Le principe directeur de votre histoire

Le principe directeur de votre histoire doit être considéré comme un outil. Il vous permettra de vous concentrer sur le cœur de votre histoire et saura vous orienter sur la façon de la conter.
Pour John Truby, ce principe directeur (designing principle) doit pouvoir se dire en une seule ligne et est la stratégie globale selon laquelle vous raconterez votre histoire. Ce principe directeur est la synthèse de l’idée ou la logique interne qui organisera votre scénario en un Tout.

Pour Paula Munier, ce principe directeur est le cadre entre les limites duquel  vous raconterez votre histoire. Notez cependant que d’autres théories préfèrent considérer le genre de votre histoire pour définir le cadre entre les bords duquel elle se déploiera. Paula Munier traduit bien l’idée que le principe directeur est d’abord un guide.

Ronald B. Tobias le nomme stratégie et est pour lui une suite unifiée d’actions qui guident les décisions de l’auteur sur les choix qu’il doit faire. Cette stratégie est à la fois une carte et un voyage.

En fin de compte, avoir un principe directeur pour son scénario, c’est avoir à sa disposition des stratégies narratives, c’est-à-dire des possibilités narratives telles que des points de vue ou des approches créatives adaptées à la façon bien particulière dont vous allez conter votre histoire.

Si l’on comprend le principe directeur comme étant le thème, on peut penser qu’il est en mesure d’élever l’histoire au-delà de l’assemblage de ses éléments dramatiques. Les personnages, l’intrigue, le thème lui-même… tout concourt à un Tout (votre scénario terminé)  qui soit plus grand que ses composantes narratives.

Le principe directeur (s’il n’est pas seulement le thème) peut ajouter de la profondeur à une histoire. Il est l’idée que vous allez suivre tout au long du processus d’écriture. Vous découvrirez des choses à dire (ce qui rajoute d’autres significations) et vous approndissez alors les différentes thématiques que ce principe directeur vous inspire. Ces thématiques que vous allez explorer seront toutes reliées au principe directeur. Aucune ne sera hors sujet et elles convergeront vers ou bien contribueront au principe directeur, à l’idée force de votre scénario.
Alors que vous pouvez avoir plusieurs thèmes traités dans votre histoire, vous n’aurez qu’une seule idée force, qu’un seul principe directeur. C’est pour cela que John Truby conseille de tenter de résumer ce principe en une seule ligne.
Le contexte de votre histoire a aussi beaucoup à gagner si vous réfléchissez à la mise en place de votre histoire en ayant bien en tête le principe directeur de votre scénario.

Je sens bien qu’il me semble que vous ayez encore quelques difficultés à appréhender l’utilité de ce principe directeur :

Alice au pays des merveilles
Le principe directeur est le voyage, le parcours initiatiques. Toute l’histoire est façonnée par cette découverte du monde adulte comme de soi d’ailleurs.

Le Chant du Missouri d’Irving Brecher, Fred F. Finklehoffe ; d’après le roman de Sally Benson, dirigé par Vincente Minelli
Le principe directeur est que ce scénario dont Louis B. Mayer disait à tort qu’il n’avait pas d’histoire se déroule en quatre mouvements au rythme des saisons. Pour bien comprendre le concept derrière ce principe directeur, sachez que l’expression de Truby est designing principle, littéralement principe de conception que nous avons traduit par principe directeur.

La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne
Le principe directeur de ce pamphlet virulent contre la société puritaine aux multiples adaptations cinématographiques et télévisuelles porte sur le symbolisme de la lettre A que Hester Prynne se voit obliger d’arborer pour avoir péché avec un homme du village dont elle garde secrète l’identité.
Hester recouvrira ce symbole, signifiant Adultery pour adultère, de fil d’or pour mettre en valeur non seulement son péché mais aussi le fait qu’elle ne peut être réduite à celui-ci.
Le principe directeur se rappelle à l’histoire ou bien l’histoire revient à lui régulièrement pour être certaine de battre au rythme de celui-ci.

L’échelle de Jacob de Bruce Joel Rubin dirigé par Adryan Lyne
Ici, le principe directeur, c’est-à-dire ce qui préside à la conception de l’histoire, est la métaphore, l’allégorie. L’auteur s’est ouvertement inspiré de l’Enfer de Dante qui lui a servi de guide pour écrire sa propre histoire. Le principe directeur consisterait à dire Voilà comment je veux écrire mon histoire !

Julie et Julia de Nora Ephron
Dans ce scénario, le principe directeur est la passion, le dévouement à une cause (l’art culinaire). Cette histoire nous montre comment cette passion dévorante façonne la vie de ces deux femmes ainsi que l’impact sur leurs mariages. S’il n’y avait pas cette motivation en arrière-plan, il n’y aurait pas d’histoire. Cette passion nourrit l’histoire, elle en est le principe directeur.

