Le cavalier noir

Par Platinoch @Platinoch

Un grand merci à Rimini Editions pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le dvd du film « Le cavalier noir » de Roy Ward Baker.

« Dans la région, les gens disent que c’est le diable lui-même qui habite ici »

Le père Keogh est le nouveau curé du village mexicain de Quantana. Dès son arrivée, le religieux se rend compte rapidement que la population vit dans la terreur imposée par Anacleto, Le cavalier noir, un chef de bande. Le prêtre décide de remettre l’église en état. Anacleto tente de l’empêcher d’exercer son sacerdoce, n’hésitant pas à tuer d’innocents villageois. Anacleto, intrigué par la foi inébranlable du prêtre, tente de le pousser dans ses derniers retranchements.

« Il semble que nous ayons un nouveau curé. Je me demande s’il se doute de ce qui l’attend. J’espère qu’il sera raisonnable »

Genre américain par excellent, le western fera les beaux jours des studios des années 30 aux années 60, décennie à partir de laquelle il déclinera. Pour autant, le genre sera alors relancé et repris à leur compte par les pays latins. Si l’Espagne et le Mexique produiront de nombreux films de séries B et Z, l’Italie, sous la houlette de quelques réalisateurs visionnaires (Sergio Leone, Sergio Corbucci, Tonino Valerii...), développera avec talent un sous-genre à part entière, le « Western Spaghetti ». De façon assez étonnante, on trouve à la même époque la trace d’un western purement britannique, alors même que le Royaume-Uni en produira très peu (citons toutefois « Shalako » ou « Un colt pour trois salopards »). En l’occurrence, « Le cavalier noir », adaptation du roman homonyme d’Audrey Erskine-Lindop. Essentiellement connu pour avoir réalisé « Troublez-moi ce soir » (1953) avec Marylin Monroe, le réalisateur anglais Roy Ward Baker, qui se consacrera par la suite pour l’essentiel vers la télévision (il réalisa de nombreux épisodes de « Chapeau melon et bottes de cuir » et « Amicalement vôtre »), hésita longuement avant d’accepter le projet. En effet, n’étant pas lui-même catholique, il douta d’être assez légitime pour mener le film à bien. Mais lié par contrat, il n’eut finalement d’autre choix que d’accepter. Pour la petite histoire, après avoir envisagé en vain Marlon Brando pour interpréter le rôle du père Keogh, la production finit par obtenir l’accord de Charlton Heston. Mais choqué par le trouble homosexuel sous-jacent de la relation de son personnage et de celui du bandit Anacleto, il préféra finalement jeter l’éponge. Il sera au final remplacé par John Mills, qui obtiendra quelques temps plus tard l’Oscar pour son rôle dans le film « La fille de Ryan » de David Lean.

« Etes-vous un homme exceptionnel que votre Eglise ne mérite pas d’avoir ou est-ce votre Eglise qui est exceptionnelle au point de faire des hommes comme vous ? »

« On peut aimer le chanteur sans aimer la chanson ». La réplique est répétée plusieurs fois au Père Keogh par Anacleto, bandit cruel et sanguinaire qui terrorise la petite ville mexicaine. « Le cavalier noir », en dépit de son titre accrocheur et de son décor, n’est pas un western conventionnel. D’une part en raison de son contexte. Un village mexicain au cœur des années 50 se retrouve sous la coupe d’une poignée de cavaliers hors-la-loi « à l’ancienne », qui se livrent au pillage et au racket systématique des habitants. Seulement voilà, quelque chose sonne faux. Nous sommes déjà dans une ère de modernité (présence d’automobiles, de cars, d’une police moderne et organisée) et Anacleto et les siens semblent anachroniques. De plus, ils ont beau voler, l’argent ne semble pas être le moteur de ces hommes. Les premières minutes du film nous font comprendre la vrai raison d’exister de ces bandits : empêcher les villageois de se rendre à l’Eglise et couper ainsi toute influence de celle-ci sur la communauté. La haine anticléricale d’Anacleto tourne vite à l’obsession, et c’est ainsi sous la menace et les humiliations que le Père Keogh, fraichement arrivé, raccompagne son prédécesseur, nerveusement usé, vers le car qui lui permettra de quitter la ville. S’il y a bien rivalité entre deux hommes, celle-ci ne se mesurera pas en terme de virilité exacerbée - comme dans la plupart des westerns - mais placera la confrontation sur un plan davantage psychologique et philosophique. Une sorte de lutte à mort entre le Bien et le Mal. Un bras de fer entre Dieu et le Diable, avec l’âme des villageois pour enjeu. Avec son étonnante intrigue, Roy Ward Baker signe un thriller plus psychologique que violent, tout en nuances et en subtilité, reposant sur la confrontation de deux hommes que tout oppose et qui, paradoxalement, semblent se vouer une fascination mutuelle. Comme les deux faces d’une même pièce. Et tandis que le Père Keogh ne pourra jamais se résoudre à abandonner l’âme du pécheur Anacleto, Anacleto lui emploiera son machiavélisme le plus vénéneux pour pousser le Père Keogh dans ses derniers retranchements et tester les limites de sa Foi, conscient de son attirance pour la jeune et belle Locha. Au final, Roy Ward Baker signe un film surprenant, inclassable, un peu hors du temps. Un western qui n’en est pas vraiment un, davantage basé sur l’introspection que sur l’action. Il offre également une confrontation de haut vol entre deux immenses acteurs : Dirk Bogarde (génial de cynisme) et John Mills (qui souffre un peu d’un physique trop disgracieux pour justifier de l’attirance de tous, alors que sa performance d’acteur est très bonne au demeurant). Une vraie curiosité cinéphilique à voir.

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Le dvd : Le film est proposé en VF et en VO. Des sous-titres français optionnels sont également proposés. Côté bonus, le disque propose deux interviews : l’une de Jean-François Giré, auteur de « Il était une fois… Le western européen » (22’) et une de l’actrice Mylène Demongeot (25’).

Edité par Rimini Editions, « Le cavalier noir » est disponible en dvd dans les bacs depuis le 2 février 2016.

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