Il y a quelques jours, nous avons rencontré Léolo Victor-Pujebet, un jeune réalisateur au sens de l’esthétisme déjà très développé. Il nous a parlé de ses débuts, de ses inspirations et de ses futurs projets.
Bonjour Léolo, peux-tu te présenter et expliquer ton parcours dans le milieu du cinéma ?
Je ne sais pas si on peut vraiment parler de parcours dans le milieu du cinéma, parce que pour l’instant je ne fais que l’approcher, l’observer… J’essaye d’y trouver ma place petit à petit, que ce soit par l’intermédiaire de mes réalisations, de mes projets et participations à divers tournages, ou par le biais de l’AEC, où je suis amené à rencontrer beaucoup de professionnels. Mais pour ce qui est de me présenter, je peux dire que je suis né en 1996 et qu’avant même de voir pour la première fois la lumière du jour, le cinéma faisait partie de moi : je m’appelle « Léolo ». En 1992, mon père avait vu le film homonyme de Lauzon et s’était promis d’appeler son fils comme ça. Il a tenu sa promesse ! Quand j’essaye de me plonger dans mes plus vieux souvenirs, je me vois avec une VHS entre les mains, un costume de Charlie Chaplin sur le dos ou assis sur un siège du Grand Rex, les yeux plein d’étoiles. Mon enfance a été bercée par le cinéma. Premièrement parce que mes parents sont cinéphiles, mais aussi parce que dès ma septième année je me suis retrouvé avec une caméra à la main. Je dis que j’ai réalisé cinq courts-métrages mais c’est un mensonge, j’ai dû en faire une bonne vingtaine ! Mais avant que ça rende quelque chose, j’ai eu besoin de quelques années ! (rires). C’est quand j’ai commencé à comprendre ce qu’était la mise en scène, que j’ai commencé à faire des films qui me ressemblent.
Qu’est-ce qui a déclenché cette envie de te lancer dans la réalisation ? Est-ce un film en particulier ?
Le jour où j’ai compris qu’il y avait un métier qui consistait à créer un monde, à faire vivre une autre réalité, à faire rêver tout simplement, j’ai su que je voulais faire ça. Je ne pense pas qu’il y ait un film en particulier qui m’ait poussé à vouloir faire du cinéma. C’est un tout. E.T. de Spielberg a été un de mes premiers chocs cinématographique, avec Billy Elliot de Daldry et La Vie est Belle de Capra. Mes premières images de cinéma sont anglo-saxonnes, et je pense que c’est pour ça que la grammaire classique et la recherche de divertissements sont les moteurs de mes films. Aujourd’hui je dirais que ce sont surtout les cinémas Européen et Japonais qui m’inspirent le plus, mais je ne nie pas ce premier attachement au cinéma de studio, gros budget et musical. Je pense que mon travail combine ces influences !
Dans Mister M et Ycare Bonny Clubsandwich, il y a un véritable travail effectué avec la musique, elle s’adapte très bien à tes films. Tu aimes chercher la bonne musique ou tu mets tes idées de côté en te disant que ça pourrait éventuellement te servir ?
Tous les films que j’aime sont musicaux. Que ce soit Billy Elliot avec une playlist rock juste fantastique ou E.T. sous la baguette de John Williams. Kurosawa, Cocteau, Sokourov, Fellini, Capra, Allen, Korine… Ils utilisent tous la musique comme élément primordial de leur film, tant cathartique qu’onirique, fédératrice des émotions et des images… Je pense que la musique sublime la mise en scène et participe à l’expression des émotions. Un réalisateur après tout, c’est un homme du concret, du visible et de l’audible, celui qui sait traduire un récit écrit en actions, en gestes et en sons. Dans chacun de mes films, je fais danser mes personnages, je les fais se mouvoir sur de la musique. Ils rythment ainsi l’action, l’histoire. Et pour revenir à Ycare Bonny Clubsandwich, la musique joue effectivement un rôle important. On est passés par un label d’artistes compositeurs, qui nous ont rapidement fournis ce que nous recherchions : une musique orchestrale, typique du cinéma américain des années 50. Donc pour ce film les choix musicaux se sont fait au montage. Pour Mister M, ça a été différent, j’ai volé des musiques à d’autres films. Je ne pourrais pas me payer du Richter ou du Johansson avant longtemps. Ici, il était prévu depuis le début que ces musiques soient utilisées. Elles m’ont inspirées lors du tournage et je les ai conservées au montage.
Tu travailles beaucoup en noir et blanc, pourquoi ce choix ?
Parce que les films que je préfère sont en noir et blanc. Et puis je n’aime pas vraiment dire noir et blanc, je préfère dire monochromatique. J’aime filmer des nuances de gris, c’est beaucoup plus expressif, révélateur. Au cinéma, on essaye de filmer des paysages intérieurs, des nuances émotionnelles. En fait, plus simplement, je trouve que le noir et blanc aide vraiment la mise en scène, il la sert magnifiquement bien. Déjà d’un point de vue esthétique, ou personnellement je trouve que les plus beaux films jamais réalisés en terme d’image sont en noir et blanc : que ce soit avec Orphée de Cocteau ou Manhattan de Allen, L’Aurore de Murnau… Après je dis ça mais je peux aussi me contredire, il y a certains films comme Spring Breakers ou Gummo de Harmony Korine qui utilisent la couleur à merveille, qui s’en servent pour exprimer et colorer (à proprement parler) le propos… Mais j’aime travailler en noir et blanc parce que je m’y reconnais, je trouve que ça embellit. Et il y a une raison simple à ça, la couleur peut être belle, mais en pellicule. A part Benoit Debie, Emmanuel Lubezki, Tom Stern et une trentaine d’autres immenses maitres de l’image, je suis rarement emballé par la couleur numérique.
