C'est la première fois depuis Goodbye Lenin qu'un film non-anglophone est montré en section "Première" à Sundance.
, une jeune interne de la Croix-Rouge chargée de soigner les rescapés français avant leur rapatriement, est appelée au secours par une religieuse polonaise.
D'abord réticente, Mathilde accepte de la suivre dans son couvent où trente Bénédictines vivent coupées du monde. Elle découvre que plusieurs d'entre elles, tombées enceintes dans des circonstances dramatiques, sont sur le point d'accoucher.
Peu à peu, se nouent entre Mathilde, athée et rationaliste, et les religieuses, attachées aux règles de leur vocation, des relations complexes que le danger va aiguiser...
C'est pourtant ensemble qu'elles retrouveront le chemin de la vie.
Extrait de l'entretien avec la réalisatrice, Anne Fontaine, relevé dans le dossier de presse.
Le destin de ces soeurs est hallucinant : selon les notes de
Madeleine Pauliac, le médecin de la Croix-Rouge dont le film s'inspire, 25 d'entre elles ont été violées dans leur couvent - parfois plus de 40 fois d'affilée -, 20 ont été tuées, et 5 ont dû affronter des grossesses. Cela ne montre pas les soldats soviétiques sous un aspect flatteur mais c'est la vérité historique; une vérité que la Pologne n'ébruite pas mais qu'un certain nombre d'historiens connaissent. Ces militaires n'avaient pas le sentiment d'accomplir des actes répréhensibles : ils y étaient autorisés par leurs supérieurs en récompense de leurs efforts. La brutalité dont ils faisaient preuve est malheureusement toujours d'actualité. Dans les pays en guerre, les femmes continuent de la subir.
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Je viens d'une famille catholique - deux de mes tantes étaient religieuses -, j'ai des notions en la matière. Mais je ne sais pas travailler sur un sujet sans le connaître parfaitement et j'ai voulu éprouver de l'intérieur ce qu'était la vie dans un couvent. Il me semblait important d'appréhender le rythme des journées d'une religieuse.
J'ai effectué deux retraites chez les Bénédictines, la même congrégation que celle du film. Je n'étais que simple observatrice pendant la première, mais j'ai véritablement vécu la vie d'une novice durant la seconde.
Au-delà de la vie en communauté, qui m'a beaucoup impressionnée... cette façon d'être ensemble, de prier et de chanter sept fois par jour, comme dans un monde suspendu où l'on a à la fois le sentiment de flotter dans une sorte d'euphorie et celui d'être tenue dans une discipline très forte... j'ai vu les rapports humains qui s'y établissaient : les tensions, les psychologies mouvantes de chacune. Ce n'est pas un monde unidimensionnel et figé. Mais ce qui m'a le plus touchée et que j'ai essayé de retranscrire, c'est la fragilité de la foi. On pense souvent que la foi cimente ceux qui en sont animés. C'est une erreur : comme le confie Maria à Mathilde dans le film, c'est au contraire
"vingt-quatre heures de doute et une minute d'espérance". Cette phrase résume ce que j'ai ressenti en parlant avec les soeurs et en assistant à une conférence de Jean- Pierre Longeat, l'ancien Père Abbé de l'abbaye Saint-Martin de Ligugé, autour du questionnement de la foi. Ce qu'il disait était bouleversant, et résonnait profondément dans le monde laïc.
J'ai eu la chance de rencontrer des personnes qui l'ont tout de suite regardé d'un oeil complice bien qu'il dise des vérités un peu compliquées sur l'Église. On doit partager avec les soeurs la situation paradoxale dans laquelle les ont plongées ces agressions : comment se confronter à la maternité lorsqu'on s'est engagé à dédier entièrement sa vie à Dieu ? Comment garder la foi face à des faits aussi terribles ?
Que faire face à ces nouveaux-nés ? Quel est le champ des possibles ?
Ils en avaient vu certains, notamment
La fille Monaco et Coco avant Chanel... Un moine m'a même confié que l'un de ses préférés était Perfect Mothers. J'avoue avoir été un peu étonnée.
Pascal n'était pas plus que moi familier de ce genre de sujets mais nous nous étions bien entendus sur l'écriture de
Gemma Bovery, mon film précédent. Tout notre travail a consisté à faire s'interpénétrer peu à peu les deux mondes du film : celui, matérialiste de Mathilde, cette médecin communiste un peu raide, et celui, spirituel, des soeurs, dans une Pologne traditionnelle et secouée par la guerre. Comment Mathilde allait-elle parvenir à percer le mur derrière lequel ces femmes se sont retranchées, elles qui veulent que rien ne bouge ni se sache ? Comme dans toutes les situations paroxystiques, le comportement humain peut devenir subversif. Face à ces questionnements idéologiques, Pascal et moi avons cherché à creuser la psyché et la part d'ombre de chaque personnage.
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C'est une scientifique, très en avance sur son époque, d'autant que les femmes médecins étaient alors très rares...
Elle est jeune, vient à peine de finir ses études et n'est encore qu'une assistante à la Croix-Rouge.
Elle accomplit en quelque sorte un parcours initiatique.
Il faut un sacré cran pour affronter la responsabilité d'accoucher ces femmes, de garder un secret si lourd et prendre les risques qu'elle encourt à traverser ainsi la forêt de nuit pour se rendre au couvent, en tentant de contourner les barrages soviétiques. Elle manque d'ailleurs de le payer physiquement, ce qui la rapproche des soeurs. Mathilde est très loin de l'univers de ces religieuses. Elle veut soigner et que les choses avancent. Mais ce n'est pas non plus un personnage manichéen : sans y adhérer, elle entrevoit peu à peu ce que peut-être le mystère de la foi.
