Alors que les subtilités d’une intrigue s’estompent rapidement, le personnage s’attarde dans notre esprit avec une présence presque palpable, une bribe de sa personnalité, des actions qu’il a accomplies et qui nous ont marquées et sa destinée heureuse ou triste.
Le personnage fictionnel nous murmure ses secrets, nous autorise à connaître ses moments les plus intimes et ses peines et nous confie même ses émotions les plus confuses. Il nous donne à voir ses mauvaises décisions et ses désirs les plus enfouis.
Le personnage fictionnel pénètre notre solitude et joue dans notre cinéma intérieur et nous entraîne avec lui en un autre lieu et un autre temps. Et pendant tout ce temps, il nous apprend ce que cela signifie que d’être humain. Un humain complet avec ses problèmes, ses chagrins et ses mystères.
Ce personnage de fiction peut revêtir n’importe quelle forme (qu’il soit célibataire endurci, un chevalier courageux ou un audacieux espion…). Ce qui intéresse principalement un lecteur, ce n’est pas tant l’intrigue mais bien le personnage.
Parce que le lecteur est capable de traduire et de ressentir les actions du personnage, ses désirs et ses passions en puisant dans ses propres expériences et émotions.
L’auteur et son personnage
Un personnage est avant tout quelque chose auquel vous ne cessez de penser et autour duquel vous allez écrire un scénario.
Pour asseoir notre propos dans cet article, nous allons nous concentrer sur la complexité que peut offrir un personnage.
S’agissant seulement de complexité indépendamment de la fonction que peut occuper un personnage dans l’histoire, nous allons le considérer sous l’angle de l’impression pérenne qu’il peut laisser chez un lecteur.
Pourquoi rechercher la complexité apparente d’un personnage ? Parce que le lecteur veut rencontrer dans une histoire des personnalités qu’il ne rencontrerait jamais dans la vraie vie (et peut-être même des personnages qu’il éviterait de rencontrer dans la vie réelle même s’il le pouvait).
Nous allons aller à la rencontre de personnages qui trahissent comme Barbara Covett dans Chronique d’un scandale de Patrick Marber, d’après le roman de Zoe Heller ou même un protagoniste que l’on n’apprécie pas nécessairement comme David Lurie dans Disgrâce de John Maxwell Coetzee.
Maintenant, il nous faut affiner quelque peu ce que nous entendons par complexité. Celle-ci va en fait nous permettre de faire agir le personnage dans une direction à laquelle on ne s’attend pas et plus spécifiquement, lui faire faire des choses qui devrait jeter sur lui l’opprobre.
Un personnage devrait toujours être capable de faire quelque chose qui l’avilit. Il peut alors être le personnage principal, l’antagoniste (que le mal lui soit vissé au corps ou non) ou un anti-héros (un protagoniste qui possède peu de traits héroïques). Même des personnages secondaires sont concernés et même s’il s’agit des alliés du héros.
Le type de personnalité du personnage n’influe pas sur la question. Celle-ci peut exhiber d’infinies variations.
Le postulat sur cette façon de faire est que cela ajoute à la nervosité du lecteur quant à savoir ce qui va se passer ensuite dans l’histoire.
Lorsqu’on ne s’attend pas à la réaction d’un personnage et que l’on constate ce qu’il est capable de faire, cela invoque en nous tout un jeu compliqué d’émotions contradictoires. L’auteur peut ainsi créer des situations intenses et complexes et dangereuses aussi qu’il ne pourrait mettre en scène avec un personnage sympathique, toujours agréable, dont les comportements sont toujours prévisibles.
Tous les personnages de l’histoire n’ont évidemment nul besoin d’une telle complexité, leur fonction seule suffit à expliquer leur présence. Mais la tension qui règne autour d’un personnage dont les attitudes, les comportements, les réactions sont soumis aux aléas de ses émotions ( ou qui a fait de l’immoralité un mode de vie) ouvre la voie à des scènes puissantes.
Il est intéressant de noter que ce comportement erratique laisse généralement une forte impression sur le lecteur. Certaines caractéristiques communes sont cependant nécessaires afin de justifier ces réactions inattendues chez un personnage.
C’est d’abord un personnage quelque peu nerveux et hors norme. Il doit aussi posséder une solide présence physique tout en étant un faux calme (il est certain que quelque chose d’indéfinissable bouillone en lui). Sa personnalité doit mentionner un trait de caractère peu recommandable (ce n’est pas parce que l’on est le héros d’une histoire que l’on doit être parfait).
Il n’est pas nécessaire de chercher l’empathie du lecteur envers un personnage dont nous avons prévu des actes inattendus au cours de l’histoire (les actes manqués peuvent aussi révéler des informations importantes sur la personnalité d’un individu). En effet, ce personnage présente des traits qui le déshumanise : moins craintif, moins contraint par les circonstances et il a aussi une gamme d’attitudes plus étendues que dans la vie réelle.
