Les histoires avec un thème puissant, bien exposé, sont non seulement très bien considérées et peuvent être aussi très populaires.John Truby déclare qu’une bonne histoire n’est pas simplement une séquence d’événements ou des rebondissements conçus dans le seul but de distraire. C’est aussi et surtout une séquence d’actions aux implications morales conçues pour exprimer un thème bien plus grand.
Le thème est un élément dramatique difficile à définir. Ce n’est pas le sujet non plus. Il y a un sujet et sous ce sujet, il y a un thème. Enfin, parfois le thème et le sujet se chevauchent. Considérons la love story. Le point central est l’amour véritable. Ici, le thème et le sujet sont l’amour. Thème et sujet sont confondus.
Maintenant, retenons comme définition du sujet que celui-ci est en rapport avec la thématique globale de l’histoire ; alors, le thème serait une variation de cette thématique. Prenons Un chant de Noël de Charles Dickens. La thématique est à propos de Noël mais le thème est la bienfaisance et la générosité. Il est le point de vue de l’auteur sur une manière d’être ou d’agir dans le monde.
John Truby retient cette seconde définition du thème et du sujet. Il ajoute que le thème est parfois catégorisé comme le sont les genres (pas ceux de Blake Snyder s’entend) et que l’on parle alors d’un thème moral, psychologique ou social avec comme exemples la mort, l’éternel bien contre le mal, la rédemption, la lutte des classes, la corruption, la responsabilité et bien entendu l’amour.
Lorsque vous montrez un personnage qui trouvera des moyens pour atteindre un but, vous présentez en fait une situation délicate, difficile ou compliquée dans laquelle vous allez explorer ce que serait l’action juste et vous énoncerez ainsi un argument moral sur la meilleure façon d’être, sur le bon choix de vie, selon votre point de vue.
Une histoire est un tout, un système, composé d’éléments qui fonctionnent ensemble. Ces éléments (personnage, intrigue, thème…) sont eux-mêmes des sous-ensembles. John Truby aime bien comparer ces systèmes au corps humain : le personnage est le cœur de l’histoire ; la structure est le squelette (elle maintient les autres éléments dramatiques en place). Quant au thème, il est le cerveau de l’histoire. Avec une telle métaphore, il est certain que le thème dirige l’histoire mais il doit cependant se montrer discret car vous n’écrivez pas une thèse, ni une propagande.
Certes, des formes tellles que le drame, l’allégorie, l’ironie, la religion se prêtent particulièrement bien à ce que le thème soit maître-d’œuvre de l’histoire. Mais qu’est-ce qu’un thème à part une éthique, un point de vue moral qu’on cherche à faire partager en décrivant la complexité et les contradictions d’une situation morale.
Il est préférable de prendre un exemple pour qu’on comprenne bien ce que nous entendons ou du moins que l’on soit plus ou moins d’accord sur ce que peut être dans notre esprit une situation morale.
Considérons un dilemme moral célèbre :
En 1842, un navire heurte un iceberg. 30 survivants s’entassent dans une chaloupe qui ne peut contenir que 7 personnes. Alors qu’une tempête approche, il devient évident que le canot de sauvetage doit être allégé si au moins quelqu’un doit survivre. Le capitaine fort logiquement conclut que dans une telle situation, la bonne chose à faire est de forcer certains des survivants à passer par-dessus bord et se noyer. Une telle action, raisonne-t-il, n’est pas injuste envers ceux jetés par-dessus bord, car de toutes façons, ils se seraient noyés.
S’il ne fait rien, cependant, il sera responsable de la mort de ceux qu’il aurait pu sauvés. Certaines personnes s’opposent à la décision du capitaine. Ils allèguent que si rien n’est fait et que tout le monde meurt en conséquence, personne ne sera tenu pour responsable de ces morts. Par ailleurs, si le capitaine tente d’en sauver quelques-uns, il ne peut le faire qu’en en assassinant d’autres et il sera responsable de leurs morts, ce serait pire que de ne rien faire et de laisser mourir tout le monde.
Le capitaine rejette ce raisonnement. Puisque la seule possibilité de s’en sortir sera de ramer fortement et longtemps, le capitaine décide que les plus faibles devront être sacrifiés. Il pense que dans cette situation spécifique, il serait absurde de tirer au sort ceux qui devront être jetés par dessus bord. Comme il s’avéra alors, après plusieurs jours d’efforts soutenus par ceux qui restèrent, la chaloupe fut secourue.
