Deux acteurs charismatiques au service d’une histoire d’amour complexe, inspirée de la vie réelle de William Masters et Virginia Johnson, les pionniers de la sexologie moderne.
Si les scénaristes de Masters Of Sex ont bien compris que le côté licencieux de la sexologie attirerait un large public, il serait bien horrible de réduire la série à ce simple thème. Les luttes raciales et la condition de la femme, tout comme l’omniprésence de la religion constituent les autres sujets abordés tout au long des trois saisons, toujours par le biais de rôles emblématiques. Les deux personnages principaux développés à l’écran s’inspirent de la vie du véritable Docteur William « Bill » Masters (Michael Sheen) et de sa secrétaire Virginia Johnson (Michael Sheen), qui deviendra sa partenaire essentielle de recherche, dont ils ont été des pionniers.
Dans la ville de Saint-Louis, le gynécologue-obstétricien nourrit le profond espoir de percer les mystères de l’acte sexuel, à travers une étude concrète. Malgré les réticences du doyen (Beau Bridges) de l’Université de l’hôpital dans lequel il exerce, il se lance dans l’observation de volontaires, hommes et femmes, durant leur « automanipulation » (masturbation) puis dans les rapports à deux. Sa secrétaire, Virginia Johnson , propose très vite des améliorations, qui permettront la mise à jour des différentes étapes physiologiques d’un rapport sexuel. Mais plus que cela, elle perturbera Bill dans ses convictions, fera sauter de nombreux verrous et permettra une libération sexuelle de la femme, à travers des données scientifiques incontestables.
Virginia et Bill se lancent, tout comme les véritables scientifiques à l’origine de la série, dans la première grande exploration de ce type. La place primordiale de cette « étude », dans la première saison, donne lieu à des scènes drôles, crues et inédites à l’écran, renforcées par l’utilisation d’accessoires novateurs mais pour le moins délirants. D’ailleurs, le générique de Masters of Sex, tel un tango suggestif, alterne concombre, champagne jaillissant d’une bouteille ou train rentrant dans un tunnel, et nous met déjà dans l’ambiance : sans tomber dans la pornographie de bas étage, la série assume son penchant érotique. Le mélange d’accordéon, piano droit et percussions, aux couleurs chaudes, soutiennent le montage syncopé de cet excellent générique, rappelant celui de Dexter. Le récit nous plonge dans la société puritaine et conservatrice du Midwest des années 50. Ce monde verrouillé, empêtré dans une bondieuserie oppressante, sur fond de luttes raciales, nous jette à la figure une misogynie écrasante et un culte obsessionnel du mariage. Ce climat encourage donc toutes les expériences !
La série soulève alors de multiples tabous tout en s’engouffrant dans l’évolution des mœurs de l’époque. Ce « décalage » temporel permet aussi aux scénaristes de justifier les nombreux questionnements liés à l’étude et l’utilisation d’un vocabulaire jadis très cru. Loin de se cantonner au pur spectacle sexuel, traité avec finesse et beaucoup d’humour, la série pousse à l’introspection, à une profonde réflexion sur nos propres pratiques, notre considération du plaisir, du partage avec l’autre, de la place des sentiments dans l’acte. L’étude de Masters et Johnson nous happe, nous secoue. On ne sort pas indemne, et pour le meilleur probablement, de cette réflexion intime. L’écriture est parfaite, la mise en scène joue sur les détails, les intonations et les regards. Le mélange de crudité et d’allusions, de profondeur et de sciences fait parfaitement mouche.
En 2016, notre quotidien est miné d’images pornographiques omniprésentes, nous renvoyant à une pseudo liberté de corps et d’esprit. Mais les tabous soulevés dans les années 50 ne sont-ils pas les mêmes que ceux qui nous préoccupent aujourd’hui ? Sous couvert de libéralisation des mœurs, ne s’est-on pas enfermé dans d’autres stéréotypes tous aussi misogynes et liberticides qu’à l’époque de l’étude des deux scientifiques ? Les femmes sont-elles de nos jours aussi libres qu’on pourrait nous le faire croire ? Sont-elles conscientes de leur propre plaisir, de leur désir ? Masters Of Sex apporte des éléments de réponses, aide à s’assumer en tant que femme et incite l’homme à s’interroger sur sa position.
La série fait partie des rares œuvres féministes de notre ère. Plusieurs femmes fortes jalonnent les trois saisons : Betty la prostituée (Annaleigh Ashford), le femme du doyen Margaret (l’excellente Allison Janey), Libby, la femme de Bill (Caitlin Fitzgerald) et bien sûr Virginia, profondément libre et indépendante. Toutes tenteront, à un moment ou à un autre, de s’extirper de la société phallocratique dans laquelle elles vivent, qui leur impose un carcan bien pensant, dans lequel l’épanouissement et le bonheur n’ont qu’une faible valeur. Cette confrontation violente révèle une société immature, que l’étude ébranlera et choquera.
