Emotions & personnage

Par William Potillion @scenarmag

Nous ressentons tous des émotions et nos personnages n’échappent pas à la règle. Il serait alors intéressant de nous pencher sur comment nous pourrions transmettre des émotions dans des scènes sans dialogues.
Les émotions des personnages sont l’un des principaux vecteurs de l’empathie. C’est à un niveau émotionnel que la connection avec le personnage se fait. Il y a une interaction pleine de sens et profonde avec le personnage lorsque les émotions de ce dernier permettent au lecteur de ressentir l’histoire dans sa chair et de s’identifier au personnage.

Il y a d’abord l’arc dramatique du personnage c’est-à-dire l’évolution de sa personnalité au cours de l’histoire. Au début de l’histoire, le personnage a une faiblesse et les leçons apprises au cours de son aventure par les épreuves et obstacles rencontrés devraient lui permettre de combler cette faiblesse, ce défaut dans sa personnalité pour devenir un être meilleur.
Vous noterez d’ailleurs que l’objectif extérieur (la mission du personnage dans l’histoire, en quelque sorte) ne peut avoir une chance de réussir tant que le personnage n’a pas résolu son problème personnel.

Il y a ensuite des émotions plus fugaces qui dépendent de la situation présente du personnage c’est-à-dire au niveau de la scène.

Un scénario étant un document technique destiné à un metteur en images, il vous faut donc montrer les sentiments ou les émotions authentiques d’un personnage dans l’action du moment. Pour montrer, il suffit de décrire les émotions par la relation du personnage avec les autres personnages et par sa réaction aux conflits.

L’arc dramatique ou le développement émotionnel du personnage

Toutes les histoires ont une ligne d’action dramatique c’est-à-dire que votre protagoniste va vivre une aventure (une sorte de voyage extérieur : une mission à accomplir, un objectif visible à atteindre) qui provoque chez lui une transformation profonde et durable de sa personnalité. Ce changement se fait dans la durée de l’histoire, il n’est pas immédiat.
C’est un arc dramatique qui montre les différentes étapes du développement émotionnel du personnage. Chacune de ces étapes sont autant de scènes qui en se cumulant concluent l’arc du personnage. Il a surmonté d’une manière ou d’une autre sa faiblesse rédhibitoire (même si cette manière paraît négative comme la mort du personnage par exemple, elle n’est en rien négative. La mort est alors comprise comme une rédemption).

Concrètement,

  1. Le protagoniste est introduit dans l’acte Un et sa faiblesse est exposée.
    Lire :
    LE DEFAUT PRINCIPAL DE VOTRE PERSONNAGE
  2. Chaque action ou décision que prend le protagoniste reflète son développement émotionnel. Arrivé au point médian de l’histoire, comme les enjeux augmentent, le protagoniste nous montre qui il est vraiment dans sa façon de réagir émotionnellement sous plus en plus de pression.
  3. Ce développement émotionnel (ou arc dramatique) implique de nouveaux comportements d’ordre émotionnel et une évolution de sa personnalité qui émerge progressivement pour aboutir à une maîtrise de soi ou à une transformation qui sont révélées au moment du climax.

Les scènes sont l’espace où les réactions du personnage à l’action dramatique prennent place. Ces réactions se cumulent progressivement de scène en scène pour aboutir à une transformation de la personnalité du personnage. Cette progression est la garantie d’un arc dramatique crédible et s’étend sur toute l’histoire.

Gardez bien à l’esprit que ce qui accroche le lecteur à une histoire (peut-être inconsciemment) est de voir l’arc dramatique du personnage auquel il s’identifie. Cet arc l’inspire et le connecte à l’histoire. Le personnage est donc l’élément dramatique sur lequel l’auteur devrait d’abord se pencher.
Considérez donc l’hypothèse que l’arc dramatique du personnage principal est significatif du point de vue du thème de votre histoire.

Un exemple : Sa Majesté des mouches de William Golding
Au début de l’histoire, Ralph, le protagoniste (12 ans et leader improvisé du groupe de garçon) nous est présenté. C’est un garçon sensible, sûr de lui et qui prône des idéaux et des valeurs telles que l’ordre, la sécurité, la démocratie et l’égalité.
Dans le milieu de l’histoire, la fragile société vole en éclats. Ralph est défié à la fois par un antagoniste (Jack qui est le chef de son propre groupe) et par ses propres problèmes personnels.
Lorsque Ralph atteint le moment de la crise la plus forte de son personnage, il comprend qu’il a à jamais perdu son innocence.
A la fin grâce à une maîtrise de soi acquise par sa maturité (fruits de ses expériences au cours de son aventure), il est capable de modifier son comportement et de faire taire ses émotions. Maintenant il a compris la vie et lui-même d’une façon qu’il n’aurait jamais pu atteindre sans avoir fait l’expérience des actions dramatiques sur l’île. La personnalité de Ralph en est profondément et durablement changée.

