STEVE JOBS : Une odyssée humaine ★★★★★+♥

Une théâtralisation viscérale sublimée par l’écriture sagace de Aaron Sorkin.

steve-jobs-1

A chaque année, son flot de biopics et/ou films inspirés de faits réels. Après le décevant Legend et l’intense Spotlight, nous retrouvons le charismatique, fiévreux et colérique fondateur de la célèbre entreprise qui a modifié nos modes de consommation. D’abord emmené par David Fincher himself, Steve Jobs a été repris par son homologue britannique et concurrent Danny Boyle, après un abandon et la renonciation de Sony pour « différends artistiques ». Avec le CV, à la fois, sporadique, audacieux et contestable de Boyle, nous pouvions être fébriles quant à la mise en scène. Par ailleurs, nous savons que les biopics hagiographiques sont légion et, à l’instar de l’aîné Jobs (Joshua Michael Stern), nous nous trouvons très souvent face à des récits « wikipédesques » à la chronologie lancinante. Mais voilà, derrière ce projet se tient également une prestigieuse figure de la narration et du dialogue. Je nomme ici Aaron Sorkin, créateur de A la Maison blanche ou encore de The Newsroom et scénariste de The Social Network. Grâce (à) ou par la faute de ce dernier, on se prend à rêver de ce qu’aurait pu être le Steve Jobs de Fincher/Sorkin. Mais être parachuté sur une oeuvre « sorkinienne » est un réel défi : ce second biopic redonne-t-il ses lettres de noblesse à un Boyle ambitieux ?

Michael Fassbinder Makenzie Moss

En décidant de ne se concentrer que sur trois pans symboliques de l’histoire de Steve Jobs (1984, 1988 et 1998), le scénario prend le parti pris de s’affranchir des codes du genre. Par ailleurs, le scénariste et le metteur en scène prennent quelques libertés pour agrémenter une essence narrative plus intrinsèque. Cela peut décontenancer le spectateur, surtout quand elle est accompagnée d’une logorrhée pendant les deux heures du film. Mais c’est en cela que nous ressortons l’intelligence de cette écriture. Trois grands actes évitant une frise chronologique anodine et irritante pour laisser place aux coulisses en temps réel. Le film de Danny Boyle se veut plus une odyssée humaine cachée derrière la création de produits démystifiant, ainsi, l’homme idolâtré par l’Amérique. Le duo a voulu raconter comment des idées révolutionnaires pouvaient se retrouver entre les mains d’un despote névrotique. Le scénario préfère porter l’attention vers le désir immodéré de puissance, le parcours chaotique d’une création,  les interactions avec chaque personnage et sa paternité, le tout accompagné par des joutes oratoires et chirurgicales permettant au long-métrage d’atteindre une dramaturgie rutilante.

steve-jobs-3

Souvent qualifiée d’exubérante ou faiblarde, la réalisation accompagne parfaitement l’écriture de Sorkin. Le montage retransmet le dynamisme et la fluidité des dialogues en enrichissant la puissance de chaque séquence, notamment lorsqu’il use de montages alternés : la confrontation Steve Jobs/John Sculley est un exemple efficace. Le spectateur sort éreinté face à cette illustration du monde tumultueux dans lequel vivait l’entrepreneur. Pendant deux heures, Danny Boyle s’amuse à mettre en scène un va-et-vient perpétuel entre les mêmes personnages et des lieux qui se ressemblent, en finissant chaque acte sur scène. En cela, le film reprend les codes d’une mise en scène théâtrale. D’ailleurs, le réalisateur enferme son personnage dans un quasi huis-clos, le suit à l’aide de travellings dans de longs couloirs pour provoquer un sentiment de tournant, d’enfermement. Steve Jobs et ses partenaires sont finalement présentés comme des personnages shakespeariens dans une tragédie où le premier serait un roi aliéné.

Danny Boyle nous propose certainement l’un de ces films les plus matures en arrivant à épouser l’écriture viscérale et particulièrement dense de Aaron Sorkin. Les symboliques de l’œuvre permettent d’apporter une nouvelle analyse. Les deux acolytes ne prennent jamais une position arbitraire, laissant à chacun définir si oui ou non, Steve Jobs était un bourreau qu’on adorait détester. Il fallait dompter ce monstre de narration -je cite Boyle« aux idées en mouvement perpétuel », le challenge est réussi.

 Réalisé par Danny Boyle, avec Michael Fassbender, Kate Winslet, Seth Rogen, Jeff Daniels

Sortie le 3 janvier 2016.