Non, rassurez-vous, aucun incident diplomatique n’a été à déplorer lors de ce festival rassemblant toutes les nations autour de l’amour du 7ème Art, et les rues de la capitale allemande ne constituent pas le théâtre de scènes de guerre. A l’intérieur du Berlinale Palast, en revanche, c’est une autre affaire…
Le premier film de la compétition du jour, Cartas da guerra, évoque le conflit pour l’indépendance de l’Angola, entre 1961 et 1975, à travers les lettres qu’un jeune médecin envoie à sa femme depuis la ligne de front. Le parti-pris du cinéaste Ivo M. Ferreira est de ne rien montrer – ou presque – des scènes de conflit, et de ne traduire les horreurs de la guerre que par le changement psychologique progressif du personnage, usé par des mois d’attente, de peur et de traumatismes, et par la force évocatrice des images, tournées dans un noir et blanc sublime.
Ce choix narratif aurait pu être une bonne idée. Après tout, cela donné, par le passé, le formidable documentaire Dear America : Letters home from Vietnam. Mais il auait fallu choisir des voix moins lénifiante. Dès les premières minutes du film, entre la lecture de textes sur un ton monocorde, la lenteur des plans et les images sublimes composées par le chef opérateur Joao Ribeiro, qui invitent plus à la rêverie qu’à une attention soutenue, on ne tarde pas à être gagnés par le sommeil.
Le parti-pris de maintenir hors champ les scènes de conflit n’arrange rien. Il ne se passe pas grand chose à l’écran. D’accord, un film comme Jarhead reposait sur le même principe, mais il était parcouru par une tension et une intensité dramatique absentes du film d’Ivo Ferreira. On se surprend à lutter contre le sommeil au bout de cinq minutes et rien ne vient jamais relancer l’intérêt du film, hormis quelques plans de toute beauté. Par ailleurs, mieux vaut avoir quelques notions d’histoire avant de voir Cartas da guerra, puisque le contexte politique et historique n’est à aucun moment explicité.
Plutôt qu’à un film de référence sur le conflit d’indépendance de l’Angola et la fin de la dictature portugaise, on a l’impression de voir un simple exercice de style destiné à mettre en valeur le travail du chef opérateur et des équipes techniques. Dommage…
Le deuxième film en compétition, 24 wochen parle d’un conflit d’un tout autre genre. Il met en scène des personnages luttant avec leurs consciences, au moment d’opérer un choix décisif pour la suite de leurs existences, un couple qui se déchire autour d’un enfant malade et de ses perspectives de guérison. Un peu comme dans La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli, sauf qu’ici, l’enfant en question n’est pas encore né… Astrid est enceinte de trois mois quand elle apprend que son fils est atteint du syndrome de Down. Le coup est rude, car si elle s’était préparée à gérer conjointement ce deuxième enfant et sa carrière de comédienne en pleine ascension, elle ne sait pas si elle est capable de s’occuper correctement d’un enfant trisomique. Après en avoir longuement discuté avec son mari, elle décide d’aller au terme de sa grossesse. Mais plus l’accouchement approche, plus la jeune femme est tentée d’avorter, comme la loi l’y autorise, d’autant que l’enfant pourrait souffrir d’autres malformations.
Le film est une réflexion autour de l’avortement, du droit fondamental de la femme à décider si elle veut mener sa grossesse à terme ou non, sur les conséquences de ce choix. Anne Zohra Berrached signe aussi, avec la complicité de sa comédienne principale, Julia Jentsch, un joli portrait de femme, tourmentée par les doutes et la culpabilité, tiraillée entre la position de son mari, la réaction de sa fille aînée, et ses propres convictions.
Hélas, la mise en scène, sans relief, n’est pas à la hauteur du sujet. On se croirait devant un de ces vieux téléfilms qui servaient de point de départ à un débat de société ou à un support pédagogique pour illustrer cours pour adolescents. Cela n’a rien de honteux, mais on attend un peu plus d’un film en compétition à la Berlinale.
Jamais deux sans trois…
Quand on a 17 ans d’André Téchiné tourne aussi autour d’un affrontement. Celui de Damien et Thomas, deux adolescents, camarades de classe, qui ne peuvent pas se supporter et en viennent fréquemment aux mains dans la cour de leur lycée. Dans le paysage montagneux qui sert de décor au film, le climat peut rapidement devenir orageux et, pendant tout le récit, on s’attend à ce qu’un drame se produise, que la situation dégénère jusqu’à un point de non-retour. Cette tension permanente permet de maintenir l’attention du spectateur jusqu’au bout, malgré des éléments de scénario difficilement crédibles. Mais l’intérêt du récit réside surtout dans la relation singulière qui unit Damien et Thomas, entre attirance et répulsion, jalousie et fascination, et dans son évolution progressive. André Téchiné a toujours été doué pour restituer à l’écran la complexité des sentiments humains, la haine, le désir ou l’amour et à capter l’essence de la jeunesse, en tirant le meilleur de ses comédiens. C’est encore le cas ici. Même si Quand on a17 ans ne possède pas l’intensité et la charge émotionnelle de Rendez-vous ou des Roseaux sauvages, il n’en demeure pas moins un film solide, bien construit, dans lequel on retrouve la plupart des thématiques principales du cinéaste.
Après ces conflits en tous genres, il était nécessaire de finir la journée sur une note plus poétique. Cela tombe bien, A Quiet passion, s’intéresse au destin de la poétesse américaine Emily Dickinson, un esprit libre, en avance sur son temps, qui a essayé de se libérer des carcans dans laquelle la société essayait de l’enfermer. Elle doutait de l’existence de Dieu et refusait de ce fait de se soumettre aux autorités religieuses, prônait l’égalité des sexes et était donc peu encline à se marier et devenir une épouse modèle, voulait écrire et publier des poèmes, une activité généralement réservée aux hommes. Mais elle n’a jamais pu quitter sa famille, appartenant à la haute-Bourgeoisie de Nouvelle-Angleterre, et s’est fréquemment heurtée à ses proches. Malgré une certaine liberté de parole, elle a dû composer avec cet environnement, réprimant certaines opinions et certains sentiments. Et elle vécu toute sa vie dans une profonde solitude et une grande frustration, ne s’épanouissant que la nuit, au moment d’écrire ses poèmes.
Qui d’autre que Terence Davies, réalisateur du sublime The Deep blue sea, était capable de restituer avec autant de finesse l’état d’esprit de cette poétesse snobée par ses contemporains et prise de haut à cause de son sexe et de sa différence?
Il est bien aidé par Cynthia Nixon, qui incarne avec sensibilité cette figure de la littérature américaine et trouve là un des rôles de sa vie.
La première partie est étincelante, alternant joutes verbales pleines d’esprit et d’humour et moments d’émotion feutrés. Hélas, dans la dernière partie, évidemment plus dramatique et plus amère, il prend le parti de montrer frontalement la maladie et la mort plutôt que de les laisser hors champ. Il perd instantanément en finesse et en grâce, et les numéros d’acteurs, qui étaient jusqu’ici impeccables, se mettent à frôler le cabotinage.
Sans cette faute de goût dommageable, A quiet passion aurait été un excellent film. L’essentiel est néanmoins sauf : le film de Terence Davies a au moins le mérite de donner envie de (re)découvrir les oeuvres de la poétesse et de découvrir les autres films de la sélection de cette 66ème Berlinale.