[Berlinale 2016] Jour 2 : Des hommes sous influence

Par Boustoune

Des hommes sous influence.
Voilà un titre qui colle parfaitement à cette seconde journée de projections de la Berlinale 2016. Car nous avons pu voir, d’une part, des personnages pliant sous le poids des contraintes extérieures ou sous celui de leur propre égo et, d’autre part, des cinéastes sous l’influence de leurs mentors.

Hedi, premier film du tunisien Mohamed Ben Attia, appartient à la fois à ces deux catégories.
Son personnage principal, Hedi, est un jeune homme qui, dans la Tunisie d’après le printemps Arabe, reprend sa vie en main. Jusque-là, sa mère et son frère aîné ont toujours décidé à sa place. Il lui ont trouvé son métier, sa future épouse, son futur domicile. Il subit la pression de ses proches autant que celle de son employeur. Mais à quelques jours de son mariage, au cours d’un déplacement professionnel, il tombe amoureux d’une jeune femme libre et pleine de vie, qui le pousse à remettre en question l’avenir que les autres ont tracé pour lui.
On ne sait pas si Mohamed Ben Attia a effectué lui-même tous les choix artistiques de son film, mais en tout cas, il adopte le style qui a fait la renommée de ses producteurs, Jean-Pierre et Luc Dardenne : caméra proche des acteurs, mise en scène naturaliste dénuée de pathos et d’artifices… Evidemment, il y a pire comme référence, et ce film désenchanté sur l’après Printemps Arabe est très correctement réalisé, mais on aurait aimé que le jeune cinéaste prenne un peu plus de risques sur la forme et impose une patte plus personnelle.

Denis Côté possède, lui, ce style atypique, même si on devine aisément quels cinéastes ont pu l’inspirer. Son nouveau long-métrage, Boris sans Béatrice, tourne autour d’un chef d’entreprise hautain, volage et égocentrique, qui voit son petit confort voler en éclats lorsque son épouse sombre dans un état de mélancolie profond et reste cloîtrée dans sa chambre, sourde au monde extérieur.
Il est alors harcelé par un homme mystérieux (Dieu, le Diable ou une manifestation de sa conscience?) qui lui demande de changer son comportement radicalement s’il veut que son épouse aille mieux. Le récit oscille entre comédie, drame et fantastique avec un bonheur inégal. La comédie de moeurs est assez réussie, mais elle n’a rien de franchement originale et on peine à s’attacher au personnage principal, qui a tout du connard arrogant et insupportable. L’aspect onirique/fantastique est un peu plus intéressant. Il évoque un peu l’univers de David Lynch, période Lost Highway et Mulholland Drive – en nettement plus light, quand même – mais sombre aussi dans le grotesque par moments, notamment ceux où Denis Lavant cabotine sans vergogne dans le rôle de l’homme mystérieux.
Le bilan est donc assez mitigé. Le film est un peu plus réussi que les précédentes oeuvres du cinéaste, mais il n’y a pas de quoi s’extasier non plus…

Avec Midnight Special, Jeff Nichols marche sur les traces de Steven Spielberg et de John Carpenter. Son nouveau long-métrage, qui entremêle thriller, science-fiction et mélodrame familial, évoque irrésistiblement Rencontres du Troisième Type et Starman. Le cinéaste peut une nouvelle fois démontrer son talent de conteur cinématographique et parler de l’Amérique contemporaine, avec ses cowboys modernes, ses faux-prédicateurs et son atmosphère propice à la paranoïa.
Le mélange de genres semble avoir dérouté une bonne partie des festivaliers, mais, si le film n’est pas tout à fait du niveau de Take shelter, il n’en demeure pas moins ample et ambitieux, et il bénéficie d’une interprétation haut de gamme, dominée par un Michael Shannon une fois de plus impeccable.

Les trois cinéastes de Trivisa, Frank Hui, Jevons Au et Vicky Wong, revendiquent fièrement l’influence de Johnnie To, qui est également leur producteur. On ne sera donc pas surpris de se retrouver devant une histoire de gangsters assez classique, sur fond de rétrocession de Hong Kong à la Chine, en 1997. Le scénario s’inspire de faits réels et des destins de trois figures légendaires de la pègre hongkongaise des années 1990, tout en respectant les figures imposées du genre. Les personnages manoeuvrent pour étendre leur sphère d’influence, établir des alliances fructueuses et trahir leurs partenaires quand nécessaire. On est plus dans le film de gangsters feutré que dans le polar spectaculaire, malgré quelques éclats de violence attendus.
Là aussi, il n’y a rien de bien novateur. La mise en scène est élégante, mais une bonne moitié du casting cabotine de manière outrancière, nuisant à la crédibilité d’un récit déjà inutilement alambiqué.

Quoi qu’il en soit, ce 66ème Festival de Berlin tient ses promesses. A défaut d’être originales, les oeuvres sont au moins soignées et mises en scène avec application. Et elles sont assez variées pour que chacun y trouve son compte. L’Art & Essai pur et dur y  côtoie des longs-métrages plus accessibles au grand public, les essais expérimentaux cohabitent avec des films de genre. Bref tous les cinémas sont représentés dans les salles de la Berlinale et les dix jours de projections s’annoncent passionnants.