Une action en justice fut portée contre le capitaine pour ses décisions. Si vous aviez été membre du jury, comment auriez-vous jugé le capitaine ?
De nombreux points de vue moraux (souvent véhiculés par le message que l’auteur tente de faire passer) sont exposés sous forme de dilemmes moraux. Dans l’histoire de ce naufrage, les enjeux sont importants : il en va soit de la vie de tous les survivants ou bien si un sacrifice est consenti, quelques uns auront une chance de s’en sortir. Le sacrifice est le thème de cette histoire et la situation morale décrite est le dilemme du capitaine. Votre point de vue moral si vous étiez l’auteur consiste à juger ce capitaine non pas devant un grand jury, vous ne raconteriez pas l’histoire d’un procès. Par contre, lors du dénouement, on pourrait montrer la chaloupe avec une dizaine de personnes seulement s’éloignant dans le brouillard. Vous auriez ainsi donné le message que le capitaine a eu raison d’en sacrifier beaucoup pour que quelques uns survivent. D’un autre côté, vous auriez pu montrer une mutinerie à bord de la chaloupe et votre message aurait été tout différent.
Quant au thème, on pourrait même travailler sur l’idée du sacrifice pour éviter l’annihilation de la communauté. Peut-on accepter le sacrifice d’un seul pour le bien de la communauté ou bien celle-ci devrait-elle tout faire pour préserver la vie du moindre de ses membres ?
Par ailleurs, d’autres genres (l’aventure, la fantasy, l’action) n’appellent pas à mettre en branle les difficultés morales que pourraient éprouver les personnages dans certaines situations. Rebondissements, suspense, la psychologie, les émotions… sont davantage privilégiés.
Lorsqu’on tient à véritablement exprimer son point de vue moral sur une situation, les auteurs ont tendance à le faire à travers les dialogues. Et là, on devient foncièrement ennuyeux, moralisateur. Vos personnages ne sont pas vos porte-paroles.
Votre vision des choses se tissera dans la trame, la structure de votre histoire de manière subtile. Dans l’exemple de la chaloupe ci-dessus, il faut que vous exposiez les arguments contraires en étant impartial : celui du capitaine et celui de ses opposants.
Cependant, vous savez qu’il doit y avoir un sacrifice pour que certains survivent (c’est votre point de vue moral sur la question). Au début de l’histoire et au cours de l’intrigue, votre lecteur ne connait pas encore la réponse à la question dramatique que vous avez soulevé avec votre histoire. Il ne sait pas encore que vous avez décidé d’accepter le sacrifice qui est une décision terrible.
Vous pourriez alors montrer au cours de l’intrigue que le chaloupe a failli se retourner à cause d’une grosse vague et à cause de sa charge. Vous insinuez de manière subtile tout en ajoutant une dimension dramatique à une scène en expliquant qu’au-delà des arguments, il y a une réalité et qu’on ne peut pas la changer. Tout le monde mourra si l’on ne fait rien.
A ce moment, certains opposants du capitaine prennent conscience qu’ils ne veulent pas mourir et se rangent de son côté. Vous ne faîtes pas un discours moralisateur sur le bien-fondé de se sacrifier pour sauver son semblable.
Vous avez aussi la possibilité de glisser votre point de vue en faisant réagir votre héros d’une manière spécifique dans une situation donnée. Par exemple, un second du capitaine mortellement blessé lors du naufrage souffre terriblement et demande au capitaine de l’achever. A ce moment-là, la décision du capitaine orientera votre lecteur vers votre point de vue (et avec une scène toujours autant dramatique).
En fin de compte, votre vision morale sur l’histoire que vous racontez sera communiquée par les choix et les décisions de votre héros alors qu’il essaie de réussir son objectif tout en concourant contre des adversaires et opposants divers. Ce qu’il apprend au cours de ce combat, de cette aventure (ou même ce qu’il ne comprend pas) façonne votre vision, votre moralité pour votre lecteur. Retenez bien que vous faites une proposition au lecteur, vous ne lui assénez pas des valeurs morales que vous voulez à tous prix qu’il suive. Vous lui offrez un point de vue, à lui de méditer sur cette vision des choses qui vous est personnelle.
Encore une chose à garder à l’esprit : vous êtes responsable des actions de vos personnages dans votre histoire.
Nous verrons dans un prochain article comment ce que font vos personnages dans l’intrigue est lié à votre argument moral.