DEADPOOL : Fantasme anti-héroïque ★★★★☆

L’arrivée de l’anti-héros de Marvel sur nos écrans annonce-t-elle une nouvelle ère du film de super-héros ?

DEADPOOL

On l’attendait celui-là ! Onze ans que Ryan Reynolds se bat pour mener à bien une adaptation du plus célèbre anti-héros de Marvel. Bien entendu, on préférera oublier X-Men Origins : Wolverine, dont l’introduction forcée du personnage conserve encore aujourd’hui des airs de sodomie sans lubrifiant, aussi bien pour le Merc with a mouth que pour ses fans. Cette fois-ci, plus de tromperie sur la marchandise : Deadpool, le seul, le vrai, nous arrive sur grand écran avec sa tenue rouge sang, ses blagues salaces et scato, ses « fuck » balancés à tour de bras, sa sexualité débridée, sa violence gratuite et stylisée, et surtout, sa conscience du monde de la fiction. Dès l’ouverture, le ton est donné. Avec son générique parodique, le film rassure quant à sa compréhension de la figure à laquelle il s’attelle, ainsi que le symbole qu’elle représente. Deadpool ne choque pas juste pour choquer, il interroge les médias qui décrivent ses aventures, pour mieux remettre en question leurs codes et leurs clichés (à commencer par ceux de Marvel au sein même de ses comics). Par chance, le personnage s’exporte avec panache sur grand écran, et si l’on pourra reprocher au cinéaste Tim Miller (surtout connu en tant que concepteur d’effets spéciaux) le manque d’innovation de sa mise en scène, il ne fait que s’effacer face à son sujet, qui devient son propre réalisateur en brisant le quatrième mur et en contrôlant la chronologie de son récit, le cadre ou encore la musique.

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Ce post-modernisme inhérent à l’univers du mercenaire n’est pourtant pas uniquement présent pour le besoin de la vanne et du clin d’œil. Il révèle avant tout la réelle sincérité du projet, tournée tout du long vers le spectateur et son plaisir. Comme une réponse aux blockbusters super-héroïques de plus en plus calibrés et aseptisés, qui déréalisent leur univers au point de ne même plus croire à ce qu’ils racontent, Deadpool se lance à corps perdu dans son délire, et ne se soucie guère de la fidélité ou des conventions. Ici, la parodie est au centre même d’une histoire réduite à son minimum pour mieux analyser sa structure. Si les origines de l’anti-héros sont assez évidentes (Wade Wilson, atteint d’un cancer incurable, accepte de participer à un programme secret où il se fait administrer le sérum d’immortalité de Wolverine, mais qui le défigure en contre-partie), elles dévient rapidement du genre pour se transformer en pur revenge movie (Deadpool traque Ajax, le cerveau de l’opération) teinté de… comédie romantique, lorsqu’il développe la relation entre Wade et sa copine Vanessa. Ce mélange plutôt original et assumé permet surtout d’éviter les passages obligés maladroits et forcés (la création de la double-identité et du costume est expédiée en à peine cinq minutes), et dès lors de mieux marquer la singularité de l’ensemble. En fait, la connaissance que Deadpool a de sa condition, ainsi que sa connivence immédiate avec le spectateur, ne fait pas vraiment du métrage un film de super-héros, mais plutôt la vision fantasmée que chacun se fait des super-héros. Tel un jeu de gamins dans une cour de récré, on imagine les cascades les plus improbables renforcées au bullet time, un pur délire cinétique fun et badass bourré de pouvoirs en tout genre, alternant flingues et sabres selon l’envie, avec pour seule limite l’imagination et la surenchère.

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En cela, Deadpool est un pur film de rythme, construit comme un rap vénèr marqué par les bavardages incessants du protagoniste, véritablement habité par un Ryan Reynolds qui déploie toute sa force comique. La narration fonce droit, bombardée par une tonne de vannes méta hilarantes, aussi bien cinéphiles (on a droit à du Taken, 127 heures, Alien 3 et même Green Lantern) que critiques envers les confrères X-Men du héros, notamment en ce qui concerne la chronologie foutraque de la saga. Néanmoins, toute cette liberté de ton a un prix, et ce dernier n’est autre que le budget ridicule donné par la Fox, estimé autour de 50 millions de dollars (autrement dit une broutille pour un film du genre). Et même si le personnage est le premier à en rire, force est de constater que l’originalité du long-métrage en souffre, desservi par une pauvre variété des décors et une lumière diablement terne. D’un autre côté, il a la bonne idée de le présenter comme une fierté, telle une limite nécessaire pour pouvoir s’exprimer pleinement avec le tampon R-Rated, quitte à parfois prendre une pose autosatisfaite. C’est alors qu’on se rend compte que Deadpool n’est peut-être pas aussi subversif qu’il veut le laisser paraître, voire un peu sage par rapport à la folie originelle du mercenaire, troquée par un sentimentalisme quelque peu dynamité (la scène du godemichet), mais qui a tendance à plomber le deuxième acte.

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Ainsi, derrière le torrent de plaisir qu’il procure, Deadpool est, involontairement ou non, plus amer qu’il en a l’air. En énumérant ses qualités comme ses défauts, la problématique principale qui en découle n’est autre que l’incapacité des studios hollywoodiens à prendre des risques. Un problème évident et connu de tous, mais qui renvoie à des périodes où la machine à rêves l’était beaucoup moins. Bien évidemment, la majorité des cinéastes subversifs ont toujours eu besoin de ruser. Cependant, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’aurait été le film de Tim Miller réalisé dans les années 80 par un Verhoeven, Carpenter ou McTiernan (de toute façon, Deadpool a été créé dans les années 90… Dommage !). Après tout, Wade Wilson lui-même se plaît à sortir des vinyles de Wham ! ou à écouter de la musique sur un vieux walkman, symboles d’une nostalgie qui tente de lutter face aux blockbusters trop lisses de notre époque. La plus grande force de Deadpool est alors d’avoir conscience de ses limites, pris au piège des cahiers des charges stricts des studios sans pour autant capituler. Il reste debout, le majeur fièrement tendu, et ce pour nous livrer l’une des plus belles doses de fun que l’on ait pu voir dernièrement sur grand écran. Le résultat n’est pas la révolution super-héroïque attendue, mais la démarche à elle seule est à défendre. Et puis, on ne remerciera jamais assez ce cher Wade Wilson de nous avoir redéfini ce mot simple avec lequel on peinait à décrire les grands divertissements américains récents : « cool ».

Réalisé par Tim Miller, avec Ryan Reynolds, Morena Baccarin, Ed Skrein, Gina Carano

Sortie le 10 février 2016.