Critique : Le bois dont les rêves sont faits de Claire Simon

Le bois dont les rêves sont faits de Claire Simon, documentaire, France, 2016 (sortie en avril 2016)

On entre dans un bois. Le bruit agressif de la ville laisse place au doux bruit de la nature. Une joggeuse court, s’arrête face au soleil et ferme les yeux. Tout est calme, il fait beau.

La voix de Claire Simon, en off, évoque l’enfance, les saisons, le paradis.

Le film se déroule au bois de Vincennes et repose sur cette unité de lieu. Le temps passe et rythme la vie du bois au fil des quatre saisons tout comme il rythme le documentaire. Le film est une succession de rencontres, de très belles rencontres, durant lesquelles les personnages nous offrent un morceau de leur vie, celui qu’ils viennent déposer ou, au contraire, trouver dans ce parc. Le film laisse le temps aux personnages de s’exprimer comme il laisse le temps au spectateur de rentrer dans le bois, de se balader.

La voix-off vient en appui de l’image, en début et fin de chaque partie pour donner des repères temporels et spatiaux. La fluidité du film tient à la celle du montage : les plans et les séquences s’enchaînent avec une réelle simplicité. Les mouvements de caméra, jamais précipités ou inutiles, s’adaptent à la parole des personnages et à l’action. Le cadrage, toujours intelligent, vient apporter au bout moment un détail supplémentaire, un regard particulier sur ce qui est dit.

Les personnages du film sont inattendus, atypiques, et nous ouvrent les portes de leur bois. On va croiser tour à tour un homosexuel adepte de la « drague en plein air », prêt à nous montrer les meilleurs endroits et les meilleures techniques, un peintre nocturne, une prostituée, des pêcheurs, des cyclistes, des SDF, des marginaux, un chaman, une jeune maman, des guinéens festifs, des cambodgiens ayant fui la guerre ou encore un voyeur qui nous entraîne avec lui sur un « coup ». Il faut le voir pour le croire ! Le bois est un microcosme, à la fois parenthèse privilégiée en dehors de la ville, à la fois un miroir grossissant de l’ensemble de la société parisienne qui vient se retrouver dans ce lieu pour y trouver une sublimation ou simplement un plaisir. « Que peut-on espérer ici de plus qu’ailleurs ? » demande la réalisatrice quand vient l’hiver.

Le bois fonctionne dans le film comme l’allégorie du rêve. D’ailleurs, l’université de Vincennes pensée par Deleuze est invoquée dans une séquence très esthétique avec sa fille. La voix du philosophe résonne sur des images d’archives en transparence. Rêve, utopie, folie ? Deleuze questionne : Qu’est-ce qu’un événement?  C’est bien tout l’enjeu du film, à rebours des reportages des journaux télévisés : filmer les petits évènements, les récits de vie en prenant le temps, sans urgence et ainsi filmer simplement la vie et ce qui fait notre société.

Dans ce film étonnant, drôle et sensible c’est toute la société parisienne qui défile pendant presque deux heures trente que l’on ne voit pas passer. Claire Simon sait recevoir et transmettre la parole des gens qu’elle rencontre. La qualité du film tient à la qualité des rencontres et c’est à cela, sans doute, que l’on reconnait les grands documentaristes.