Troisième journée de projections à la 66ème Berlinale et, comme les jours précédents, la sélection s’avère très éclectique et riche en émotions
Pour démarrer, les festivaliers ont été plongés dans le drame des migrants, qui tentent par milliers de s’installer en Europe et de fuir ainsi leurs pays d’origine ravagés par la misère ou la guerre. Après avoir glané le Lion d’Or à Venise en 2014 pour Sacro Gra, Gianfranco Rosi a posé sa caméra sur l’île de Lampedusa, en Sicile, où tentent d’accoster les migrants venus d’Afrique par la Mer Méditerranée, dans des bateaux souvent surpeuplés et insalubres. Il aborde ce drame humain à sa façon, en adoptant l’angle de la poésie et du contraste entre les images. Le fil conducteur de Fuocammare est un enfant sicilien d’une douzaine d’années, qui vit sa vie comme si de rien n’était sur l’île de Lampedusa. Outre la façon de confectionner le lance-pierre idéal, le gamin n’est préoccupé que par deux choses : son oeil gauche, qui ne fonctionne pas correctement, et des crises d’angoisse inexpliquées. Le cinéaste l’utilise pour symboliser le spectateur qui, confronté quotidiennement à des informations plus sordides les unes que les autres, ne voit plus l’horreur de la situation et n’est plus choqué comme il se doit par le sort tragique des migrants. Alors, pour ouvrir de nouveau le regard de l’opinion, il filme frontalement le drame. Il enregistre le message de détresse de migrants implorant les gardes-côtes italiens de les secourir alors que leur embarcation est en train de sombrer, puis le silence de mort qui suit leur déchirant appel au secours. Il filme les corps des hommes, des femmes et des enfants morts durant la traversée, noyés ou asphyxiés après s’être entassés par dizaines dans des cales minuscules, sans eau, sans nourriture, sans oxygène et dans des conditions d’hygiène révoltantes. Il capte les regards des survivants, brisés, traumatisés par leur aventure, amputés d’une partie de leur âme restée dans leur pays d’origine ou évaporée au-dessus de la Méditerranée.
Difficile de ne pas être bouleversés par ces images, de ne pas éprouver immédiatement de l’empathie pour ces hommes et femmes qui ont risqué leur vie et sacrifié tous leurs biens personnels pour effectuer la traversée vers l’Europe, parce qu’ils n’avaient pas d’autre option.
Le documentaire de Gianfranco Rosi atteint sa cible. Il fait réagir et réfléchir, en utilisant à la perfection l’art du montage et les subtilités du langage cinématographique.
Nous avons également pu découvrir le nouveau long-métrage de Mia Hansen-Love, L’Avenir.
Isabelle Huppert y incarne un professeur de philosophie qui voit sa vie rangée et confortable perturbée par deux évènements quasi-simultanés, la dégradation de l’état de santé de sa mère (Edith Scob), nécessitant de la faire admettre en maison de retraite, et la rupture avec son mari, après vingt-cinq ans de vie commune.
Elle se retrouve confrontée à un futur inconfortable, auquel elle refuse de penser, celui de la vieillesse et des “mouroirs” pour personnes âgées. Et elle doit aussi faire une croix sur son passé, notamment la maison en Bretagne dans laquelle elle a vu grandir ses enfants, chaque été. Plus de passé, pas d’avenir. Il ne lui reste qu’à profiter de l’instant présent, plus libre qu’elle ne l’a jamais été depuis qu’elle s’est débarrassée de mère, mari et enfants. Mais peut-elle être vraiment heureuse?
Le récit, bien que truffé de savoureux moments de comédie, notamment ceux où la cinéaste brocarde les milieux bobo-intellos parisiens, est empreint d’une amertume d’abord diffuse, puis grandissante. On sort de la salle un brin mélancoliques, sonnés par la leçon de vie donnée par Mia Hansen-Love et Isabelle Huppert. Le sentiment est similaire à celui que nous avions éprouvé face à un film au titre quasiment similaire – The Future de Miranda July – et qui nous avait autant enthousiasmés que mis mal à l’aise. Là aussi, c’est une belle réussite, qui a été accueillie comme elle se doit par le public berlinois.
Troisième belle surprise de la journée, Mahana (The Patriarch) de Lee Tamahori.
On pensait le cinéaste néo-zélandais définitivement perdu dans la jungle hollywoodienne, après des années de navets à gros budget dépourvus de la fameuse “âme des guerriers” qui irriguait le film qui l’a fait connaître. Il refait surface avec une oeuvre plus personnelle, un mélodrame familial ancré dans la terre de ses ancêtres maoris.
Le récit se déroule dans les années 1960, sur la côte est de la Nouvelle Zélande. Il tourne autour de Tamihana Mahana (Temuera Morrison), patriarche qui règne sur sa famille d’une main de fer et s’assure que son clan garde l’ascendant sur les Poatas, une famille rivale avec laquelle il est en froid depuis des décennies. L’homme, autoritaire et obtus, élève à la dure ses enfants et ses petits enfants et ne tolère aucun manquement à la discipline. Mais son petit-fils Simeon, élève studieux et cinéphile en devenir, se montre de plus en plus rétif à son autorité, et son insoumission va provoquer un terrible séisme au sein du clan familial.