En règle générale, il est préférable de donner les atours du prédateur à un personnage dont on souhaite rendre légitime et crédible une mauvaise action.
C’est en général un personnage qui prend des risques, a de l’audace en bien ou en mal et présente finalement peu de traits éfféminés (il ou elle a manifestement quelques problèmes avec son animus ou son anima).
Un avantage pour l’auteur est que ce personnage imprévisible est capable de se retrouver dans des situations que nous ne pouvons que rêver dans la vie réelle. En fiction, c’est un homme ou une femme d’action qui prend les choses en main alors que les autres ont soit fuis leurs responsabilités, soit se sont mis à l’abri. Si vous voulez faire un parallèle avec la réalité et notre assertion précédente, vous comprendrez pourquoi le lecteur parvient à partager certaines émotions face à un tel personnage.
Gardez à l’esprit que vous pouvez dépeindre ce type de personnage avec des atouts flatteurs. Il peut posséder une grande intelligence et sagesse, il peut citer les saints et les philosophes. Il n’est aucunement besoin d’en faire un rat d’égout.
Daniel « Danny » Ocean et Robert « Rusty » Ryan de Ocean’s Eleven sont des exemples parfaits des personnages dont nous parlons dans cet article.
Lorqu’il détient un pouvoir ou une autorité, ce personnage spécial (capable donc de réactions atypiques par rapport à ce que l’on connaît de lui ou bien dont le comportement habituel peut être qualifié d’immoral, selon les critères de la société ou de la culture dans lequel il prend place) fascine encore plus le lecteur.
Ce personnage est vraiment intéressant à travailler d’abord parce qu’il refuse d’être stéréotypé, ensuite parce qu’il représente un vrai challenge pour l’auteur (ce n’est pas un personnage que l’on explique facilement).
Une fois que vous aurez créé un tel personnage, vous ne pourrez plus l’écarter de votre histoire sans que celle-ci en souffre. Il y a toujours un sentiment de danger autour d’un tel personnage qui fascine le lecteur et c’est pour cette raison que nous construisons de tels personnages : parce qu’ils sont mémorables.
Bien sûr que le héros ou l’héroïne au sens où on l’entend est aussi un homme ou une femme d’action qui fait montre de courage pour résoudre le problème de l’histoire. La différence avec le personnage capable de mauvaises actions se situe justement au niveau de la moralité. Alors que l’on s’attend à ce que le héros soit un personnage sympathique (bien qu’il ne soit pas dénué de certains côtés qui peuvent le pousser à mal agir, cela le rend plus humain), le personnage auquel nous pensons n’a pas à être systématiquement sympathique.
Un héros apporte de l’espoir et un sens moral à une situation ; d’autres personnages peuvent apporter de l’espoir mais il est plus que probable qu’ils détourneront les règles dans le même mouvement. Alors qu’un héros se trouve toujours du bon côté (c’est inscrit dans sa définition), on ne peut en dire de même d’autres (ou bien les moyens qu’ils emploient pour œuvrer pour le bien sont critiquables du point de vue moral mais parfaitement justifiés de leur propre point de vue ; c’est une question de regard, après tout).
Nous pouvons citer pour appuyer notre propos : John Rambo, Harry Callahan ou Jules Winnfield.
Normalement, un auteur a recours à un personnage immoral ou susceptible d’exécuter des actes critiquables (même si par ailleurs il fait de ce personnage un individu socialement respectable) parce qu’ils sont plus grand que nature avec des vies compliquées à souhait. Ce désordre souvent émotionnel (pensez aux personnages maladroits et lunaires interprétés par Pierre Richard pour comprendre la différence entre les deux options de désordre que peut provoquer ou ressentir un personnage) et les complications spécifiques au personnage immoral ajoutent à l’attrait général des histoires. Tout se résume en fin de compte à une mentalité traduite par des comportements.
Pour en revenir à votre protagoniste, c’est-à-dire le personnage qui apparaîtra dans la plupart des scènes et qui sera certainement le plus affecté et transformé par les événements de l’histoire, il n’a pas à être particulièrement sympathique pour attirer l’empathie. Il peut être attrayant mais les bords restent à peaufiner. Il pourrait même être un sale type mais parce qu’il fascine l’auteur, il en a fait son protagoniste (ce qui n’implique pas qu’il soit aussi le personnage principal, vous pouvez distinguer les deux si votre histoire s’y prête).
L’idée est qu’avec cette souche d’humanité dont vous allez affubler vos personnages, vous allez étonner, ravir et terrifier votre lecteur. Vous devrez travailler aussi sur les motivations et l’origine des comportements erratiques et en particulier, ceux moralement répréhensibles. On pense en premier lieu à un passé particulièrement trouble lorsqu’il s’agit du méchant de l’histoire, mais même votre héros aurait pu avoir un tel passé.