Un grand merci à Metropolitan FilmExport ainsi qu’à Cinetrafic pour m’avoir permis de découvrir le dvd du film « L’odeur de la mandarine » de Gilles Legrand, dans le cadre de l’opération « Dvdtrafic ».
« Vous êtes arrivée ici, tout était vide. Mais vous si vivante que vous avez rempli tous les vides. »
Eté 1918. La guerre fait rage pour quelques mois encore, mais pour Charles et Angèle, elle est déjà finie. Lui, officier de cavalerie y a laissé une jambe. Elle, son infirmière à domicile, vient de perdre au front son grand amour, le père de sa petite fille. Unis par le besoin de se reconstruire, ils nouent une complicité joyeuse qui les ramène à la vie. Sur l'insistance de Charles, Angèle accepte un mariage de raison. Il leur faudra entrer en guerre, contre eux-mêmes et contre l'autre avant d'accepter l'évidence de la passion qui les lie malgré eux…
« J’aime un autre homme dans mon coeur, dans ma chair. C’est à lui que j’appartiens. »
Gilles Legrand est un homme qui connait bien le Cinéma. Le grand public ne le sais pas toujours, mais avant de s’essayer depuis une dizaine d’années maintenant à la réalisation, il est surtout producteur depuis plus d’un quart de siècle. A son actif, quelques succès (« Micmacs à Tire-larigot » et « Les aventures du jeune et prodigieux T.S. Spivet » de Jean-Pierre Jeunet, « No et moi » de Zabou Breitman ou encore « Belle et Sébastien » de Nicolas Vanier) et surtout un certain goût pour les films historiques en costumes (« Ridicule » et « La veuve de Saint-Pierre » de Patrice Leconte, « Les âmes grises » de Yves Angelo) qu’on retrouve également dans sa propre filmographie (« Malabar princess », « La jeune fille et les loups »). Pour « L’odeur de la mandarine », il collabore pour la première fois avec Guillaume Laurant, scénariste attitré de Jean-Pierre Jeunet (lauréat d'un BAFTA pour le scénario du « Fabuleux destin d’Amélie Poulain »), qui avait déjà fait une incursion dans l’univers de la Première Guerre Mondiale avec l’adaptation de « Un long dimanche de fiançailles » de Sébastien Japrisot. Il cosigne avec ce dernier le scénario original du film.
« Vous avez décidé que ça ne pouvait pas marcher entre nous. A chaque fois que nous couchons ensemble, c’est une nouvelle défaite pour moi. »
Si durant les années 30, la multiplication des films consacrés à la première guerre mondiale a servi d’exutoire pour toute une génération traumatisée par l’horreur du conflit (« Les croix de bois », « A l’ouest rien de nouveau », « Sergeant York », « La grande illusion »), le sujet sera quasiment oublié par le Cinéma pendant près de 50 ans. Il faut dire qu’une autre guerre mondiale, encore plus meurtrière avait entre temps eu lieu. Et qu’en Europe du moins, une censure active régnait encore jusque dans les années 70 quant à la représentation du conflit et de l’attitude équivoque des pays belligérants (notamment concernant les épisodes des fusillés pour l’exemple). Le chef d’œuvre de Stanley Kubrick, « Les sentiers de la gloire » (1957), devra ainsi attendre près de vingt ans pour pouvoir sortir en France. Ce n’est qu’à partir des années 90-2000 que le sujet a semble-t-il de nouveau attisé l’intérêt des cinéastes (« La vie et rien d’autre », « La chambre des officiers », « Capitaine Conan », « Un long dimanche de fiançailles », « Joyeux Noël »). Avec les commémorations de son centenaire et le nécessaire exercice de devoir de mémoire inhérent, les films traitant de cette guerre se sont multipliés (« La Bataille de Passchendaele », « Cheval de guerre », « Mémoires de jeunesse »). Avec « L’odeur de la mandarine », Gilles Legrand fait le choix original de s’intéresser aux traumatismes du à cette guerre sans en montrer la moindre scène de bataille. Au deuil. A travers les portraits d’un cavalier revenu amputé du front et d’une jeune veuve de guerre et de leur rencontre, il évoque les blessures, les failles, la survie, la nécessité de réapprendre à vivre le quotidien. De se reconstruire. Avec beaucoup de douceur et de sensibilité, il filme ces deux êtres qui apprennent à s’apprivoiser, à (ré)apprivoiser leur corps, à reprendre le cours de leur vie. Ils n’étaient pas faits pour se rencontrer, encore moins pour s’aimer. Mais le destin leur offre une seconde chance. La symbolique se fait même lourde de sens, quand le héros planque un déserteur et surtout son cheval, dans un élan d’humanité désespéré, alors que la guerre fait rage à seulement quelques kilomètres. S’appuyant sur un très beau scénario et une mise en scène d’une élégance toute particulière, le film bénéficie également d’une interprétation magistrale d’Olivier Gourmet et de la révélation Georgia Scalliet, gracile et délicate sociétaire de la Comédie Française, qui apparait comme la révélation du film. L’une des plus belles surprises du Cinéma français de l’année 2015, assurément.
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