A l’aide de ce récit, tiré d’un roman de l’écrivain maori Witi Ihimaera, Lee Tamahori retrouve un peu de ce qui faisait la force de L’Ame des guerriers. Et on sent qu’à travers cette fiction, il raconte un peu de sa propre histoire. On devine que, comme Simeon, il a trouvé sa voie en se prenant de passion pour les grands classiques hollywoodiens, les westerns, les polars, les mélodrames flamboyants…
Forcément, la forme du film est empreinte de ce classicisme. Mais, contrairement aux films hollywoodiens du cinéaste, Mahana séduit par son humilité, sa simplicité, ses numéros d’acteurs tout en nuances. C’est du beau travail et on ne peut que se réjouir de ce retour aux sources gagnant.
Autre retour aux sources, celui de Kiyoshi Kurosawa, qui, après plusieurs longs-métrages articulés autour du thème du deuil, signe un thriller horrifique dans la lignée de Cure, le film qui l’a fait révélé sur la scène internationale.
Adapté d’un best-seller de Yutaka Maekawa, Creepy suit un ex-profiler qui, après une intervention ratée, a décidé de quitter la police pour reconstruire sa vie en banlieue. Il accepte néanmoins d’aider un de ses anciens collègues à enquêter sur une affaire classée, la disparition mystérieuse de trois membres d’une famille. Pendant ce temps, son épouse tente de sympathiser avec leurs nouveaux voisins. Elle fait la rencontre de leur voisin d’à-côté, Nishino, un homme étrange, d’abord distant et peu sociable, mais qui devient au fil des jours de plus en plus envahissant et inquiétant…
Avec cette trame plutôt bien ficelée, un beau casting ((Hidetoshi Nishijima, Yuko Takeuchi, Teruyuki Kagawa) et, bien sûr, l’art de la mise en scène de Kiyoshi Kurosawa, le film possède de nombreux atouts. On aime toute la mise en place, qui fait lentement monter la tension, et la façon savoureuse avec laquelle Kurosawa joue avec les codes du genre. Hélas, le plaisir est quelque peu gâché par un dénouement inutilement compliqué et truffé de rebondissements grotesques qui n’apportent rien au film.
Dans la section Panorama, nous avons pu découvrir Shepherds and butchers, le nouveau film du cinéaste Sud-Africain Oliver Schmitz, axé autour du procès d’un jeune homme Blanc accusé d’avoir massacré sept Noirs, après un banal accrochage automobile. Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, ce récit situé en Afrique du Sud à la fin des années 1980, ne traite pas de tensions raciales ou des cicatrices laissées par des années d’Apartheid. La singularité de ce procès, c’est que l’accusé est gardien de prison et préposé aux exécutions capitales, et qu’il risque lui-même la peine de mort après ce septuple meurtre. Son avocat (Steve Coogan) tente d’assurer tant bien que mal sa défense. Il s’interroge notamment sur les raisons qui ont pu pousser ce jeune homme bien sous tous rapports, jeune père de famille, à craquer nerveusement au point de massacrer sept inconnus. Et très vite, il devine que l’activité professionnelle du jeune homme et les nombreuses exécutions auxquelles il a été mêlées ont eu un effet dévastateur sur son équilibre mental. Il axe toute sa stratégie de défense sur ce point, transformant le procès en véritable plaidoyer contre la peine de mort. Le jeune accusé, de prime abord assez détestable, se mue progressivement en victime d’un système judiciaire archaïque, n’accordant aucun prix à l’humain.
Bien aidé par ses comédiens (Steve Coogan, Andrea Riseborough et Garion Dowds), le cinéaste réussit à faire passer un peu d’émotion à travers la structure austère d’un classique “film de procès”.
Enfin, nous avons découvert La Helada Negra, de l’argentin Maximiliano Schonfeld. Une oeuvre étrange, dans laquelle une jeune femme apparaît subitement dans un petit village de la province d’Entre Rios et améliore les conditions de vie des habitants. En suivant ses conseils, les paysans réussissent à préserver leurs cultures du gel, des terres arides deviennent cultivables et les lévriers élevés par les villageois remportent des courses en défiant tous les pronostics. La population fait rapidement d’elle une Sainte et une longue file d’attente se forme devant la grange où elle s’est installée, chacun attendant d’elle un petit miracle.
Le cinéaste aurait bien eu besoin de ses services pour métamorphoser cette idée de départ originale en très bon film, car passé les vingt premières minutes, intrigantes à souhait et baignées dans une ambiance singulière, le récit ne progresse plus, le rythme s’essouffle et l’ennui s’installe. Entre deux beaux mouvements de caméra, le spectateur a tout loisir de constater la vacuité du scénario. On peine à comprendre le message du cinéaste. Est-ce une allégorie politique, un manifeste écologiste, une oeuvre féministe? On a la désagréable impression que le cinéaste ne sait pas où il va, et qu’il se contente d’exploiter paresseusement son idée de départ, qui aurait constitué un court-métrage tout à fait acceptable mais est insuffisante pour tenir la durée d’un long-métrage.
Maximiliano Schonfeld reste néanmoins un réalisateur à suivre. S’il parvient à mettre son indéniable talent de metteur en scène au service de propos moins abscons et de récits mieux structurés, il pourrait bien créer la surprise lors des années à venir.