Scène après scène, le développement émotionnel du personnage commence dès le début de l’histoire, s’approfondit dans le milieu pour aboutir à un changement définitif de sa personnalité à la fin. Vous devez donc préparer ces scènes, les identifier tout au long de l’histoire.

Les émotions fugaces

Selon ce qui est dit ou fait dans une scène, l’humeur du personnage (basée sur sa personnalité authentique) fluctue elle aussi. L’action dramatique décrite dans une scène est donc en mesure d’affecter l’état émotionnel du personnage à cet instant précis.

La personnalité du personnage reste constante d’une scène à l’autre. Si la lâcheté est sa faiblesse, il n’y a qu’à la fin (lors du climax, par exemple) qu’il surmontera cette faiblesse en faisant preuve d’un courage rare et par là, s’étant révélé à lui-même, le personnage s’en trouve à jamais transformé.
Par contre, selon ce qui se joue dans cette scène (l’action dramatique), il peut sauter d’une émotion à l’autre à l’intérieur même de la scène. L’action cause un effet émtionnel sur le personnage, ce qui peut mener à un comportement erratique guidé seulement par un état émotionnel particulier.
Ce qu’éprouve le personnage à ce moment précis est temporaire et surtout fluctue en intensité. C’est d’ailleurs cette intensité qui doit être recherchée par l’auteur au niveau de la scène.

Pour montrer cet état émotionnel fugace au niveau de la scène, deux possibilités s’ouvrent à vous.

1) A la suite de chaque tournant majeur de l’histoire ou bien lors d’une scène illustrant un revers pour le personnage principal, celui-ci a une réaction émotionnelle ou bien une réponse émotionnelle. Votre personnage agit puisqu’on ne peut pas montrer ce qui se passe dans sa tête. Notez le lien de causalité : une cause (moment majeur de l’histoire) produit un effet (une réaction émotionnelle sous la forme d’une action).

C’est comme dans la vie réelle en fin de compte. Lorsque tout va bien, on parvient généralement à se maîtriser. Il suffit cependant que les choses tournent mal (un conflit, on se retrouve coincé dans une impasse…) et notre vraie nature se révèle. C’est le même principe avec nos personnages. Un effet émotionnel (causé par une action dramatique) qui se montre sur le plan superficiel révèle une intériorité profonde. De plus, la manière dont va répondre sous un aspect émotionnel le personnage dans une situation conflictuelle, exigeante et stressante démontre visuellement où ce personnage en est dans son développement émotionnel, c’est-à-dire à quel point de son arc dramatique il est rendu à ce moment de l’histoire.

Rendre un personnage fascinant ne peut se limiter à créer du suspense, de la tension, du conflit et une certaine curiosité. Ces éléments dramatiques sont effectivement nécessaires mais ce qui fascine chez un personnage et facilite l’identification sont ses réactions émotionnelles fugaces (limitées à une scène) et son arc dramatique. Ne négligez pas le développement de la psyché de votre personnage. Les défis auxquels il est confronté doivent l’affecter émotionnellement en allant chercher profondément et le plus honnêtement possible en regard de sa personnalité ses actions et réactions au trouble qui s’empare de lui.
Et ne soyez pas surpris si des émotions contradictoires se font jour tant qu’elles restent confinées au niveau de la scène.

2) Une émotion temporaire peut être montrée à l’intérieur d’une scène par le langage du corps. C’est-à-dire les expressions faciales, la gestuelle, l’attitude et pourquoi pas un acte manqué mais aussi le ton employé et les inflexions de voies, le débit des dialogues…
Evidemment, il est préférable que cela soit sincère et approprié à la fois à la situation et au personnage.

Comme il y a un risque de clichés avec cette méthode, il est donc préférable de bien connaître son personnage pour atteindre à une certaine authenticité. Il ne doit y avoir aucun doute dans l’esprit du lecteur sur ce que ressent le personnage. Cette communication non verbale doit être intimement liée à la personnalité du personnage et plus celui-ci exprimera ainsi son sentiment de façon claire, plus le lecteur le ressentira.

C’est dans sa chair, viscéralement, que le lecteur doit éprouver un ressenti face aux expressions, à la gestuelle et aux attidudes. Il est en phase avec l’action dramatique qui se joue sous ses yeux et en interprétant le langage non verbal du personnage, il peut juger du développement émotionnel global de celui-ci.

Cet article est très librement inspiré de Martha Alderson.