Sexe, drogues et rock n’ roll sont au programme de la série produite par Martin Scorsese et Mick Jagger. Un monument de télévision en devenir.
On le sait, la qualité et l’importance croissante des séries télévisées (surtout à l’heure d’Internet, qui facilite grandement leur visionnage, voire leur binge-watching) concurrencent de plus en plus le cinéma. A tel point que les moyens désormais plus conséquents qui leur sont alloués, ainsi que les noms prestigieux du grand écran attirés par l’expérience, floutent continuellement la frontière séparant les deux formats. Pour ne pas tourner autour du pot, Vinyl risque de marquer une nouvelle étape dans l’effacement de cette différenciation. Il faut dire qu’avec HBO aux commandes, Martin Scorsese et Mick Jagger à la production, on n’en attendait pas moins, d’autant plus que le projet demeurait en gestation depuis 2006, alors songé comme un long-métrage de trois heures « à la Casino », pour raconter l’histoire du rock new-yorkais des années 70, en se focalisant sur le regard d’un seul homme. Cet homme, c’est Richie Finestra (porté par un Bobby Cannavale au sommet), un passionné qui se bat au quotidien pour sauver son label American Century Records, menacé de rachat, tout en continuant de découvrir (et de faire découvrir) de nouveaux talents. Impulsif, il doit également combattre ses démons, aussi bien dans sa relation conjugale (sa femme est interprétée par une Olivia Wilde toujours aussi juste) qu’il tente de stabiliser, que dans ses penchants pour l’alcool et la drogue…
Foisonnant, virtuose, frénétique, les adjectifs ne manquent pas pour qualifier ce pilote, qui se fait une mission de nous replonger avec précision dans cette période révolue, grâce à une reconstitution d’une incroyable minutie. Au rythme des tubes qui s’enchaînent, nous partageons les épreuves de Richie, à commencer par cette première séquence merveilleuse où le protagoniste se laisse aller aux effets de la cocaïne. L’immersion touche alors à une pure sensorialité au sein de ce bouillonnement culturel. Nous vivons les mêmes états de transe, surtout au travers de la vraie drogue du personnage : la musique. Vinyl ne se complaît pas dans la nostalgie mais préfère un portrait concerné, passionné et enragé de l’époque qu’il traite. La contemplation de son contexte n’empêche d’ailleurs jamais Martin Scorsese (réalisateur du pilote) d’en oublier son avancée narrative. En se permettant un véritable long-métrage de deux heures (!) comme introduction à sa série, il exploite tout le pouvoir de son art afin de repousser le format de la télévision dans ses retranchements. Au-delà d’une mise en scène ambitieuse, mise en lumière avec brio (jusqu’à ce paroxysme que représente le climax de l’épisode, absolument brillant), le cinéaste prouve toute sa maîtrise du récit serial. Chaque personnage parvient à être parfaitement croqué, tandis que l’histoire s’éclate dans le temps tout en conservant une étonnante limpidité.
En réalité, le pilote de Vinyl est déjà un tour de force à lui seul, que l’on pourrait considérer comme le dernier film pour le cinéma de Martin Scorsese, tel le deuxième volet d’un diptyque moderne sur le pouvoir et le capitalisme avec Le Loup de Wall Street (dont il partage le scénariste, l’excellent Terence Winter). Il se suffirait presque à lui même, bien qu’il donne envie de rapidement découvrir la suite. On devine où se dirigent certains pans du récit, mais l’on parvient malgré tout à être surpris. Le génie de Scorsese repose désormais sur sa conscience des codes qu’il a exploités, voire instaurés. Il est alors que plus jouissif de le voir en dynamiter certains de l’intérieur, d’en modifier quelques traits pour radicalement les transformer. S’il s’amuse à s’auto-citer (dont une scène concernant un coffre de voiture très proche de celle des Affranchis), ce n’est que pour mieux marquer le rôle principal de Vinyl dans sa filmographie : celui d’un héritage offert aux réalisateurs qui lui succéderont pour les prochains épisodes. La série et ses créateurs font ainsi ressentir toute leur énergie au service d’un médium de plus en plus enrichi et transcendé, que ce soit par Breaking Bad, House of Cards ou encore True Detective. Avec une aisance déconcertante, Vinyl semble bien parti pour rejoindre ces œuvres d’exception, si ce n’est représenter l’apogée de cette nouvelle ère de la télévision.
La série sera diffusée 24 heures après sa diffusion américaine, à partir du lundi 15 février sur la chaîne OCS, disponible dans les offres Canal.