L’intrigue de la catastrophe

Par William Potillion @scenarmag

Une catastrophe… une série de calamités ou de désastres menant au désespoir suprême ou à la ruine. C’est une situation emplie de malheurs ou de malchances variés qui, mis ensemble, aboutissent à la destruction.
La catastrophe utilisée dans l’intrigue est une force qui a une influence très puissante dans une histoire. Par sa nature même, elle ajoute à la tension, au drame, au conflit, aux questions de vie ou de mort.
L’impact d’une catastrophe sur une ligne d’intrigue est vraiment très lourd. Homère dans L’Iliade l’a utilisé lorsque Apollon a envoyé une peste meurtrière sur toute l’armée grecque. Dans L’Odyssée, Homère décrit des naufrages, des combats à mort contre des cyclopes, un équipage transformé en porcs et une descente aux Enfers… Ces événements frisent la catastrophe parce que Ulysse, le protagoniste, survit de justesse.
Une catastrophe est un bon moteur pour une intrigue même si elle ne se produit pas. Il suffit que sa menace soit présente et que les conséquences (la peste, les naufrages, la descente aux Enfers, les combats contre Scylla et Charybde…) semblent très réelles et terrifiantes.

Les catastrophes prennent évidemment beaucoup de formes.  Les formes déterminent la ligne d’intrigue. Un des types les plus communs pour une catastrophe est la catastrophe naturelle aux variétés aussi diverses qu’un tremblement de terre, une inondation, la famine ou la sécheresse. La pandémie aussi est utilisée.

Quelque que soit la forme que prendra la catastrophe, elle peut être en fait n’importe quel événement suffisamment important pour permettre à un auteur de jeter ses personnages dans des situations où ils pourront prôner des points de vue ou agir sur les plus grandes questions de notre temps.
Considérez La peste de Camus. Camus en interprétant les réactions de ses personnages face à la peste commente sur les questions de bien et de mal, de Dieu et de l’homme, de châtiment et de pénitance, de l’accomplissement de sa vie. Ces thèmes puissants jouent à travers toute l’œuvre alors que Camus fait avancer son intrigue en rendant les conditions encore plus épouvantables.

Quel que soit le fléau auquel les personnages sont confrontés, leurs actions sont conditionnées par la catastrophe et la direction que prend l’histoire est contrôlée par les réactions à la menace de la catastrophe, la catastrophe elle-même et les conséquences de cette catastrophe.

Conjointement au fléau, l’intrigue incorpore les notions de sauvetage et de survie. Dans La peste,  Camus dramatise encore plus la détresse de ceux pris dans l’horreur par le biais continuel des secours parce que c’est ce combat de se libérer eux-mêmes de la peste qui donne à l’histoire son impulsion.
Dans toutes les histoires où une catastrophe est ce qui motive l’intrigue, le sauvetage sera un élément dramatique récurrent ainsi que le concept de survie.
Le personnage principal survivra-t-il  à la catastrophe ? C’est la question dramatique centrale.
Sera-t-il sauvé ? se pose aussi presque instinctivement mais ce sera la catastrophe elle-même et la série de désastres et de calamités qui va avec qui seront au centre de l’histoire.
Le sauvetage et la survie seront bien sûr indispensables mais seront subordonnés à l’intrigue principale, la catastrophe sur lequel sera mis l’emphase.

Vous pourriez aussi doubler en quelque sorte les fléaux s’abattant sur les hommes. Prenez Les raisins de la colère de John Steinbeck, il est question non seulement de la Grande Dépression de 1929 mais aussi de la sécheresse qui s’est abattue sur l’Oklahoma pendant ces années-là. Ces deux catastrophes fusionnent en un événement qui questionne le capitalisme et la justice sociale. Est-ce que l’injustice, l’oppression et la misère sont hors de notre contrôle ou bien l’homme peut-il vraiment agir pour que cela cesse ? Sommes-nous seulement guidés par nos intérêts personnels ou sommes-nous inexorablement liés les uns aux autres ?

Voilà les questions que posent Les raisins de la colère. Sans la Grande Dépression et la sécheresse, l’histoire n’aurait été tout au plus qu’un récit de voyage. Avec cette substance apportée à l’intrigue par la série de désastres et de calamités qui tombent sur la famille Joad, l’histoire est passionnante, provocante, pleine de force et surtout peut nous atteindre émotionnellement.
Evidemment, d’autres éléments sont nécessaires à l’intrigue et à l’histoire pour fonctionner : dans Les raisons de la colère, on trouve des éléments de persécution (l’attitude des autorités et des gros propriétaires qui ne veulent qu’exploiter et humilier les migrants), des questions de survie aussi parfois très difficiles comme lors de la crue du fleuve. Mais la catastrophe (double, ici) est ce qui fait avancer l’intrigue et elle se réaffirme elle-même dans tous les événements. La quête de la Terre promise apparaît aussi avec cet espoir d’un ailleurs meilleur motivé par la catastrophe.

Depuis l’Exode, il y a eu et il reste de la place pour de très nombreuses histoires parlant d’un voyage en quête de rédemption suite à une catastrophe.

La guerre

La guerre n’a pas toujours été considérée  comme une catastrophe. Elle fut souvent montrée comme les exploits ou les crimes d’une personne envers une autre sans que le plus grand nombre n’en souffre. Ce fut souvent une aventure à la gloire de quelques uns et rarement méprisée. Des héros et des méchants ont émergé à travers les légendes et la littérature.
Elle fut souvent aussi utilisée comme une opportunité, un principe directeur pour juger de l’âme des hommes.
La souffrance et l’horreur de la guerre étaient souvent confinées dans des circonstances limitées, sans envergure telles qu’elles furent décrites par Shakespeare et Homère.

Tolstoï a été l’un des premiers à dépeindre de manière réaliste la guerre et à en faire une catastrophe pour l’humanité avec Guerre et Paix. Depuis, le rendu graphique de la guerre et ce qu’elle fait à ceux qui combattent ou qui la subisse a chassé l’idée d’un exercice glorieux ou d’une aventure.