Les chevaliers blancs

Par Cinealain

Bintou Rimtobaye, Jean-Henri Compère, Philippe Rebbot,

Stéphane Bissot, Yannick Renier, Catherine Salée

Depuis ses débuts, la carrière de Joachim Lafosse se développe au rythme des festivals internationaux qui retiennent régulièrement ses œuvres. Ses deux premiers longs, Ce dernier est retenu par la Quinzaine des Réalisateurs, et en 2012, Folie Privée et Ça rend heureux, sont sélectionnés au Festival de Locarno. Son troisième film, À perdre la raison met en scène la véritable histoire d'une mère poussée à l'infanticide. Un rôle qui vaut à Emilie Dequenne le Prix d'interprétation dans la sélection Un certain regard au Festival de Cannes 2012. Nue Propriété], est en compétition à Venise. Le suivant, Élève Libre, explore les enfers pavés d'honnêtes intentions; un thème qui passionne le réalisateur .

Les Chevaliers Blancs seront finalement dévoilés au Festival de Toronto

C'est donc un nouveau rendez-vous de prestige qui vient enrichir le palmarès de Lafosse. Le festival de Toronto est considéré l'un des plus importants festivals au monde, notamment grâce à son ouverture sur le marché nord-américain. Il est aussi souvent la première étape d'une carrière internationale dans de nombreux festivals.

Sources Aurore Engelen pour cineuropa.org

Au Festival de San Sebastian 2015
Joachim Lafosse reçoit le Prix du meilleur réalisateur p our Les Chevaliers blancs

Le film est librement adapté de Sarkozy dans l'avion ? Les zozos de la Françafrique
de François-Xavier Pinte et Geoffroy d'Ursel

Entouré d'une équipe de bénévoles dévoués à sa cause, il a un mois pour trouver les trois cents enfants en bas âge et les ramener en France.

our réussir, il doit persuader ses interlocuteurs africains et les chefs de village qu'il va installer un orphelinat et assurer un avenir sur place à ces jeunes victimes de guerre, dissimulant le but ultime de son expédition...

Totalement immergés dans la réalité brutale d'un pays en guerre, Jacques et son équipe perdent peu à peu leur sens critique et deviennent complices d'un fiasco humanitaire...

Entretien avec le réalisateur, scénariste Joachim Lafosse,

Après deux huis-clos, j'avais envie d'un film plus ouvert, l'affaire de l'
Arche de Zoé m'a offert l'opportunité d'aborder un nouveau genre tout en posant à nouveau la question complexe du droit d'ingérence et de la limite entre bien et mal. Cette affaire est un outil de fiction magnifique.


Les chevaliers blancs s'inspire de l'affaire de l'Arche de Zoé, ce groupe d'humanitaires qui voulaient faire adopter par des familles françaises des "orphelins". Comme dans Élève libre et À perdre la raison , il y est à nouveau question d'une manipulation exercée au nom du bien.


La fidélité au réel n'est en aucun cas ma priorité. Avec , je souhaite me ranger du côté d'Africains qui ignorent tout des intentions réelles des humanitaires Français. Il leur est dit que des orphelins vont être pris en charge dans un dispensaire jusqu'à l'âge de 15 ans, qu'ils y seront nourris, logés et instruits...et ils y croient. Certains finissent même par déposer leurs propres enfants avec l'intention louable de les mettre en sécurité et de les sauver de la misère. Dictée par la nécessité, leur attitude n'est pas comparable à celle des prétendus professionnels de l'humanitaire, dont le projet est d'exfiltrer ces enfants africains au nom du désir d'adoption de familles françaises, partant du principe que leur avenir sera meilleur en France que dans leur pays dévasté par la guerre.

Vincent est le père, le frère ou l'ami qu'on rêverait tous d'avoir. On le voit comme un type franc, politiquement engagé. C'est un honnête homme. Seul un comédien de cette dimension, de son charme, de sa capacité de séduction, pouvait interpréter Jacques Arnault : comment expliquer autrement qu'un simple pompier réussisse à lever 600 000 euros et à convaincre toute une équipe de partir en Afrique monter un projet pareil sans choisir un acteur possédant ces qualités ? Jacques Arnault est un magnifique personnage, car il contient toutes les contradictions de l'occidental généreux, mais allant jusqu'à abuser de sa
"bonne foi" pour sauver le monde, son monde.

Vincent amène au personnage la dimension nécessaire à notre adhésion : il n'est pas intéressé, il est généreux et s'il a dérapé vers une action moralement inacceptable, c'est de manière inconsciente.
"Sauver les enfants" suffit à justifier pour lui ses mensonges et la réalité : il enlève des enfants. À la différence de Laura - Louise Bourgoin, sa compagne, qui a foi en sa mission - elle pourrait sortir des Justes, d'Albert Camus -, le personnage d'Arnault n'est au bout du compte que dans la croyance de lui-même. Le sacré, c'est lui ; la loi, c'est lui. Je n'y serais pas parvenu sans Vincent Lindon.
Il m'a offert son intelligence. À chaque plan, chaque séquence, il m'a donné la possibilité de nous remettre en question. Il était animé par le même désir de cinéma et prêt à partager avec moi toutes les incertitudes liées à la création. C'était parfois éprouvant, mais c'est ce qui constitue le bonheur d'une rencontre. Il ne faut pas croire que le réalisateur soit le seul détenteur du savoir sur un plateau. Sur mes tournages, j'ai de plus en plus tendance à communiquer mes doutes aux comédiens. Cela commence par les effrayer, puis tout le monde se met au travail et commence à faire des propositions. Je deviens le type avec qui l'on cherche.

