Le Festival Telerama commence aujourd’hui, c’est le moment de voir ou revoir les films Art et essai qui ont marqué 2015:
Mia madre de Nanni Moretti (2015-1h47)
Quatre ans après Habemus Papam, et bien après La Chambre du fils, Nanni Moretti s’intéresse à nouveau au thème du deuil. Une réalisatrice en cours de tournage, Margherita (Margherita Buy) et son frère Giovanni (Nanni Moretti) se relaient au chevet de leur mère, atteinte d’une maladie cardiaque.
On connaît Nanni Moretti comme un cinéaste engagé et un cinéaste de l’intime, Habitué à jouer le rôle principal dans ses films, il le laisse ici à une femme (plus précisément à des femmes, puisqu’il filme trois générations de femmes), qui semble être son alter-ego à l’écran. Coup de maître du metteur en scène, se placer en retrait, dans le rôle de ce frère discret et calme.
A quelle frontière sommes-nous de la vie personnelle du réalisateur, à quel genre avons-nous à faire ?
Nanni Moretti sait manier les genres. Il navigue entre émotion et humour, intime et universel. Il sait mieux que personne filmer la vie et ses combats à la fois du point de vue intime et du point de vue collectif. D’un sujet triste et dur, il fait un film émouvant, vivant et surtout très drôle (notamment lors de cette prise maintes fois recommencée où la star est incapable d’être un tant soit peu naturelle au volant d’une voiture, ou quand toute l’équipe est suspendue à deux petites répliques que Turturro rate immanquablement). La scène, déjà culte, où Turturro danse et se déhanche avec toute l’équipe du film est un véritable moment de respiration, un moment de vie très fort, juste avant l’annonce de la dure nouvelle que Giovanni et Margherita vont devoir bientôt apprendre.
La construction du film est minutieusement organisée laissant pourtant une impression générale d’évidence et de fluidité, les événements s’enchainent sans heurt, naturellement, comme dans la vie.
Les temporalités sont mélangées. Dans plusieurs scènes on ne sait trop s’il s’agit d’un rêve ou de la réalité, on se retrouve dans la pensée du personnage, flottant entre rêves, angoisses ou souvenirs, les trois se mêlant.
Les personnages sont tous un peu égoïstes, préoccupés d’eux-mêmes, ils ont du mal à communiquer et à rendre heureux ceux qu’ils aiment. Giovanni et Margherita sont en concurrence pour
savoir qui est le plus présent auprès de leur mère dans ses derniers instants. Pourtant c’est cette épreuve qui les rapproche et leur permet de se connaître, de se parler. Margherita refuse d’avouer
qu’elle ne va pas bien comme elle se refuse à comprendre que sa mère va mourir. Sur le tournage, elle est obsédée par l’idée que les acteurs sur-jouent et « font semblant ». N’est-ce pas d’elle-même qu’elle parle en poursuivant cette idée fixe ? Elle leur dit : « l’acteur doit rester à côté de son personnage », une phrase que personne ne comprend et qui inconsciemment reflète bien sa position.
Parviendra-t-elle à se sentir à la hauteur, dans son travail comme dans sa famille ?
Le film a été annoncé comme un chef-d’œuvre par les critiques après sa projection à Cannes (sélection officielle du festival) et salué par le public à sa sortie. Moretti n’a rien perdu de son mordant, de sa sensibilité et de sa maîtrise. Un bémol : le méta-cinéma semble atteindre cette fois ses limites. On se lasse. On préférait l’auteur dans ses autofictions assumées. Heureusement la beauté des émotions, la subtilité des dialogues et de la mise en scène tirent l’ensemble vers le haut.
Alexandra Le Moëne.