La Chair et le Sang (Violence, sexe, mort et religion)

Par Olivier Walmacq

Genre : action, épique, historique, aventure (interdit aux - 12 ans)
Année : 1985
Durée : 2h06

L'histoire : Au XVIème siècle, une bande de mercenaires, s'estimant lésés par un seigneur, enlèvent et violent la promise de son fils avant de semer la terreur dans son château. 

La critique :

Paul Verhoeven appartient à cette catégorie des réalisateurs controversés et provocateurs. En 1973, son second long-métrage, Turkish Délices, asseoit sa notoriété au-delà de ses frontières (la Hollande). Repéré par les producteurs hollywoodiens, Paul Verhoeven est convié à s'expatrier du côté de l'Oncle Sam. Il commence alors à signer des films de plus en plus virulents.
C'est par exemple le cas de La Chair et le Sang, sorti en 1985. Il s'agit d'un film important dans la carrière de Paul Verhoeven. Très vite, La Chair et le Sang devient la nouvelle référence et acquiert le statut de film culte. Malgré des critiques presque unanimement panégyriques, Paul Verhoeven fustige et répudie son septième long-métrage. En effet, le cinéaste n'est guère convaincu par le résultat final.

A contrario, La Chair et la Sang devient le nouveau film "phénomène" auprès des amateurs de la période médiévale. Certains parlent même d'un "médiéval réaliste", un terme toutefois à guillemeter et à minorer en raison de ses nombreux anachronismes (visiblement volontaires). La distribution réunit Rutger Hauer (l'acteur fétiche de Paul Verhoeven), Jennifer Jason Leigh, Tom Burlinson, Jack Thompson, Brion James et Susan Tyrrell. La Chair et le Sang marque aussi la toute première apparition de Jennifer Jason Leigh au cinéma. Une expérience pour le moins difficile dans le rôle de cette jeune femme à la fois chaste et pudibonde. Néanmoins, cette logique va s'inverser au cours du scénario du film.
Mais j'y reviendrai... La Chair et le Sang préfigure également la suite de la période hollywoodienne de Paul Verhoeven.

A travers La Chair et le Sang, le cinéaste aborde déjà ses thèmes de prédilection : la mort, la religion, le sacrifice et le martyr christique... Autant de thématiques qui deviendront les apanages de Robocop en 1988. Attention, SPOILERS ! En 1501, alors que la peste bubonique ravage l’Europe Occidentale, des mercenaires menés par le capitaine Hawkwood assiègent une place forte pour le compte du Seigneur Arnolfini.
Au terme de la bataille, Arnolfini refuse de les payer et de leur laisser violer et piller à tout va comme il le leur avait promis. Guidé par Martin et un ecclésiastique illuminé qui croit voir des signes partout, les mercenaires enlèvent Agnès, la promise de Steven, le fils d’Arnolfini, et assiègent un château pour y vivre en communauté. Steven se lance à leur poursuite.

En l'occurrence, difficile de répertorier La Chair et le Sang dans une catégorie particulière : film d'aventure, film épique, film historique, film médiéval... La Chair et le Sang s'inscrit dans une étrange dialectique, à la fois fuligineuse et indicible. Il ne s'agit pas non plus d'une production hollywoodienne ni néerlandaise. Le long-métrage est tourné en Espagne dans des conditions éprouvantes.
Pour Paul Verhoeven, La Chair et le Sang est un film de transition. Le réalisateur nous convie dans une époque violente, presque eschatologique, à la fois marquée par la guerre, la peste et la mort. A l'inverse, Paul Verhoeven euphémise parfois son propos en transformant cet univers martial et belliciste en une histoire d'amour quasi féérique. C'est la première partie du film.

Agnès (Jennifer Jason Leigh) préfigure à la fois cette pruderie et cette pureté. La belle est promise à Steven, un vaillant chevalier, et aussi le fils d'Arnolfini (je renvoie au synopsis). Hélas, leur dilection est contrariée par l'arrivée impromptue de Martin, un mercenaire. Ce guerrier est la parfaite antithèse de Steven. Grivois, licencieux, frusque et ripailleur, le blondinet longiforme multiplie les agapes, les grivèleries et les banquets plantureux avec sa petite bande de dégénérés.
Trahi par Arnolfini, Martin se venge et kidnappe Agnès. Honnie et vouée aux gémonies, la jeune femme se regimbe contre ses tortionnaires. C'est la seconde partie du film. La jolie princesse, à priori chaste et timorée, va se transfigurer en femme manipulatrice et perverse.
Contre toute attente, elle offre entièrement son corps et son âme à Martin. Celui-ci se transforme alors en prince immaculé et vêtu d'oripeaux d'albâtre, au grand dam de ses compagnons d'infortune. 
La Chair et le Sang se transmute alors en triade amoureuse aux dynamiques complexes. Mais pas seulement. Sur le fond, le film s'apparente à une véritable diatribe contre les préceptes religieux.
A nouveau, Paul Verhoeven oppose ses deux guerriers principaux. D'un côté, Martin et ses séides symbolisent cette insubordination anticléricale. A contrario, Steven représente la probité, la rectitude stricte et la bravoure, soit autant de valeurs exaltées par la religion. 
Encore une fois, Paul Verhoeven intervertit les dynamiques par l'arrivée inopinée de la peste. Le malheur, la malédiction et la mort sonnent le glas de la troupe guidée et commandée par Martin.

Les contempteurs sont appelés à expier et à mourir dans la solitude, l'effroi, la terreur et la douleur. Dans La Chair et le Sang, tous les personnages sont victimes d'un destin cruel, à l'image de ce jeune marmot qui exhale son dernier soupir dans les bras de sa maternelle. Face à ces forces irrépressibles et irréfragables, les personnages s'empoignent, souffrent et vocifèrent.
A aucun moment, Paul Verhoeven ne juge ou ne s'apitoie sur ses héros. D'ailleurs, peu ou prou de personnages homériques dans La Chair et le Sang. Le cinéaste multiplie les déflagrations à un rythme haletant et époustouflant. Hélas, le film sortira dans l'indifférence générale. 
Cependant, il connaîtra la gloire et la postérité (si j'ose dire...) au fil des années. Bref, on tient là un nouveau chef d'oeuvre de Paul Verhoeven. Par la suite, la guerre n'aura plus lieu sur des terres désolées, mais dans un corps mutilé et transfiguré en machine, celui d'Alex J. Murphy, alias Robocop.

Note : 17/20

 Alice In Oliver