C'est toujours en son nom qu'on écarte les questions essentielles ; celle de la justesse du droit d'ingérence en est une. Quel désir anime vraiment les occidentaux qui agissent au nom de l'humanitaire, de la démocratie ? Sans généraliser - car certains ne se situent heureusement pas dans ce schéma - il peut n'y avoir pas loin d'une tendance au néocolonialisme chez certains humanitaires. À leur manière ce sont des terroristes de la bien-pensance ! Jacques Arnault, le personnage principal, ne porte pas la loi : il la fait, il décide de ce qui est légal et de ce qui ne l'est pas, au mépris du politique, du débat, de l'acceptation du tiers et du principe de réalité. On en revient à la question du droit d'ingérence : d'une certaine manière, Jacques Arnault s'en fait le bras armé et l'applique à la lettre. Or, appliqué à la lettre, ce discours ne fonctionne pas : on ne peut pas aller aider les gens malgré eux. Il est d'ailleurs frappant de voir à quel point les idéologues du droit d'ingérence ont été embarrassés par cette affaire. Il était sans doute plus facile pour eux de la classer en qualifiant ses auteurs de
"zozos", alors qu'ils sont peut-être l'incarnation jusqu'au boutiste du fantasme de l'ingérence.

Ces parents sont tellement aveuglés par leurs difficultés d'avoir accès à l'adoption, qu'ils en oublient d'interroger les transgressions de l'opération. Au risque de déplaire, je pense que c'est une très bonne chose que la législation rende l'adoption aussi difficile. Ce n'est pas parce qu'un pays interdit l'adoption internationale qu'on peut décider d'exfiltrer des orphelins au travers d'une mission
"humanitaire".

Il y a, au début du film, une scène assez hallucinante où l'on entend les bénévoles, tout juste arrivés au camp, entonner devant un feu de camp la chanson de Julien Clerc, Ce n'est rien. Le décalage avec ce qui se trame est stupéfiant.

J'aime cette chanson parce qu'elle représente à la fois l'horreur du déni et l'aspect magnifique du pardon. Mais jusqu'où peut-on prétendre que
"ce n'est rien" ? Beaucoup d'humanitaires m'ont raconté, qu'arrivés sur le terrain, vient toujours un moment où ils en appellent à cette expression, où ils sont obligés d'oublier de penser. Évidemment, moi, je suis un grand lâche, je suis incapable d'aller sur le terrain, je ne sauve personne, je fais de la fiction.


Il est plus proche de la vie que du fantasme. Il sait la complexité du monde. Il n'est pas manichéen, pour lui tout n'est pas blanc ou noir... Supposée être un témoin moral impartial, Françoise, la journaliste, jouée par Valérie Donzelli, ne fait, à l'inverse, que renvoyer des messages contradictoires. Partie pour informer, le personnage de Françoise est dépassé par ses émotions. Elle perd son sens critique et laisse ses affects l'emporter sur sa raison. Elle incarne à mes yeux la difficile question morale que doivent vivre les journalistes témoins de situations dramatiques.


Les chevaliers blancs est également votre premier film de groupe. Dirige-t-on différemment lorsqu'on a affaire à une équipe de 50 personnes auxquelles viennent s'ajouter une centaine de figurants et 60 enfants ?

"Le thème de l'enfer pavé de bonnes intentions" passionne le réalisateur. En s'emparant d'un monstrueux et douloureux fait divers, il déclare "mes films sont d'abord le reflet de mes obsessions."

Dans celui-ci, le scénario se range du côté des Africains qui semblent tout ignorer des intentions de la prétendue ONG. Parfois filmé d'une façon quasi documentaire, le film décolle vraiment grâce à un casting remarquable.

Yannick Renier, méconnaissable, dans le rôle de celui qui "refuse d'aller dans le mur". Reda Kateb, Philippe Rebot mais aussi Valérie Donzelli dans la peau d'une journaliste qui découvrira rapidement le sens véritable de cette expédition, avant de sombrer, elle aussi, dans un affect compréhensible sont tous parfaits.

Louis Bourgouin incarne l'une des principales instigatrices de cette "opération". Ses sourires, tels le venin, sont le parfait reflet de cette femme machiavélique. Vincent Lindon excelle une fois encore. Il est à la fois le salaud parfait sans être dénué d'une certaine humanité.

Grâce à ces enfants, ces femmes et ces hommes Tchadiens qui accompagnent les acteurs, l'immersion est totale. Douloureuse, aussi.