DOFUS : LIVRE I – JULITH : Marcher sur des œufs de Tofu ★★★☆☆

Le célèbre jeu vidéo parvient à prendre vie sur grand écran !

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En un peu plus de dix ans, la société Ankama a réussi l’exploit de créer un véritable petit empire, fondé sur le succès du jeu vidéo massivement multijoueur Dofus. Quelques mangas et séries TV plus tard (dont la géniale Wakfu), leur univers, appelé le Krosmoz, atteint aujourd’hui une incroyable richesse géographique et chronologique, foisonnant de récits et de créatures en tout genre. Pour faire simple, Ankama est parvenu à engendrer un monde transmédiatique ambitieux, révélateur d’un amour et d’une exigence envers une pop-culture encore trop maltraitée en France. Ne manquait plus à Dofus qu’à s’exporter sur grand écran, et c’est désormais chose faite. Premier volet d’une saga pensée pour explorer la légende entourant les œufs de dragon du titre (capables de donner de puissants pouvoirs à qui les possède), le long-métrage nous propose de suivre le jeune Joris. Orphelin recueilli par son « papycha » Kerubim Crépin, il se retrouve embarqué malgré lui das une aventure où vont se rencontrer Boufbowl (le sport local), dimensions parallèles et guerriers légendaires, dans l’objectif de contrer la sorcière Julith, bien décidée à détruire la cité de Bonta.

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Vous l’aurez compris, ce livre I s’expose à la lourde tâche d’introduire un univers déjà très riche. Les réalisateurs Anthony Roux et Jean-Jacques Denis auraient pu se contenter de caresser la fan base dans le sens du poil, mais ils ont pris le risque, plus que louable, de chercher à attirer un nouveau public. Épaulés par plusieurs techniques d’animation parfaitement maîtrisées, qui magnifient les décors et les mouvements, leur monde épouse avec force les règles de la grande heroic-fantasy (Tolkien, pour ne citer que lui), consistant à dévoiler avec parcimonie son contenu pour mieux évoquer son gigantisme, et ainsi faire fantasmer. Intellectuellement stimulant, le film voyage à pleine vitesse dans ses contrées tout en conservant une étonnante limpidité, même pour les néophytes. Il alterne alors moments de contemplation et scènes d’action spectaculaires, et crée une nouvelle situation toutes les cinq minutes, rappelant ses inspirations télévisuelles depuis le développement de Wakfu. Sans jamais lasser, cette complexité d’une narration sous forme de rush révèle surtout la grande force de Dofus, qui a toujours été ses inspirations.S’il se base sur l’éternel monomythe pour fabriquer son intrigue (ce qu’il ne fait pas de mieux d’ailleurs), l’univers d’Ankama possède une forte dimension parodique, qui lui permet de subvertir ses référents culturels afin de mieux les embrasser, qu’ils soient occidentaux ou orientaux. L’occasion pour le studio d’explorer un humour original et fou dans lequel le cinéma d’animation s’engouffre trop peu, et de détruire certains stéréotypes du genre pour affirmer une culture plus diverse et cosmopolite (à commencer par le traitement de Bakara, cliché de la princesse ingénue et coincée, qui se révèle être une mage surpuissante, et qui termine le film complètement saoule).

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Néanmoins, c’est dans ce pouvoir fourre-tout que ce livre I trouve aussi sa principale faiblesse. En effet, peut-être est-il resté trop fidèle au jeu d’origine, et à son aspect parfois faussement mature et grivois, ici accentué dans des gags inégaux. Le problème, c’est que le long-métrage ne sait alors plus sur quel pied danser, entre ses effets provocateurs et sa destination à un public jeune. Les instants gentiment trash contrastent avec une candeur qui semble bien mécanique, servant avant tout à expliquer l’histoire au fil de son déroulé (Joris paraphrase souvent ce qui se déroule à l’écran, ce qui s’avère rapidement exaspérant). Mais surtout, ils floutent la frontière de la parodie, et empêchent par moments de savoir quand le récit se prend au sérieux, quitte à transformer des scènes sans doute pensées comme hommages à de simples passages obligés prévisibles (la mort du mentor, la confrontation au parent…). Et puis, difficile de s’engager émotionnellement dans un climax quand ce dernier repose sur une blague ! D’autant plus que celui-ci se révèle particulièrement violent et étonnant, tel un ultime témoin de l’impossibilité de concevoir à quel public le film se destine. Cependant, ce côté inclassable pourrait être le principal atout de Dofus au sein de productions de plus en plus calibrées et lisses. Croqués de façon efficace, ses attachants personnages peuvent ainsi dévoiler toutes leurs failles et leur contradictions, et soulèvent une réflexion bien moins manichéenne que ne le laissait supposer le jeu. De cette manière, Ankama confirme le bien-fondé de son ambition, et l’on espère que la suite saura se montrer tout aussi surprenante, mais plus aboutie.

Réalisé par Anthony Roux et Jean-Jacques Denis, avec les voix de Sauvane Delanoe, Emmanuel Gradi, Laetitia Lefebvre

Sortie le 3 février 2016.