Une métaphore dynamique est une métaphore qui bénéficiera d’une ligne dramatique comme n’importe quel autre élément dramatique. Une métaphore fonctionne comme une sorte de raccourci visuel d’un contenu de l’histoire et de puissance émotionnelle.
La métaphore a la particularité de transmettre sans détour une idée en une seule image.
Prenons un exemple :
Out of Africa adapté par Kurt Luedtke.
Métaphore : Les gants blancs
Situons l’histoire :
La baronne Karen Blixen éprouve un amour profond pour l’Afrique, alors que l’Europe entre dans la Première Guerre mondiale. Elle s’acharne à faire pousser des caféiers sur les terres nues et désolées de sa ferme, dans l’espoir de protéger la tribu africaine des Kikuyu qui y vit.
Dans l’acte Un, Karen arrive au Kenya (nous sommes en 1913). Elle s’occupe de la plantation. L’une de ses premièrs actions est de mettre des gants blancs au jeune Kikuyu qu’elle a pris à son service.
Ces gants blancs permettent d’externaliser le conflit central de Karen non seulement avec elle-même mais aussi avec son environnement et Denys (un chasseur de gros gibier qu’elle a rencontré en Afrique et avec lequel elle entretient une proche relation).
Baronne de par son mariage, Karen essaie d’inculquer des valeurs européennes (voire même les signes extérieurs de l’aristocratie) aux enfants de la tribu.
Cependant, le conflit entre cette volonté de Karen de faire entrer des valeurs qui ne sont pas les leurs dans l’esprit des Kikuyus mène à une incompréhension de ces derniers soulignée par le jeune Kikuyu qui observe les gants blancs sur ses mains comme s’ils étaient des objets extraterrestres.
Dans l’acte Deux, Denys lors d’un dîner à la ferme s’amuse de la maladresse du jeune Kikuyu aux gants blancs.
Cette scène souligne la différence entre Karen et Denys sur leur approche des Kikuyus et des normes sociales européennes. En dépit des critiques de Denys, Karen persiste dans son idée des gants blancs ce qui indique qu’elle est encore étrangère à l’Afrique.
A la fin de l’histoire, nous apprenons deux choses importantes au sujet de Karen. La première est qu’elle doit partir car elle est ruinée. La seconde est qu’au contact des Kikuyus tout au long de son aventure, elle a changée.
Pour indiquer cette transformation du personnage, Kurt Luedkte a de nouveau recours aux gants blancs. Lorsque Karen retire les gants blancs des mains du jeune Kikuyu, elle dit qu’elle aurait dû faire cela depuis longtemps.
Cela prouve que bien qu’elle n’est pas réussi son objectif extérieur (éviter la déconfiture de la plantation), elle a néanmois réussi son objectif intérieur : elle a rejeté ses idéaux aristocratiques (symboles de valeurs européennes) et elle s’est rangé vers des valeurs plus égalitaires illustrées par Denys.
La puissance des gants blancs aurait été limitée s’ils n’étaient pas apparus plusieurs fois au cours du scénario. Leur première apparition renforce les valeurs avec lesquels Karen nous est introduit. Ils symbolisent la faille dans sa personnalité car tant qu’elle n’aura pas compris que l’Afrique n’est pas un animal aussi libre et farouche que les fauves que Denys pourchasse, elle ne pourra s’accomplir pleinement.
D’ailleurs, leur seconde apparition signifie cette différence entre les valeurs de Karen et celle de Denys et leur dernière apparition indique le changement qui s’est opéré dans la personnalité de Karen, dans son point de vue lorsqu’elle les retire.
La réutilisation d’un objet (comme dans Out of Africa) peut ainsi véhiculer une signification nécessaire à l’histoire. Ces objets peuvent s’immiscer dans une scène sans faire de bruit ou au contraire assumer totalement leur rôle de métaphore. ils possèdent une élasticité qui permet à l’auteur d’ajouter dans son scénario une couche de signification à l’aide d’une image.
Considérez l’ouverture des Temps Modernes de Chaplin avec le troupeau de mouton se bousculant pour avancer et la foule des travailleurs qui sort de la bouche de métro. Ici, le troupeau est montré comme une métaphore des travailleurs. Il s’agit de montrer les masses et par extension, l’humanité. Chaplin n’a pas réutilisé l’image du troupeau par la suite mais cependant, la métaphore est claire, sans détour.
Une métaphore peut porter sur un objet à la fois concret comme les gants blancs ou le troupeau mais aussi plus abstrait comme un horizon aux couleurs changeantes. Il suffit de comprendre qu’à chaque fois qu’un personnage interagit avec cet objet, nous apprenons quelque chose sur ce personnage. Cette information est induite par la métaphore et elle permet aussi de situer l’état émotionnel du personnage par rapport à ses relations avec autrui (comme avec Karen et Denys).
Ce n’est pas le cas avec les Temps Modernes, mais par contre, avec Out of Africa, nous avons un bon exemple que la métaphore peut elle aussi bénéficier grandement d’une ligne dramatique, autrement dit avoir un début, un milieu et une fin.