Où trouves-tu ton inspiration ?
Dans la vie de tous les jours bien sûr. Mais aussi dans les livres, en ce qui concerne les histoires et dans les films, pour la mise en scène. J’ai rarement été aussi inspiré qu’aujourd’hui, et je pense que c’est dû à ma rencontre avec Mathieu Morel dans mon école de cinéma. C’est avec lui qui j’ai réalisé Ycare Bonny Clubsandwich. Ce mec m’inspire, il me fait rêver ! Je pense que si je continue dans le cinéma, ce que j’espère, vous pourrez le trouver dans chacun de mes films, que ce soit devant ou derrière la caméra. Mais pour ce qui est du scénario, je me mets souvent à écrire après avoir été marqué par quelque chose, que ce soit une scène de vie ou un bouquin. Mon premier vrai court-métrage, Apothéose, était une adaptation libre du Bel Ami de Maupassant. Mister M, une adaptation libre de Face aux ténèbres de Styron. Et Axel Burning, c’est une histoire qu’on m’avait racontée en soirée, qui m’a fait rire. Récemment, j’ai assisté à une scène qui m’a bouleversé, et je souhaite à tout prix la placer dans un film. On trouve dans la rue, chaque jour, de véritables séquences de films ! Il suffit d’ouvrir l’oeil, d’être attentif ! Je suis d’accord avec Jacques Aumont quand il dit que nous allons au cinéma pour, le temps d’une représentation, nous faire offrir un simulacre acceptable du monde. Donc je pense qu’il faut s’inspirer de la vie pour raconter des histoires. D’ailleurs, elle m’inspire cette question (rires).
Au premier abord, on pourrait croire que tu aimes traiter de sujets graves mais dans Ycare Bonny Clubsandwich, il y a une bonne dose de dérision et de burlesque. Qu’est-ce que tu préfères au final, le dramatique, le burlesque ou un savant mélange des deux ?
Je vais opter pour le mélange des deux ! A vrai dire, je n’ai jamais été emballé par les histoires uniquement drôles. J’aime les comédies à l’italienne, comme L’Argent de la vieille de Comencini ou Le Pigeon de Monicelli, où l’on parle de choses graves avec beaucoup d’absurde et d’humour noir. C’est un peu ce qu’on a essayé de faire dans Ycare Bonny Clubsandwich au départ. Deux pauvres gars qui se retrouvent dans une immense villa et qui deviennent complètement timbrés. La première fois que nous l’avons projeté au cinéma, nous avons constaté que les spectateurs riaient dans les moments les plus sombres, où les personnages sont dans les états les plus critiques. L’expression dit vrai ! On rit du malheur des autres !
Quels sont les films, les réalisateurs ou éventuellement les acteurs qui t’ont le plus marqué depuis que tu aimes le cinéma ?
Je vais essayer d’en citer d’autres, mais j’insiste avec Fellini, Capra, Cocteau, Vigo, Korine, Vertov et Allen. Ces sept réalisateurs me mettent dans des états hallucinants ! Je transpire devant leurs films, je deviens fou… Récemment j’ai vu un film assez méconnu de Kurosawa, Vivre dans la peur, qui m’a vraiment marqué. Il explore le traumatisme créateur du Japon d’aujourd’hui, la peur du nucléaire. C’est riche, c’est beau, c’est tout ce que j’aime ! Après niveau acteurs, je vais citer Jim Carrey. Parce que c’est lui qui a bercé mon enfance avec The Truman Show, Eternal sunshine of the spotless mind ou plus récemment I love you Phillip Morris. C’est avec lui que j’ai partagé mes premiers fou-rires, mes premières envies de cinéma. J’ai aussi envie de citer Giulietta Masina, Diane Keaton, Meryl Streep, Jean Marais…
Peux-tu nous parler de tes futurs projets ?
Il y en a un certain nombre… Dans les semaines à venir, je vais normalement réaliser un court-métrage écrit par Mathieu Morel portant sur la robotique et l’héritage patrimonial. Un format très court de cinq minutes, humoristique et rendant hommage à Brazil et la période fanfaronne de Woody Allen. On verra ce que ça donne, le scénario m’a fait mourir de rire donc j’espère provoquer la même chose chez le spectateur. Pour le reste, je ne sais pas si c’est une bonne idée d’en parler dès maintenant, ça va dépendre des opportunités qui se présentent, des idées que je vais avoir… J’ai envie de me concentrer sur ce qu’est la mise en scène, essayer de la décortiquer pour découvrir son coeur et m’intéresser encore plus à l’histoire même du cinéma. J’ose penser qu’on peut sans exagérer considérer que l’art de la mise en scène, dans ses réalisations les plus pures, appartient à l’histoire du cinéma.
RÉFÉRENCES CITÉES PAR LÉOLO :
FILMS : Léolo de Lauzon / E.T. de Spielberg / Billy Elliot de Daldry / La Vie est Belle de Capra / Orphée de Cocteau / Manhattan de Allen / L’Aurore de Murnau / Spring Breakers et Gummo de Harmony Korine / L’Argent de la vieille de Comencini / Le Pigeon de Monicelli / Vivre dans la peur de Kurosawa / The Truman Show de Weir / Eternal sunshine of the spotless mind de Gondry / I love you Phillip Morris de Penn / Brazil de Gilliam
AUTRES RÉALISATEURS : Sokurov / Fellini / Vigo / Vertov
ACTEURS : Charlie Chaplin / Jim Carrey / Giulietta Masina / Diane Keaton / Meryl Streep / Jean Marais
DIRECTEURS DE LA PHOTOGRAPHIE : Benoit Debie / Emmanuel Lubezki / Tom Stern
LIVRES : Bel Ami de Maupassant / Face aux ténèbres de Styron