Sa mission était de soigner et de rapatrier les militaires blessés et les anciens prisonniers...
Mais seulement les ressortissants français. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Mathilde commence par éconduire la novice Teresa lorsqu'elle se rend au dispensaire.
Maria, comme Teresa d'ailleurs, se résout à transgresser ainsi les règles de son ordre ; des règles auxquelles elle s'était habituée à obéir aveuglément. La transgression est un thème qui m'a toujours intéressée. Au fond, d'une manière plus stylisée, ce film est dans la prolongation des sujets que j'ai traités, qu'il s'agisse d'
Entre ses mains ou de Nettoyage à sec.
C'était un personnage extrêmement difficile à construire et à équilibrer. On peut considérer qu'elle commet des actes atroces. Mais je me suis vite rendue compte que, sans édulcorer ses agissements, il fallait tenter de comprendre ses motivations intérieures. J'ai souhaité qu'elle s'explique avec cette phrase ambiguë prononcée devant les soeurs : "Je me suis perdue pour vous sauver."
Lorsqu'elle implore l'aide de Dieu, puis lorsqu'on la voit malade sur son lit, sans voile, on sent qu'elle est aspirée dans un gouffre. On peut facilement tomber dans la caricature avec ce genre de rôle. Sans Agata Kulesza, qui est exceptionnelle, je ne sais pas si la Mère Abbesse aurait pu avoir cette intériorité et cette dimension de tragédie grecque.
Comme Agata Kulesza, Agata Buzek est une actrice très reconnue en Pologne. Nous l'avions repérée dans un film avec Jason Statham, et j'ai trouvé qu'elle avait un physique incroyable sidérant, très spirituel justement. Krzysztof Zanussi, aussi, m'avait dit le plus grand bien d'elle. Agata a fourni un travail énorme durant des mois pour s'acclimater au français raffiné et sophistiqué que parle son personnage. Chaque soir, durant le tournage, elle écoutait du Victor Hugo pour se familiariser encore davantage avec notre langue.
Toute l'histoire passe par le point de vue de Mathilde. C'est elle qui nous fait découvrir le monde des religieuses et elle est le témoin des événements inouïs qui s'y déroulent. Elle ne devait pas être mièvre : ne serait-ce que par le métier qu'elle exerce, il fallait qu'elle ait une certaine virilité de caractère. C'est tout le problème de ce genre d'emploi : si l'actrice s'attendrit trop, on arrive à la fin du film avant qu'il soit commencé. J'avais été très impressionnée par Lou dans Respire, de Mélanie Laurent. Elle a une beauté très forte, très particulière ; elle a la grâce. J'ai senti que cette grâce, alliée à ce côté un peu buté qu'elle possède aussi, et une fraicheur et une fragilité qu'on devine affleurer, seraient profitables au film. Lou n'a jamais cette mièvrerie que j'évoquais. Elle peut parfois avoir des regards assez durs. Il était très important qu'on sente à quel point elle devient poreuse à la situation qu'elle découvre, au fil de son parcours, et qu'on sente, à la fin, quelque chose s'allumer de l'intérieur sur son visage, sans qu'on puisse se dire :"Tiens, ca y est, elle est devenue croyante." Ce n'était pas le propos. L'important était que l'on ressente le questionnement métaphysique qui traverse et modifie le personnage. Comment comprendre le sens de la vie dans un tel chaos ? Comment survivre à la violence qui a aussi fortement marqué les chairs des religieuses polonaises ? Comment juger leur foi, qui semble survivre à une épreuve aussi douloureuse ? Lou a une grande intelligence de la dramaturgie et ne joue par sur ses acquis ; elle est vaillante et travailleuse, un peu comme Mathilde. Ce n'était pas évident pour elle de se retrouver tout ce temps au fin fond de la Pologne du Nord entourée de comédiennes Polonaises dont elle ne parlait pas la langue.
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Sur une idée de Philippe Maynial, le scénario de Sabrina B. Karine et Alice Vial se base sur des faits douloureux, monstrueux et bien réels.
Les exactions commises se font douloureusement ressentir au travers des regards, de quelques gestes, de simples protestations. Les dialogues, loin d'être bavards, en disent pourtant long. Ils vont à l'essentiel et n'appuient en rien sur l'horreur du propos.
La lumière blafarde, voire sombre, des intérieurs d'un couvent délabré dans la Pologne des années 1945 augmente le malaise. La réalisation assez démonstrative correspond parfaitement au thème abordé.
Anne Fontaine a déclaré : " Le film soulève les questions qui hantent nos sociétés, et montre tout ce à quoi l'intégrisme peut aboutir."
L'ensemble est minimaliste et réussi. Un face à face avec, d'un côté des femmes qui, pour la plupart resteront inébranlables dans leur foi, définie par l'une d'entre elles comme "vingt-quatre heures de doute et une minute d'espérance" et ce, en dépit des atrocités subies. D'un autre côté, une jeune infirmière athée qui leur portera secours.
Ces face-à-face poussent à la réflexion, au respect, et laisse envisager un espoir. Aussi mince soit-il.
La très jeune, mais convaincante Lou de Laâge, un étonnant casting d'actrices, toutes remarquables, servent magnifiquement ce long-métrage. Un homme arrivera à s'imposer face à ces comédiennes, le touchant et toujours parfait Vincent Macaigne.