[Avant-première] Les naufragés prennent l’eau…

Publié le 16 février 2016 par Rémy Boeringer @eltcherillo

Ce lundi 15 février 2016, nous avons assisté à l’avant-première de Les naufragés de David Charon. Malgré la présence de Laurent Stocker et de Daniel Auteuil, le quatrième long-métrage du réalisateur prend l’eau et le spectateur se sent bien seul, coincé avec eux sur une île aussi arides que les prétentions comiques du film. D’autant plus que le fond lui-même n’a rien à envier à la forme.

Jean-Louis Brochard (Daniel Auteuil que l’on a vu dans Nos femmes et Entre amis), escroc financier (qui a dit que c’est un pléonasme ?), s’évade avant l’arrivée de la brigade financière. Bloqué sur les îles caïmans alors qu’il voulait rejoindre l’Amérique du sud, il sympathise avec un pauvre type venant de se faire larguer, William Boulanger (Laurent Stocker que l’on a vu dans Caprice et Ange & Gabrielle), avec l’ambition d’emprunter son avion. Les deux compères décollent par mauvais temps et font naufrage sur une île sauvage. Jean-Louis Brochard (Daniel Auteuil)

Les naufragés est l’exemple typique de ces comédies apparemment anodines qui ne se contentent pas pour autant de faire rire mais distille, insidieusement, des messages assez tristes. Il faut dire que les idées les plus rétrogrades sont rarement balancées de fronts mais toujours subtilement. On a bien trop peur que, sans artifices, elles heurtent le bon sens du spectateur. Du pain et des jeux, la méthode n’a pas changé depuis des millénaires. Alors, avec Les naufragés on n’a nécessairement l’essentiel de la blague lourdingue, parfois au relent homophobe, les personnages se sentant obligé de clarifier immédiatement les choses : « Ils ne sont pas PD », mais se rajoute à cela la désagréable impression que l’humour se cherche constamment en passant d’un style à l’autre sans transition. Charon s’essaie à balancer quelques jeux de mots sans guère de substance, se prenant pour Devos, mais qui aurait mangé trop de raclette, puis tout à coup passe à l’absurde façon Eric et Ramzy, sans aucune cohérence. Dans tous les styles, il échoue lamentablement à occasionner même un sourire. Mais il y a pire que les incuries scénaristiques, il y a les incuries philosophiques et éthiques. Dans l’air du temps, Charon nous décoche un financier à la Madoff ayant escroqué ses clients. C’est bien, c’est vendeur. Mais pour en faire quoi ? Je vous le donne en mille, pour l’absoudre. Mais pas seulement, en plus de l’absoudre, il s’agit presque d’en faire une victime. C’est que le pauvre, parce qu’il est de ceux qui se sont fait choper, est brocardé par les médias et les militants gauchistes. William, qui est teinturier, et qui a mis toute ses économies dans son tour du monde en amoureux raté, lui a confié son épargne. Il a tout perdu. Mais le brave type le prend malgré cela en pitié. Jean-Louis Brochard (Daniel Auteuil) et William Boulanger (Laurent Stocker)

C’est le paroxysme de l’aliénation. Le voilà qui se démène pour le protéger de la vindicte robespierriste. C’est l’illustration même de ce que l’on demande constamment aux classes populaires, à savoir, prendre en pitié les pauvres hères que seraient les puissants. On nous serine à longueur de journée, à longueur d’émissions télévisuelles à quelle point il est dur d’avoir des responsabilités et que les salariés ne savent pas leur bonheur de vivre simplement… Regarder Les naufragés, c’est subir, au cinéma, un nouvel épisode de Patron Incognito… Bien sur, Brochard, avec son air pédant et ses manières de Grand Duc est censé être ridicule mais en creusant un peu, on s’aperçoit que cette façon d’être n’est pas compréhensible sans celle de son alter ego. Le discours de Les naufragés prend une toute autre allure alors. Il fait rentrer ces rapports de dominations dans l’ordre naturel. Effectivement, le plus prolos des deux acceptent tout à fait la situation. Pire, le personnel d’un hôtel au bord de la faillite suite aux malversations du malfrat en col blanc, enchaînent les heures de travail pour sauver une affaire qui n’est pas la leur avec une bonhomie extraordinaire. Alors même que le plus docile des idiots auraient, premièrement, pensé à se venger du vol qu’il a subi, et deuxièmement, probablement mis une sacrée branlée à ce sale type. Tout du moins, l’aurait dénoncer aux autorités, il n’en est pas question ici, il faut tendre l’autre joue et remercier Monsieur. Et pour combler le tout, conclure l’écœurante fabulette, voilà-t-il pas que le salaud change en se retrouvant seul avec lui-même. Histoire de forcer le trait voilà qu’on nous rappelle que nous n’avons pas le monopole du cœur. William Boulanger (Laurent Stocker)

Là, où l’idée de base aurait pu être totalement jouissif, où le teinturier aurait pu venger tous les teinturiers du monde, Les naufragés coulent à pics dans les bons sentiments éhontés. Exactement là, où il aurait fallu sombrer dans la folie et la fureur. Parce que, oui, ça ira, ça ira, à la lanterne, on les pendra.

Boeringer Rémy

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