Gummo (Adolescence en déliquescence)

Par Olivier Walmacq

Genre : drame (interdit aux - 16 ans)
Année : 1997
Durée : 1h35

L'histoire : Après le passage d'une tornade, plus rien ou presque, ne subsiste à Xenia, Ohio. C'est là que Tummler et Solomon, deux ados mal dans leur peau, traînent leur désoeuvrement à longueur de journée. Leur passe-temps favori ? Tuer des chats pour les revendre au boucher du coin. Pendant ce temps, un "bunny boy" traverse la ville tel une ombre fantasmagorique...

La critique :

Bien avant de commettre Spring Breakers, sorte d'étron survitaminé pour post pubères énervés, Harmony Korine avait réalisé en 1997, Gummo, son premier film. S'inscrivant dans la mouvance du nouveau cinéma indépendant américain, et suivant la lignée d'un Larry Clark, Korine s'intéresse lui aussi, à une jeunesse aux abois. Quelques années auparavant, à l'âge de vingt ans à peine, il avait déjà signé le scénario de Kids, oeuvre puissante et nihiliste dans laquelle son mentor décrivait le quotidien d'adolescents totalement à la dérive. Gummo, c'est déjà une affiche.
Celle du profil d'un gamin à tête de rat. Faut-il y voir la volonté de choquer ? Assurément. Et il faut reconnaître que par bien des côtés, Gummo se révèle malsain, destabilisant et parfois voyeur. Mais ne retenir que cet aspect de l'oeuvre serait bien réducteur. Ce film, c'est aussi une sacrée claque dans la gueule, un film beau sur un monde laid. Un voyage introspectif dans l'univers d'une adolescence ravagée sur fond de drogue, d'inceste et de désespérance. Le réalisateur ne prend pas de gants pour faire le constat de quarante années d'échec social, et nous présente les rejetons maudits d'un pays qui les a largués sur le bord de la route. 

La distribution réunit Jacob Reynolds, Nick Sutton, Jacob Sewell, Chloé Sevigny (déjà vue dans Kids) et Darby Doherty. Attention Spoilers: Dans la ville dortoir et dévastée de Xenia, le quotidien de Tummler et Solomon n'a rien de passionant. Sur leur vélo, ils errent sans but précis sinon de tuer des chats au fusil à plomb (où de ramasser ceux déjà morts) afin de se faire quelques dollars en les revendant à un boucher. Tummler est grand, dégégandé et rêve de faire du stand-up. 
Solomon est petit, malingre et a une tête de rat. Un mini freak en somme. Complètement livrés à eux mêmes par des parents inscrits aux abonnés absents, Tummler et Solomon (dont la mère n'a pas la lumière à tous les étages), sniffent de la colle et fréquentent régulièrement une jeune voisine que son père prostitue. Dans ce bled oublié des dieux, trou du cul absolu du monde, où chaque trottoir sent la pisse, les enfants de 10 ans parlent comme des charretiers en cassant des voitures, les filles se scotchent les mamelons, un nain black s'interroge sur son identité sexuelle, une attardée mentale récite l'alphabet en chantant... tandis qu'un étrange garçon coiffé d'oreille de lapin, joue de l'accordéon ou urine en haut des ponts sur les bagnoles qui passent. Des êtres bizarres dans un monde qui n'a plus grand chose d'humain.

Certaines scènes restent en mémoire comme celle où les deux "héros" martyrisent le cadavre d'un chat suspendu, celle où ils tirent sur une vieille femme agonisante pour vérifier si elle est bien morte (!) ou encore lorsque Solomon déguste des spaghettis dans une baignoire immonde. Pas facile de résumer ce film! Il n'y a pas réllement de scénario dans Gummo. Plutôt une succession de scènes, indépendantes les unes des autres, sans véritable fil conducteur. Korine saisit une conversation, une dispute, une bagarre; les petits moments d'un quotidien dérisoire, d'une existence au point mort.
Le style est décousu et saccadé, volontairement presqu'amateur. Le cours du récit est fréquemment interrompu par des passages tournés en vidéo, style reportage, où des inconnus livrent leurs états d'âme à la caméra.

Et pourquoi donc ce titre de Gummo ? En fait, il s'agit d'un hommage à Gummo Marx, le moins connu de la fatrie comique des années trente. Gummo, c'était un peu l'oublié de la bande, le laissé pour compte, celui dont on ne parlait jamais. Les petites gens de Xenia sont tous des Gummo. Sans avoir pu  prendre en marche le train la croissance économique, ils se sont vus bannis par une société américaine bien pensante qui ferme les yeux pour oublier, à tout prix, leur existence.
Parfois très proche du documentaire, le film est un instantané de ces vies broyées, un témognage sans concession sur la déliquescence d'une Amérique malade, gangrainée de l'intérieur. Autant adulé au Japon qu'il est détesté aux Etats Unis (et on comprend pourquoi...), Gummo ne peut laisser indifférent. Sans aller jusqu'à le qualifier de chef d'oeuvre, nous tenons là indéniablement, un sacré bon film.

Note : 16,5/20

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