La vengeance déchire les entrailles du protagoniste et le propulse dans l’action. Cette motivation est une obsession et doit être dépeinte comme quelque chose qui consume le personnage, qui l’enserre dans une urgence à agir. C’est en fait ce qui caractérise le mieux la vengeance.
La tradition grecque veut qu’un homme venge la mort de son frère. Tant que cette mort ne sera pas vengée, le mort ne trouvera pas le repos et est susceptible de créer le chaos depuis sa tombe.
De même, une victime si douce et si effacée de son vivant deviendra démon si le crime qui fut perpétré contre elle n’est pas vengé.
Il est donc du devoir du frère (ou un personnage assimilé au frère), ou de la victime elle-même (peut-être par le biais d’un personnage de substitution) de réclamer justice sous couvert de vengeance.
Le motif classique de la vengeance est celui d’un personnage à la recherche de la cause du crime (assassin ou autre) et de supprimer cette cause pour que la paix règne.
Une motivation ne peut à elle seule assurer la plénitude d’une histoire. Elle doit être épaulée par une motivation supplémentaire. Par exemple, un jeune homme prévoit d’émigrer aux Etats-Unis pour y rejoindre un oncle qui y est déjà installé. Seulement, malheureusement pour lui, ce jeune homme est assassiné par un homme qui usurpe son identité pour entrer clandestinement aux Etats-Unis.
Le frère de la victime, sans aucune nouvelle, décide de partir à sa recherche et s’embarque pour les Etats-Unis.
C’est ainsi que l’intrigue démarre sur une première motivation (rechercher et secourir) puis au fur et à mesure que le frère comprend que son frère a été assassiné par le méchant de l’histoire, sa seule motivation deviendra la vengeance.
Cette première motivation n’est pas véritablement une motivation mais davantage une nécessité qui permet ensuite de forger chez le personnage sa véritable motivation (celle qui le pousse à agir et qui fait avancer l’intrigue).
La vengeance doit être une obsession. Dans notre exemple, la recherche du frère disparu réponds à une angoisse, à un sentiment de perte douloureux qui incite le protagoniste à partir à sa recherche. Ce n’est que lorsqu’il découvre que le frère est mort que sa motivation incoercible de vengeance au cœur de l’histoire se fait jour.
Autre exemple mythique : Médée telle que la tragédie d’Euripide l’a dépeinte. Nous abordons ici le concept de la femme bafouée. Jason doit se remarier avec la fille du roi Créon et donc doit abandonner Médée. Furieuse d’être exilée, Médée empoisonne sa rivale et tue les enfants qu’elle a eu de Jason.
Cette fois, c’est le déshonneur qui sert de prologue à la motivation principale : la vengeance. Médée veut se venger de Jason et le pourquoi et le comment de cette vengeance sont complémentaires à l’essence de l’histoire qui porte sur la vengeance d’une femme bafouée.
Considérons Maîtresse du jeu de Alvin Boretz , John Nation , Sidney Sheldon et Paul Yurick. En 1883, James McGregor quitte son Ecosse natale pour l’Afrique du Sud décidé à faire fortune dans les mines de diamants. La jeunesse ose là où d’autres ont peur de marcher et James est un ambitieux jeune homme.
Seulement profitant de son inexpérience, un homme non seulement le gruge mais le laisse aussi pour mort. Devenu riche et puissant, James parviendra cependant à réduire cet homme à la pauvreté et à la honte. Nous avons donc ici deux motivations puissantes à l’œuvre : l’ambition et la vengeance et cette vengeance s’étend au-delà de l’homme puisque McGregor attrapera aussi dans ses rets vengeurs la fille de l’homme.
Notez aussi que la duperie anime l’homme et cet ajout parvient à renforcer la vengeance que James a nourrie de longues années.
Ce qu’il est intéressant de prendre en compte dans cet exemple est que l’ambition et la vengeance combinées offrent une double motivation ce qui constitue un moteur narratif encore plus puissant que si elles étaient prises séparément.
Le désir de vengeance est accompagné par un dérèglement de la personnalité du personnage car il suscite des émotions puissantes et des actions irrésistibles qui ne correspondent pas vraiment à la vraie nature du personnage. Mais cette quête est aussi pour le personnage un objectif puissant capable de justifier une intrigue forte. Sur un plan intime, l’accomplissement de cette vengeance pourrait permettre au personnage de découvrir des vérités sur lui-même ou de le mener à sa perte.
La fin de la trilogie se termine par le meurtre de Clytemnestre par son propre fils, Oreste qui voulait venger son père. Bien qu’il s’agisse d’une juste vengeance, Oreste fut assailli par les Erynies, divinités persécutrices qui obsèdent et tourmentent les coupables de crimes familiaux.
Cet exemple emprunté à Eschyle nous permet de comprendre que la vengeance emporte avec elle les graines de sa propre perpétuation, le crime engendrant le crime.
Agamemnon en route pour Troie sacrifie sa fille Iphigénie (ayant offensé la déesse Artémis, l’oracle révéla à Agamemnon que seul le sacrifice d’Iphigénie pouvait assouvir la vengeance de la déesse).
Clytemnestre nourrira alors une haine horrible envers son mari Agamemnon et avec l’aide d’Egisthe, son amant, le tua à son retour de Troie. Pour la petite histoire, Egisthe est le fils de Thyeste que Atrée, le père d’Agamemnon, força à manger la chair de ses propres enfants. Egisthe aurait été élevé afin d’assouvir la vengeance de Thyeste en tuant Atrée.
Oreste, le fils d’Agamemnon et de Clytemnestre tua alors sa mère et Egisthe pour venger son père. Et les Erynies (les Furies chez les romains) harcelèrent alors Oreste en représailles de son crime.
Eschyle avait compris qu’une histoire fondée sur la vengeance pouvait déployer une intrigue puissante avec laquelle le public s’identifierait aisément. De nombreux thèmes peuvent être développés avec une telle motivation tels que l’arrogance du pouvoir, l’honneur perdu, le désir de richesses et de position sociale, la droiture d’une justice simple…
L’accomplissement d’une vengeance est un excellent moteur narratif. Eschyle a traité de thèmes universels tels que l’amour et la haine, la vie et la mort et l’essentielle soumission de l’homme à une volonté supérieure.
Mais la vengeance a aussi un prix. Nul mortel ne peut assouvir sa vengeance sans en payer le prix. Souvenez-vous du Capitaine Ahab, un homme possédé par la vengeance. Son combat contre Moby Dick est un témoignage de son désir d’effacer une vieille cicatrice, stigmate de sa propre faillibilité. Et il le paiera de sa vie.
La vengeance qu’a recherché Ahab avec tant de passion n’a mené à rien. C’est le même message qu’Eschyle a envoyé en son temps : la vengeance est l’apanage des dieux. Elle ne conduit le mortel qu’à sa perte.
La vengeance est mienne.
A lire :
QUESTIONS D’INTRIGUE