A l’instar de Mad Men, l’image léchée est impeccable, avec un travail particulièrement intelligent effectué sur la mise au point et ses effets dramatiques : on joue sur la profondeur de champ, sur les regards en arrière plan, tout en créant de véritables tableaux. Les scènes de sexe sont dans un premier temps filmées de manière scientifique, avec beaucoup de plans fixes, un montage plutôt froid et pragmatique, avant d’évoluer, particulièrement dans le deuxième chapitre, vers une plus grande nudité et une sensualité assumée. Les deux acteurs principaux donnent littéralement leur corps à cette étude ! L’opposition physique entre eux est entretenue car Lizzy Caplan, tout en minceur, rompt avec le léger embonpoint de Michael Sheen, d’habitude si svelte. L’actrice américaine laisse libre court à sa spontanéité pour donner corps à Virginia. Avec sa diction singulière et un charme inhabituel, Lizzy Caplan incarne une femme moderne, assumant sa jouissance, loin des canons désincarnés actuels. L’acteur gallois en face d’elle joue tout en retenue sur les névroses de son personnage, d’abord arrogant et insensible. Son regard fuyant et extrêmement mobile trahit ses sentiments véritables et le conflit entre l’homme et le scientifique. La carapace de Masters craque dans quelques scènes très intenses, telles de véritables éruptions qui soulagent soudain la pression.
Bien qu’en totale opposition physique, les partenaires se cherchent, se fustigent ou s’exaltent. Comme dans les bons films (Les Vestiges du jour, L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, Elle et Lui, Loin du Paradis) ou séries (The Hour, Downton Abbey, The Good Wife), les conventions et la pression sociale défient l’histoire d’amour naissante. De nombreuses barrières morales empêchent le Docteur Masters de s’avouer l’amour qu’il porte à son assistante ; de son côté, Virginia refuse de s’abandonner à ses sentiments, ayant vécu de douloureuses aventures sentimentales. Mais on le sait bien, les histoires d’amour sont meilleures lorsqu’elles sont compliquées. Après une première saison dédiée à l’étude et à la mise en place des univers propres aux deux personnages principaux, les névroses enfouies de Bill Masters seront au cœur de la deuxième. Michael Sheen joue alors une partition sensible et bouleversante. Enfin, Virginia devra faire de terribles choix dans le troisième opus, tant son envie de liberté est grande.
Le scénario parvient donc à évoluer, tout en gardant l’érotisme initié dès le premier épisode. Notre intérêt tout comme les sujets abordés varient. Car après avoir été dans la peau d’un sexologue, le spectateur se déplace ensuite dans la vie privée des deux principaux protagonistes. On assiste là à un autre type d’étude sexologique ! Masters et Johnson sont eux-mêmes soumis aux pressions qu’ils étudient, créant ainsi une mise en abyme passionnante à l’écran. L’ultime saison est un achèvement, un tournant dans la vie de chacun, qui nous tient en haleine, après une décennie passée avec eux. Cette durée, traversée grâce à de judicieuses ellipses, emporte avec elle les autres personnages, que l’on suit avec une attention croissante. On doit notamment saluer l’interprétation de Caitlin Fitzgerald, sorte de réincarnation d’Audrey Hepbrun, dont la beauté douce et harmonieuse et la finesse de jeu donnent une ampleur inattendue à la femme malheureuse et esseulée de Bill. Tout comme pour Virginia ou Margaret, de rudes choix jalonneront sa route.
Masters of Sex est diffusée par la chaîne américaine Showtime, alors qu’elle n’est introduite en France que par la chaîne câblée OCS Série. L’absence d’une diffusion facilement accessible dans le paysage audiovisuelle français montre bien la réticence qui perdure face à un sujet aussi sensible que le sexe. Vous pouvez donc d’ores-et-déjà vous procurer le coffret intégral des deux premières saisons, en attendant la sortie en DVD/Blu-Ray du troisième opus (avril 2016) et avant la diffusion, à l’été prochain, de la quatrième saison.
La Cinéphile Éclectique (Carnets Critiques)
Série créée par Michelle Ashford, d’après le roman éponyme de Thomas Maier.
Diffusée depuis le 29 septembre 2013 sur la chaîne Showtime aux États-Unis, en France depuis le 11 octobre 2013 sur OCS City.
Avec Michael Sheen, Lizzy Caplan, Caitlin Fizgerald, Beau Bridges, Teddy Sears…
Sortie en DVD/Blu-Ray (intégrale saisons 1 et 2) le 5 octobre 2015 aux éditions Sony Pictures Entertainment. Sortie DVD/Blu-Ray de la Saison 3 le 6 avril 2016.