[Berlinale 2016] Jour 6 : Naufrages

C’est rare, mais dans la vie d’un festivalier, il peut y avoir des journées où aucun des films n’est à la hauteur des attentes. Ce fut le cas pour nous à Berlin aujourd’hui.

Soy Nero - 2

Nous avons démarré avec une déception : Soy nero de Rafi Pitts.
Le sujet était pourtant intéressant et très contemporain, puisque le cinéaste iranien s’intéresse aux problèmes de migration, d’identité et d’appartenance à une nation.
Il a construit son récit en trois actes distincts, qui traitent chacun du regard des américains sur les migrants. Dans le premier, Nero, un jeune mexicain, réussit à entrer illégalement sur le sol américain et tente de retrouver son frère, installé à Los Angeles. Il est pris en stop par un homme et sa fille, d’abord accueillants, puis de plus en plus méfiants et presque hostiles à son égard. Dans la seconde, Nero est arrêté par la police pour un contrôle d’identité mais réussit quand même à rejoindre son frère qui vit avec sa petite amie dans une luxueuse villa de Beverly Hills. Contrairement au personnage principal, un peu candide, on se doute que des mexicains clandestins n’ont pas pu amasser autant de biens matériels en aussi peu de temps, du moins pas en travaillant honnêtement. Aux Etats-Unis, les migrants n’ont que trois options : devenir des larbins – domestiques, ouvriers, mécaniciens,… – des criminels, ou rejoindre l’armée américaine, ce qui est censé leur garantir, après plusieurs mois de loyaux services, l’obtention d’une titre de séjour permanent. Nero choisit cette dernière option. mais cela signifie, en ces temps troublés, d’être envoyé dans une zone de combat.
La dernière partie se déroule donc en Afghanistan. Nero appartient à une petite unité qui doit contrôler, ironie du sort, une zone-frontière. Au sein du groupe, composé essentiellement de Noirs d’origine sociale modeste, on lui fait bien comprendre qu’il n’est qu’un migrant et pas un véritable américain. Mais cela ne l’empêche pas de se retrouver en première ligne pour servir de chair à canon, le cas échéant…
Le film montre bien le décalage entre les belles promesses du “Dream Act” et ses résultats concrets. Les mexicains installés aux Etats-Unis sont toujours considérés comme des intrus, juste bons à faire des petits boulots ingrats et sous-payés et les autorités les raccompagneront à la frontière à la première occasion, s’ils ne sont pas avant victimes d’un xénophobe maniaque de la gâchette. Le problème, c’est que le scénario manque de densité. Rafi Pitts aurait pu ajouter des chapitres supplémentaires pour traiter d’autres aspects de la condition des migrants mexicains et étoffer son propos. A la place, il a étiré au-delà du raisonnable ses trois actes, qui ont du mal à s’imbriquer correctement, et les a meublés avec des dialogues peu inspirés. Sont talent de metteur en scène est plus convaincant. il lui permet de livrer quelques scènes superbes. Dommage, donc, qu’il ne le mette pas au service d’un scénario plus solide, plus ample et plus ambitieux. Soy Nero est loin d’être un mauvais film, mais c’est une oeuvre frustrante, en-deça de ce que l’on était en droit d’attendre du réalisateur de The Hunter.

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Mais le long-métrage de Rafi Pitts est toujours mieux que Genius, le premier long-métrage de Michael Grandage, qui s’intéresse à la relation entre Thomas Wolfe, l’un des génies littéraires américain du XXème siècle, mort précocement, et son éditeur, Maxwell Perkins, qui était seul à croire en lui et à pouvoir canaliser son énergie créatrice débordante.
On aurait aimé que le film dresse le portrait d’une époque où vivaient les plus grands auteurs américains du XXème siècle, les Francis Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway et Thomas Wolfe. On aurait aimé qu’il dissèque le processus de création littéraire, qu’il explicite ce qui distingue un génie d’un simple gratte-papier. On aurait aimé qu’il nous entraîne dans l’univers de Thomas Wolfe, qu’il rende hommage à son amour des mots et des détails. On aurait aimé, au moins, qu’il traite plus à fond ce qui semble être son sujet principal, la relation entre Wolfe et son éditeur, et les conséquences sur leurs familles respectives. Hélas, le cinéaste ne nous offre rien de cela, juste un banal biopic teinté de mélodrame, sans énergie et sans âme. Certaines scènes sont ennuyeuses, affligeantes de banalité, d’autres sont trop fabriquées pour que l’on puisse éprouver une quelconque empathie pour les personnages. Le scénariste aurait dû appliquer les mêmes recommandations que Perkins faisait à Wolfe : se débarrasser des scènes inutiles pour se concentrer sur l’essentiel, et tirer de chaque plan la quintessence de l’art cinématographique. Le cinéaste, lui, aurait dû prendre des cours de direction d’acteur, car le plus embarrassant, dans Genius, c’est le cabotinage des acteurs. Jude Law en fait des tonnes en génie exalté et égocentrique, odieux avec ses proches. Nicole Kidman, malgré un temps de présence moindre à l’écran, fait (sur)jeu égal avec lui. Restent Colin Firth et Laura Linney qui évoluent dans un registre heureusement plus sobre, mais qui semblent se contenter du minimum syndical et ne sont donc pas exploités comme ils le pourraient.
Si encore le cinéaste faisait preuve d’un tant soit peu de talent au niveau de la mise en scène, on pourrait lui pardonner ces erreurs de jeunesse, mais ce n’est pas le cas.
Désolés pour le jeu de mots, indigne d’un Thomas Wolfe, mais Genius est loin d’être génial…

