Chorus : les sources de la perte

Par Pulpmovies @Pulpmovies

Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs

Le jour où leur fils a disparu, un après-midi après l'école, la vie d'Irène et Christophe s'est brisée. Chacun de son côté a survécu à sa façon, lui au Mexique, elle en reprenant sa carrière au sein d'une chorale. Dix ans après, un appel de la police les amène à se retrouver...

Depuis combien de temps un film n'avait il pas cerné aussi exactement l'atrocité ? Chorus appartient à ces films qui ébranlent tout lorsqu'on les voit, on se rappelle que c'est pour ça que le cinéma existe. François Delisles fait battre deux coeurs aux choeurs différents dans une expérience de vie criante de vérité.

Comment l'épreuve d'un sentiment peut il délier tous les autres ? François Delisle ne filme pas l'effet salvateur d'une révélation, mais l'éclosion d'une coquille formée au fil du temps et de la souffrance. Une sphère tournant sur l'axe du deuil, où les personnages, paralysés par la douleur de la perte, sont habités consécutivement par la peur, le déni, la tristesse, puis l'acceptation. La rétention mélodramatique de Fanny Mallette permet une performance pudique qui explose parfois, traduisant à la perfection l'ascenseur émotionnel qu'est le deuil. François Delisle dit les choses sans demi mesure, parfaite impossibilité pour le spectateur de se détourner et doit faire face à l'émotion crue telle qu'elle est vécue par les victimes. La gravité du sujet évoquée dès la première scène d'entretien annonce la puissance créatrice d'image des mots qui va nous accompagner tout le film. C'est une expérience parallèle que vit le spectateur, qui reçoit la même quantité d'informations que les parents, et qui dès lors comprend la torture psychologique que ce manque de donné leur a imposé pendant dix ans. Il est parfois pire de devoir s'inventer une histoire.

Véritable esthète, François Delisle scelle la force de son oeuvre par une proposition formelle éloquente. Un contraste léger, où les nuances de gris prennent le pas sur le noir et blanc, créant un temps achronique. C'est ce flottement de la mort, qui confronte l'individu à son existence. Chaque individu est le fruit de son rapport à la mort. Le trou laissé par l'enfant les renvoie à leur propre condition de mortel, et chacun de leur geste est déterminé par le rapport qu'ils ont au drame. Comment vivre alors que nous sommes morts de l'intérieur ? En faisant preuve d'égoïsme. C'est le droit l'espace d'un instant de se considérer comme centre du monde, parce que ce que nous explique François Delisle c'est que perdre son enfant est une blessure narcissique. En jouant sur l'atmosphère claire, il ne fait pas un film tout noir. La mort ne leur a pas ôté toute capacité de vie. Le film débouche sur une grande psychanalyse collective au milieu d'un public en transe sous les airs d'un concert de rock, c'est un retour à un temps humain et charnel. Ils peuvent alors prétendre à être à nouveau englobés par le souffle de la vie.

La réussite de Chorus tient à cet affrontement d'un couple forcé de se retrouver suite à des années de séparation. François Delisle a le génie de prendre le chemin à contre sens, et de ne pas décrire la destruction des personnages suite à l'annonce du drame mais de leur donner le recul des années et d'assister à leur reconstruction. Les parents ont déjà intériorisé la crise, ainsi que le refrain des paroles du viol qui se répète sans cesse, un fétichisme qui émerge de ces situations et qui se répercutent sur les corps physiques. Il faut donner à voir cette incapacité d'un contact humain chez la mère, face à un corps endurci par la douleur chez le père, qui s'oublie dans les plaisirs charnels. Le film fonctionne selon ce principe de symétrie inversée entre les deux personnages : l'un a fuit alors que l'autre est resté à Montréal, l'un a retrouvé quelqu'un, l'autre est incapable de ressentir quoi que ce soit. L'absence de l'enfant a vidé le couple de son sens, il en était la pierre angulaire. La séparation était inéluctable, puisque ne restaient que les différences.

Sixième film du Réalisateur québécois François Delisle, Chorus est la juste note pour démarrer l'année.