Le monde de Charlie de Stephen Chbosky
Pour cet exemple, allons un peu plus loin.
Commençons par l’exposition.
Le personnage principal Charlie est un ado curieux de tout, intelligent et légèrement autiste et élève du secondaire. Il adore la lecture et analyse avec une grande acuité les choses qui l’entoure. Charlie se tient toujours en retrait des autres mais il rencontre finalement de nouveaux amis qui l’introduise à la réalité de la présente société dans laquelle il vit. Les autres le considèrent très dévoué et un bon ami.
Dans cette histoire, Charlie est non seulement le personnage principal mais aussi le protagoniste (Dramatica distingue entre le personnage principal qui ne fait pas avancer l’intrigue et le protagoniste dont la fonction est de faire avancer l’intrigue). C’est un personnage dynamique qui évolue au cours de l’histoire (arc dramatique) et il est aussi le narrateur.
Le principe directeur de cet histoire est justement la narration.
Viennent ensuite des personnages majeurs :
– Sam
Sam est l’un des deux meilleurs amis de Charlie. Elle n’est pas comme toutes les autres filles, elle a beaucoup plus confiance en elle que les filles de son âge. Elle ne juge pas Charlie (ce que font les autres), elle est douce, compréhensive et est toujours prête à aider et à soutenir. Son arc dramatique n’évolue pas au cours de l’histoire. Elle reste la même Sam du début à la fin (c’est un personnage statique).
– Patrick
Patrick est le second ami de Charlie et le frère aîné de Sam. Il a été surnommé Rien du tout (Nothing dans la version originale). Charlie le dépeint comme un garçon insouciant. Leur rencontre est décrite dans l’exposition. Vous constaterez souvent qu’une rencontre est un préalable à l’intrigue et vous ne devriez jamais sous-estimer cet élément dramatique. Patrick cache sa véritable nature mais Stephen Chobsky joue sur l‘ironie dramatique pour que le lecteur soit informé de ses penchants alors que les autres personnages les ignorent. Patrick est un personnage dynamique dont la personnalité évoluera au cours de l’histoire.
A lire :
LES PERSONNAGES DYNAMIQUES

Les personnages mineurs sont :
– Bill le professeur de Charlie qui voit en lui comme une sorte de génie,
– La sœur de Charlie dont l’adaptation a minoré l’importance,
– Mary Elisabeth (la première petite amie de Charlie).

La personnalité de Charlie
Charlie est introverti, sans ami (mais cela ne signifie pas qu’il éprouve un sentiment de solitude) et a le sentiment de ne jamais pouvoir s’intégrer (dans le lycée comme métaphore de la société). Personne ne s’intéresse vraiment à lui sauf son professeur et sa mère. Une information importante est donnée sur le passé de Charlie à travers les rêves qu’il fait de sa tante Helen décédée. Ces rêves sont révélateurs d’un conflit interne fort chez Charlie car ils font mention d’abus ou d’harcèlement sexuels.
A lire :
EXPOSEZ LE PASSE DES PERSONNAGES

L’incident déclencheur est ce moment où Charlie décide de parler à Sam et Patrick pour la première fois.

Puis vient la Rising Action, le personnage commence à avoir de sérieux obstacles pour atteindre son objectif.
A lire :
SAVOIR UTILISER LA STRUCTURE

La Rising Action n’est pas citée par toutes les théories, ni par tous les gourous mais nous l’emploierons pour rester dans la logique de notre propos.  La rencontre avec Sam et Patrick et leurs amis qui sont tous comme Charlie des laissés pour compte, des exclus mène Charlie à découvrir de nouvelles expériences : les fêtes, l’alcool, la drogue, le sexe, la musique, les rendez-vous…
Charlie tombe amoureux de Sam mais il cède sans trop comprendre à une autre fille (Mary Elisabeth) pour tenter de s’éloigner de Sam. Les intrigues secondaires (Patrick et Brad, la sœur de Charlie et son copain violent) décrivent des moments compliqués. A Noël, Charlie offre des présents à tous ses amis bien que ceux-ci ne lui offrent rien. A un jeu de la vérité au cours d’une fête, Patrick défie Charlie d’embrasser la plus jolie fille de l’assemblée et il embrasse Sam ce qui était inattendu car tout le monde s’attendait à ce qu’il embrasse Mary Elisabeth. Les filles sont toutes deux furieuses et Patrick demande à Charlie de se tenir éloigné du groupe le temps que les choses se calment.

Au moment du climax, Charlie ne peut plus traîner avec le groupe. Il s’isole de plus en plus et sombre dans la drogue. Il devient véritablement déprimé. Puis, témoin du massacre auquel se livre Brad sur Patrick, il intervient. Il apprendra par la suite que Brad se moquait de l’homosexualité de Patrick et celui-ci en retour le menaça de dévoiler à tout le monde que Brad était gay lui aussi.
Il s’agit vraiment du climax car à partir de cette scène, ses amis sont revenus vers lui mais sa détresse émotionnelle et ses flashbacks commencent aussi à faire véritablement surface.

Continuant sur notre structure Rising Action / Falling Action, Charlie fait une overdose et pète un plomb lorsque Sam le touche rappelant brutalement le souvenir de sa tante Helen. Charlie se réveille dans un hôpital psychiatrique où il réalisera que les rêves de sa tante Helen étaient le fruit d’un traumatisme causé par les attouchements auxquels elle se livrait sur lui lorsqu’il n’était encore qu’un enfant.

Le dénouement (ou conclusion) consiste en Charlie autorisé à quitter l’hôpital psychiatrique. Dorénavant, il n’a plus peur. Son arc dramatique est complété.

Vous pourriez vous poser la question de l’antagoniste. Quel est le conflit principal ?
C’est Charlie lui-même. Charlie qui se bat contre lui-même. De plus, son comportement est défini selon les attentes des autres. Charlie veut être un ami, un bon ami pour tout le monde. Il agit non pas selon sa vraie nature mais selon l’appréciation des autres, selon ce qu’on attend de lui et chacun a des expectations différentes. Par exemple, lorsqu’il accepte ce rendez-vous avec Mary Elisabeth, c’est certes pour lui faire plaisir mais il ne lui renvoie pas le même sentiment qu’elle lui offre. Et au lieu de lui dire la vérité, il reste avec elle pour ne pas la blesser.

Le thème est très proche du parcours iniatique. Ce voyage initiatique n’est pas le principe directeur, il est véritablement le thème. Le principe directeur (très exact ici avec l’idée de conception) est la narration. Charlie nous narre son histoire.