Nos amies les bêtes militent pour un monde meilleur le temps d’une aventure palpitante.
Disons-le tout net, Zootopie marque enfin le renouveau des studios Disney, qui donnaient depuis quelques temps de sérieux signes d’essoufflement. Si leurs dernières tentatives pouvaient encore capitaliser sur un retour nostalgique aux fondamentaux, on sentait poindre malgré tout une forme de régression à l’horizon. Pourtant, le modèle « disneyien » a largement fait ses preuves, rassemblant petits et grands autour de films d’animation devenus des classiques instantanés. Son succès tient surtout à cet équilibre précieux entre légèreté et gravité. Légèreté des personnages, qui chantent parfois leurs états d’âme à tue-tête, et gravité des thèmes abordés, avec l’éternelle question de l’identité comme socle dramatique et philosophique. Seulement, l’époque a changé, les attentes aussi, et cette formule éprouvée requiert une mise à jour. Exit alors le manichéisme facile et le classicisme désuet et place désormais à un cinéma d’animation dense, mature et moderne. Zootopie se pose là et rejoint en ce sens la plupart des films Pixar, parmi les premiers à avoir appliqué cette mue indispensable.
Tout commence avec Judy, lapine héroïne, rêvant de s’installer à Zootopie, éden citoyen égalitaire, afin de devenir sergent de police. Arrivée sur place, son plan de carrière est contrarié par la domination machiste de sa profession et il lui faut dès lors user de toutes ses ressources pour imposer sa volonté. C’est en rencontrant Nick, un renard escroc à la petite semaine, qu’elle entrevoit la possibilité de gravir les échelons plus vite que prévu. A force de chantage, Judy parvient à l’enrôler avec elle dans une enquête à hauts risques, ignorant tous deux la déconvenue qui les attend. Voilà la trame extrêmement solide de ce long-métrage qui enchaîne les scènes mémorables sans faiblir. L’humour y est souvent débridé et très référentiel (le clin d’oeil hilarant au Parrain), mais le film manie avant tout à merveille l’art de la parabole. Il y a d’ailleurs quelque chose d’étrange à voir nos compagnons à poils vivre comme nous, disposant des mêmes outils technologiques, adoptant les mêmes comportements de consommation. La firme de Mickey a toujours prêté à son bestiaire des qualités humaines mais l’anthropomorphisme n’avait jamais été poussé aussi loin, d’où la maturité et la modernité folles de l’oeuvre. De fait, chaque détail renvoie à notre quotidien et à l’actualité brûlante qui nous occupe (conflits raciaux, idéologiques, politiques). L’idée la plus intéressante du projet est d’amalgamer dès le début proies et prédateurs, identiquement civilisés, pour mieux les redifférencier ensuite. Quand Judy, la proie, collabore avec Nick, le prédateur, c’est toute une étude sur la peur de l’autre et la persistance des préjugés qui s’amorce.
En définitive, la grande audace de Zootopie est de parler de notre violence primitive par le prisme des animaux. Nuancés, complexes, les héros de cette histoire apprennent à leurs dépens qu’aucune issue favorable à leur aventure n’est possible s’ils refusent de mettre leur égo de côté et d’accepter leurs différences. Un message de solidarité et de tolérance sans doute un peu naïf, qui trouve même ses limites dans un dernier tiers moins subtil, où l’ambiguïté caractéristique des personnages s’efface au profit d’un lissage psychologique déceptif. Toujours est-il que la richesse visuelle, la densité thématique et le discours résolument contemporain du film impressionnent et augurent du meilleur pour les futures productions Disney.
Réalisé par Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush, avec les voix françaises de Marie-Eugénie Maréchal, Alexis Victor, Pascal Elbé…
Sortie le 17 Février 2016.