De la plénitude au néant, il n'y a parfois qu'un pas, le temps d'un battement de paupière où tout ce qui donnait un sens à notre existence s'évanouit subitement. C'est sur ce postulat somme toute réaliste et tristement quotidien que The Leftovers fonde sa mythologie. A l'origine du projet, il y a un roman, écrit par Tom Perrotta lui-même, co-créateur donc de la série aux côtés de Damon Lindelof, revenu du succès planétaire de Lost : Les Disparus. Encensé par Stephen King qui le qualifiera de " meilleur épisode de La Quatrième Dimension jamais vu ", l'ouvrage charrie, à l'instar de l'oeuvre Kingienne, un ensemble de motifs, de visions qui le destine presque naturellement à être porté à l'écran. L'évidence s'est ainsi imposée auprès de Perrotta et Lindelof qui signent ici une adaptation à la fois idéalement pensée pour la télévision, en égrainant de façon habile chausses-trappes et retournements de situation, et à rebours du cynisme ambiant qui règne dans la majorité des programmes actuels. Alors qu'en est-il concrètement ? Le point de départ est d'une simplicité confondante. Un 14 octobre, 2 % de la population mondiale disparaît de la surface du globe. Aucune explication, le phénomène semble arbitraire, du moins pour les athées. Les croyants, eux, invoquent un châtiment divin. Dans une petite bourgade nommée Mapleton, plusieurs individus, dont le shérif Kevin Garvey ( Justin Theroux, incroyable de présence), se débattent pour comprendre et surmonter ce que certains interprètent déjà comme une apocalypse. Voilà comment s'amorce la série qui, au lieu de se contenter de son concept accrocheur, préfère explorer les tourments et les inquiétudes d'une poignée de personnages diversement frappés par ce " Ravissement ".
Le climat est donc résolument mélancolique, tant l'incompréhension que suscite l'étrange cataclysme génère à son tour amertume et désespoir. C'est en cela que réside toute l'ampleur émotionnelle de The Leftovers, qui parle de " ceux qui restent ", ces âmes esseulées, déchirées entre la tentation de l'oubli et la quête de vérité. Un dilemme insoluble qui assure à lui seul le suspense cathartique de la série. Dès lors, la lenteur apparente du récit n'est jamais source d'ennui, au contraire, elle profite à l'épaisseur dramatique des différents protagonistes et exacerbe l'empathie du spectateur à leur égard. Voir ces " survivants " feindre l'indifférence puis s'effondrer en larmes à la première évocation de leurs proches disparus, bouleverse au plus haut point. En résumé : se rappeler, c'est souffrir. Un principe incarné par une secte aux règles mystérieuses (ne pas parler, fumer abondamment...), qui se donne pour mission de raviver sans relâche le traumatisme afin d'empêcher quiconque de tourner la page. Cet ennemi à plusieurs têtes agit comme une sorte de boogeyman invulnérable, attendant sur le seuil des maisons avant d'y entrer avec l'arme la plus douloureuse qui soit, le " souvenir ". A titre d'exemples, citons l'une des scènes les plus poignantes de la série où Nora Durst ( Carrie Coon, renversante de bout en bout) reconnaît son mari et ses enfants, volatilisés comme tant d'autres, sous les traits de mannequins disposés secrètement chez elle. L'émotion culmine alors de façon exceptionnelle, soutenue par les violons échevelés de Max Richter, qui ajoutent au souffle lyrique et tragique de l'intrigue.
Mais la série ne serait pas aussi réussie si elle éludait la question de la croyance. Vers qui se tourner après ce qui est arrivé ? Comment réévaluer ses convictions les plus profondes ? The Leftovers s'empare du sujet avec une audace totale, venant contrarier notre besoin de tout rationaliser. Quand le shérif Garvey converse avec une morte ou atterrit dans un hôtel fantasmatique, le spectateur s'interroge forcément sur la nature de ce qu'il voit. Deux options possibles : la première, le personnage hallucine et sombre peu à peu dans la folie quant à la seconde, il ne rêve pas et découvre l'envers d'un monde bel et bien réel. Seulement, il n'y a pas à trancher. Perrotta et Lindelof envisagent la thèse psychologique et la thèse surnaturelle comme les faces opposées et pourtant solidaires d'une même pièce de monnaie. Athées et croyants sont ainsi renvoyés dos à dos, au gré d'un parcours qui leur enseigne l'humilité et l'amour. Au final, la seule vérité est à chercher en soi et chez les êtres qui nous sont chers. Un message d'un optimisme revigorant au coeur de cette odyssée dépressive dont on attend avec impatience la troisième et dernière saison.
Avec Justin Theroux, Carrie Coon, Amy Brenneman, Christopher Eccleston, Liv Tyler ...
Sortie en DVD/Blu-Ray le 7 Octobre 2015 (saison 1), et actuellement disponible en VOD et téléchargement légal (saisons 1 et 2).
- Un maelström émotionnel qui nous laisse bouche bée d'admiration.