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Cela dit, c’est un premier film. Il convient de faire preuve d’un minimum d’indulgence. Spike Lee n’a pas cette excuse et les festivaliers l’ont fait savoir en désertant la salle progressivement au cours de la projection. Son Chi-Raq est un objet cinématographique curieux, boursouflé, qui essaie d’être à la fois l’adaptation contemporaine de “Lysistrata”, une pièce de théâtre grecque de l’Antiquité, un plaidoyer contre la violence, les gangs et la libre circulation des armes à feu, et une comédie musicale hip-hop.
Ce trop plein et préjudiciable. Il donne l’impression que Spike Lee ne sait pas où il va, qu’il hésite constamment entre comédie loufoque et tragédie, entre cinéma grand public et film Art & Essai. C’est donc une oeuvre bancale. Oh, il y a bien sûr de bonnes idées, comme cette carte des Etats-Unis qui ouvre le film, composée uniquement avec des armes à feu. Ou les nombreuses références à la mythologie pour symboliser les guerres fratricides absurdes entre les gangs. Mais il y a aussi des idées foireuses et des numéros musicaux tellement kitsch qu’ils feraient passer les films de John Waters pour des oeuvres austères.
Au final, Chi-Raq n’est rien d’autre qu’une version hip hop parodique de La Source des femmes remixée avec Boyz’n the hood. En un mot : “raté”.

Theo et Hugo - 2

Mais à côté de Théo et Hugo dans le même bâteau, Chi-Raq est un chef d’oeuvre du septième Art…
Comment décrire le nouveau film d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau? Eh bien, ça commence comme un film pornographique gay, avec vingt minutes de scènes sexuellement explicites dans une boîte gay parisienne, de quoi énerver l’association “Promouvoir” et donner des maux de tête à la commission de classification. Puis ça continue avec vingt minutes de film éducatif neuneu ayant pour thème “Le SIDA pour les nuls”, où les deux personnages principales réalisent soudain le danger d’avoir des rapports sans préservatif dans un lieu de partouze. Et ça se termine avec une heure d’errance nocturne dans Paris mâtinée de romance cucul la praline. Pour meubler ce scénario hyper-creux, les cinéastes ont meublé avec des dialogues d’une banalité à pleurer ou des clichés intello-bobo-parigot d’une bêtise crasse. Un exemple, parmi tant d’autres : Dans le Jura, les homosexuels sont des abrutis qui ne connaissent pas les capotes, en plus d’être des mauvais coups… Les provinciaux apprécieront…
Le pire,c’est quand les deux auteurs tentent une percée vers le film politique engagé, à travers la rencontre entre les deux garçons et une vieille dame, obligée de travailler comme femme de chambre pour arrondir les fins de mois, car les retraites sont scandaleusement petites, ou la vision du conflit syrien par un vendeur de kebabs…
Les acteurs jouent mal, les dialogues sont indigents, la réalisation n’a rien d’exceptionnelle et l’ensemble oscille entre la provocation inutile et la comédie romantique nunuche. On ne reconnaît plus les auteurs de Nés en 68 ou Jeanne & le garçon formidable, qui, bien qu’inaboutis, étaient d’un tout autre calibre…
Bref, c’est assez insupportable. qu’on mette Theo et Hugo dans le même bateau et qu’on fasse couler l’embarcation, par mille sabords!

A serious game - 2

Finalement, le seul film à tenir ses promesses en cette journée de projections fut A serious game de Pernilla August, une histoire de passion dévorante et d’amours impossibles dans la Suède de la fin du XIXème siècle, adaptée d’un roman de Hjalmar Soderberg. Il s’agit d’un mélodrame amoureux feutré, reposant sur les relations tumultueuses d’un jeune journaliste idéaliste (Sverrir Gudnason) et de la fille d’un artiste-peintre (Karin Franz Korlof), qui s’aiment à la folie mais ne sont jamais en mesure de vivre ensemble, à cause de problèmes financiers, de leurs situations conjugales respectives, à géométrie variable, de dilemmes moraux ou de doutes existentiels.
Le film tient la route grâce aux acteurs, tous impeccables et à la mise en scène, sage et sobre, en adéquation avec le sujet du film, de Pernilla August. Mais on reste dans un type de cinéma très académique, sans surprise.

Espérons que la journée de demain sera plus riche en bons films et en belles surprises…