant » comme jadis Khomeyni, Hussein, Kadhafi, etc. Bush colla d’ailleurs la Corée du Nord dans « l’axe du mal » entre l’Irak et l’Iran… Voilà pour la haute politique. Le tam-tam médiatique autour de la Corée du Nord relève plutôt de la quête de sensationnalisme, la Corée du Nord étant présentée comme un double inversé de nous-mêmes, un ressort classique pour faire du buzz entre deux attentats ou deux compétitions sportives.

Corée du nord : le pays qui n’était pas là

Comment un artiste nord-coréen voit la Corée du Nord dans le futur

Thomas Waret :  Comment imagines-tu la Corée du Nord dans l’avenir ?

Denis Gorteau : Difficile d’être catégorique mais la péninsule coréenne finira par se réunifier, c’est une nécessité historique voulue par les deux États. Il est évident que le « modèle » nord-coréen des années d’isolement est mort et enterré, les élites sont d’accord pour ouvrir le pays, seule façon de survivre et de moderniser le pays. Dans cette optique la Corée du Sud est un modèle. Pour la dynastie des Kim, l’enjeu est de rester au pouvoir. Va-t-on vers une situation « birmane », c’est à dire avec une armée intouchable et une démocratie sous contrôle ? Un modèle sino-viet avec un parti unique divisé en coteries régionales ? Un effondrement gorbatchévien où les élites se vendront aux plus offrants ? En tout cas, il faudra tenir compte de la volonté d’indépendance des Coréens et de leur succès technologiques (nucléaire, balistique, informatique…). Mais une partie de la réponse est aussi à Washington…

Thomas Waret :  Maintenant que tu as traité le Moyen-orient et la Corée du Nord, à quel coin du monde vas-tu t’intéresser ? Tu me parlais souvent de l’Érythrée, une sorte de Corée du Nord africaine si l’on en croit nos journalistes ?

Denis Gorteau : Oui, l’Érythrée est un bon exemple de pays confronté à des défis colossaux du fait de son histoire récente (une terrible guerre d’indépendance). Ou comment un régime fort, moderne et vertical tente de sortir son pays de la misère… pour le moment sans succès du fait de sa natalité et de ses erreurs. Ce n’est pas un hasard si la Corée du Nord est à moins de 2 enfants par famille et l’Érythrée à 4. Dans un pays peu nataliste, la violence et la guerre sont rares, cela explique entre autres la non dangerosité de la Corée du Nord.

Entretien réalisé par Thomas Waret pour Une Graine dans un Pot.