Disgrâce est un scénario de Ana-Maria Monticelli d’après le roman de J.M. Coetzee dirigé par Steve Jacobs (2008).
Nous allons nous intéresser à David Lurie.
Disgrâce débute juste après la fin de l’Apartheid, néanmoins, il nous est donné à voir que le souvenir de l’oppression raciale et politique persite et en particulier dans cette campagne où David Lurie s’est réfugié et à quel point ce souvenir est encore répandu dans les attitudes, les actions et les relations des personnages.
C’est un peu le jeu du chat et de la souris entre David et Melanie. On sent bien que cette passion n’est pas vraiment partagée et Melanie finit par porter plainte contre David auprès de l’université. Après enquête, David perd son travail, son statut et comme le titre l’indique sa dignité.
Les choses ont l’air de plutôt bien se passer malgré l’apparent dédain de Lurie envers la vie que s’est choisie Lucy. Lucy comprend bien que son père aurait voulu qu’elle opte pour un cheminement de vie plus prestigieux plutôt que de traîner dans la poussière toute la journée par choix et non par nécessité. Et il aurait préféré qu’elle fréquente des gens moins frustes, plus civilisés. Pourtant, la vie avec son père se passe sans anicroche et il semble bien s’adapter.
Mais un jour tout change. David et Lucy sont en promenade avec les chiens lorsqu’ils rencontrent deux hommes et un garçon. David et Lucy se sentent un peu dévisagés mais ils ignorent les étrangers et continuent leur chemin.
De retour à la ferme, les chiens du chenil aboient à tue-tête excités par le jeune garçon alors que les deux hommes semblent juste attendre après David et Lucy. Le garçon dit à Lucy qu’ils ont besoin d’utiliser le téléphone car une sœur de l’un des hommes va avoir son bébé.
Lucy dit à David de rester à l’extérieur alors qu’elle accompagne l’un des hommes à l’intérieur. Grave erreur, l’autre homme en profite pour pénétrer dans la maison à leur suite et ferme celle-ci à double tour. Complètement paniqué, David jette le chien à la poursuite du garçon puis il force la porte de la cuisine.
Mais David se fait assommer presque immédiatement. Lorsqu’il revient à lui, il est enfermé dans la salle de bain, sans nouvelle de Lucy.
En regardant à l’extérieur, il aperçoit l’un des hommes qui abat les chiens du chenil répandant chair et sang. Puis un des deux hommes revient dans la salle de bains accompagné du garçon et tente de brûler vif David. Heureusement, celui-ci parvient à étouffer les flammes et n’est que légèrement blessé.
Les trois hommes finissent par s’en aller en volant la voiture de David et laissant David et Lucy à leur sort.
Dans les jours et semaines qui suivirent, Lucy s’effondre à la fois physiquement et émotionnellement. Il est clair qu’elle a été violée. Pourtant, elle ne veut pas que son viol soit mentionné. Seulement une agression contre David et non sur elle-même. La relation avec son père devient de plus en plus tendue et David se tourne désespérement vers Bev pour des conseils.
On ne peut pas s’empêcher d’éprouver quelque chose envers David. C’est le protagoniste de cette histoire et pourtant ce qui fascine le plus chez ce personnage est peut-être ce lent déclin dont il est lui-même conscient. Le moins que l’on puisse dire lorsqu’on rencontre Lurie pour la première fois est qu’il porte un regard plutôt désabusé sur sa vie. Sexuellement, c’est plutôt mitigé et il ne se sent pas très inspiré professionnellement et personnellement.
Lorsque Melanie entre en jeu, les choses lui semblent bien plus intéressantes. On voit même David se sentir soudain jeune, lui, qui a été hors jeu depuis si longtemps. Evidemment, il se montre maladroit dans sa tentative de séduction. David laisse ses passions prendre le dessus et celles-ci l’aveuglent au point de ne voir que tout s’écroule que lorsqu’il est trop tard.
A ce moment, le lecteur est déjà interpellé. Dire la vérité lui a fait tout perdre. Mais, c’est un moment fort pour le passage dans l’acte Deux.
Cette fois, on nous montre un David Lurie hors des murs de la cité. Il apporte avec lui certains de ses démons intérieurs : il continue de se plaindre de vieillir et il rêve tout éveillé du corps de Melanie.
Mais d’autres choses commencent à sournoisement s’immiscer dans son esprit : mais qu’est-il venu faire dans cette campagne ? Qui sont ces gens ? Pourquoi sont-ils si pauvrement habillés ? Pourquoi ont-ils le regard baissé ?
Ces premières interrogations sont bien sûr éclipsées par un questionnement plus mordant à la suite de l’agression : comment peut-il aborder avec Lucy ce qu’elle a subi ?
Il y a aussi cette culpabilité qu’il ressent mais pas tant devant son impuissance mais devant le fait que d’une certaine façon, il a commis lui aussi un abus de pouvoir envers Melanie.
David Lurie va connaître un All is Lost d’ici la fin de l’histoire en plongeant dans une sorte de dépression. Le Lurie à la campagne est passablement ébranlé non pas tant dans ses convictions mais plutôt sur son point de vue de cette société post-apartheid qui bouillone de changements. Nous le découvrons entêté, forte tête et nous assistons en même temps que lui au vacillement de son importance au profit d’une acceptation des changements qui se produisent autour de lui.
Ce regard nouveau est la conclusion de son arc dramatique.
Et malgré toutes les occasions qui nous sont données ne pas apprécier ce personnage, nous ne pouvons nous empêcher de ressentir quelque chose pour lui.