Dans ce cas, sa signification est clairement établie dès sa première apparition. Ensuite, dans le cours de l’histoire, la métaphore amène d’autres informations. Vous constaterez en y faisant maintenant attention que la métaphore est souvent enchevêtrée dans plusieurs personnages et on la trouve aussi dans les nouvelles situations ou en d’autres lieux que celui de sa toute première apparition.
La puissance d’évocation d’une métaphore s’exprime pleinement lorsqu’elle concerne plusieurs personnages parce qu’elle permet une confrontation des idées et qu’elle se répète au cours de l’histoire.
Ce qui est passionnant à écrire avec la métaphore est qu’elle peut montrer (souvenez-vous du mantra scénaristique : Montrer, ne pas dire) l’intériorité d’un personnage. Lorsqu’un personnage interagit avec la métaphore, il n’a pas conscience de ce qui est en train d’être révélé au lecteur (c’est de l’ironie dramatique, somme toute). Cela donne une sorte de vérité psychologique qui interpelle parce que la révélation est pure, non polluée par d’autres affects ou informations que le lecteur pourrait éventuellement recueillir de la scène.
Considérons un autre exemple :
Bound de Lana & Larry Wachowsky
Métaphore : Le sécateur
La première apparition du sécateur a lieu dès l’acte Un. Lorsque Ceasar (un truand plutôt minable) observe ses amis mafieux l’utiliser sur un comptable véreux. Toutes les fois où le comptable ne donne pas la bonne réponse, il se fait couper un doigt.
Ce sécateur est une métaphore pour la hiérarchie du pouvoir dans le clan mafieux tout en portant l’idée que le pouvoir est synonyme de brutalité. La personnalité de Caesar est par ailleurs détaillée lorsque celui-ci raconte à Violet (sa femme) son admiration devant ce qu’a fait son chef.
Dans l’acte Deux, pas mal de choses ont changées. Maintenant Ceasar soupçonne Violet et Corky de vouloir le doubler. Ceasar adopte donc les méthodes de son chef et menace les filles avec le même sécateur.
L’utilisation du sécateur dans cette scène sert à indiquer que Ceasar a évolué. Il est devenu ce chef qu’il admire tant. Il a perdu tout sentiment même envers sa femme. De plus, notre crainte pour Violet s’ajoute à la sympathie que nous éprouvons déjà pour elle en tant que personnage principal de cette histoire.
Dans l’acte Trois, Ceasar est devenu un tueur à part entière et il semble bien prêt de remporter la partie. Alors que tout semble perdu pour Violet et Corky, cette dernière, enfermée dans un placard par Ceasar, aperçoit près d’elle le sécateur. Elle s’en sert pour se libérer.
Le sécateur ayant changé de main indique maintenant un changement de pouvoir.
En règle générale, une métaphore peut permuter son sens lorsqu’elle est conçue pour l’antagoniste ou pour le protagoniste. Dans Bound, entre les mains du méchant, elle évoque la brutalité (en tant que concept abstrait, non formel). Entre les mains du protagoniste, la métaphore du sécateur évoque la liberté et la justice. Cette passation de sens fonctionne comme la ligne dramatique de n’importe quel composant narratif (du moins ceux appelé à évoluer au cours de l’histoire, comme l’arc dramatique d’un héros, par exemple).
La métaphore est-elle obligatoire ?
Vous n’êtes évidemment pas obligé d’utiliser les métaphores dans votre scénario. Vous pouvez vous contenter d’insérer de nouveaux éléments (objets ou autre) au fur et à mesure des scènes.
Il est vrai aussi que réaffecter le même élément dans différentes scènes est plus difficile à justifier. Cela demande de l’ingéniosité et une parfaite compréhension de votre thème et de votre message mais si vous y parvenez, le lecteur peut identifier la métaphore et s’engager dans un processus de déchiffrement de celle-ci (un travail mental qui renforce le lien du lecteur avec l’histoire). La répétition de la métaphore ajoute de la valeur dramatique à l’objet.
Dans Bound, le lecteur a consciemment ou non attribué une valeur dramatique au sécateur. Par la répétion de la métaphore, il a été amener à croire que celui qui détenait le sécateur détenait le pouvoir. Lorsque Corky s’empare du sécateur, nous savons qu’il y a un espoir raisonnable qu’elle parvienne à s’échapper. On le croit parce que l’on a compris la signification symbolique de cet objet au-delà de sa simple fonction dans la scène. En effet, Corky aurait pu trouver un téléphone portable, par exemple, pour appeler les secours. Mais cela n’était pas ce qui était voulu par les auteurs. De plus, cet objet nouveau (en plus d’être trop ouvertement assimillé à Deux Ex Machina) aurait reconduit le suspense sur son hypothétique délivrance.
Les métaphores ne vous sauteront pas à l’esprit immédiatement. Elles se génèreront d’elles-mêmes au cours des réécritures. Lorsque vous aurez trouvé une métaphore qui vous permettra d’extérioriser certaines idées, il serait bon de lui imaginer une ligne dramatique en faisant évoluer son sens au rythme de l’évolution des personnages. En particulier, lorsque vous voudrez faire ressortir certaines nuances chez un personnage, la métaphore pourrait être un bon outil dramatique.
Cet article est très librement inspiré de
Jennifer Van Sijll