Pour William C. Martell, un dialogue n’est pas une personne qui parle et une autre qui écoute. C’est une joute verbale, c’est du conflit. Quelqu’un veut quelque chose de quelqu’un d’autre et il va se battre pour l’obtenir.Donc un dialogue requiert au moins deux personnes qui ont des points de vue différents. Car si deux personnes sont mutuellement d’accord, il n’y a pas grand chose à se dire.
De même, si l’un des deux taille la bavette, il n’y a pas non plus de dialogue. Un dialogue est un échange qui rebondit de l’un à l’autre entre deux ou plusieurs personnages d’ailleurs.
Et si l’un des personnages parle trop longtemps, vous brisez le rythme.
Chaque rebonds change légèrement la direction de la conversation. Car si ce que dit un personnage ne change pas l’orientation du dialogue, cela n’aura aucune signification dans la scène. William C. Martell ajoute même que cela serait comme parler à un mur.
Comme la conversation s’oriente à chaque réplique vers une direction différente, aucun des participants ne peut anticiper ce qu’un personnage va dire. Ils répondent à ce que l’autre dit mais pas nécessairement à l’intention que l’autre avait mis dans ses paroles. Les interlocuteurs reçoivent les mots mais ils les interprètent comme ils veulent les interpréter.
Chaque personnage entend les mots selon son propre point de vue ce qui conduit immanquablement à des incompréhensions. L’intention première du locuteur est nécessairement déformée par son destinataire.
Nous n’entendons pas ce que les gens disent mais ce que nous pensons qu’ils ont dit filtré par ce que nous voulons entendre.
Dans la colère, le risque d’incompréhension est élevé. Les interlocuteurs sont tellement concentrés sur leur colère que le sens des phrases est complètement détourné.
Par exemple, lorsqu’une femme se sent délaissée par son mari et qu’elle l’accuse de trop travailler en lui disant :
Ton stupide travail !
Son mari comprendra Tu es stupide. La réponse intervient avant même que la réplique de sa femme soit totalement comprise et correctement interprétée.
Il est essentiel de comprendre que la psyché de chaque personnage intervient grandement dans les dialogues. Les mêmes mots ou le ton employé peuvent évoquer des pensées différentes selon les individus et influencer la réponse de l’interlocuteur.
Il est donc important d’avoir bien étudié vos personnages avant de vous lancer dans la continuité dialoguée. Un dialogue, dans l’idéal, devrait faire avancer l’intrigue au même titre que le protagoniste.
Pour vérifier la pertinence de vos dialogues :
- Reprenez vos dialogues en vous plaçant sous l’angle de celui qui écoute.
- Comment pourrait-il mal interpréter le sens, l’intention du locuteur ?
- Quels mots possèdent un double sens qui pourrait mener à une confusion ?
- Comment leur attitude et les circonstances peuvent interférer sur la compréhension de ce que l’autre dit ?
Principe (selon William C. Martell) : les personnages ne devraient pas répondre de la façon que vous voudriez qu’ils répondent, ou de la façon dont l’histoire à besoin qu’ils répondent mais plutôt de la façon que leur histoire personnelle et leur attitude ou leur posture les forcent à répondre.
Une expérience directe
Une histoire est une expérience par personnage interposé. Pendant deux heures, nous sommes dans des courses poursuites, des règlements de compte, sous une pluie d’astéroïdes ou on se retrouve le cœur brisé.
Mais personne ne veut vivre sur un grand 8 ou se retrouver en danger de mort : la préservation de la vie est ainsi faite. On veut bien éprouver des expériences terribles et torrides mais bien à l’abri dans notre chez-soi confortable (un chez-soi psychologique, d’ailleurs).
L’auteur d’un scénario doit faire en sorte que son lecteur éprouve une expérience fascinante de la manière la plus directe possible. Plus ce sera direct et plus l’expérience sera ressentie.
La méthode donc avec laquelle seront transmises les informations qui permettent cette expérience est importante.
Considérez deux personnages qui se disputent. Le lecteur assiste en direct à la querelle. En fait, il est au milieu de celle-ci. Il est le témoin de cet événement, il pourrait même porter plus tard témoignage de cet événement. Il y a donc assisté directement. C’est une expérience de vie que le lecteur éprouve par personnes interposées.
Par ailleurs, si votre scène nécessite qu’un personnage raconte à un autre ce qui s’est passé, le lecteur n’éprouve aucune expérience. Afin que vous puissiez valider votre scène, quelque chose d’autre doit se produire dans cette scène (un conflit, par exemple) pour qu’une expérience directe ait lieu.
William C. Martell prend l’exemple de deux policiers dans une morgue. Ils sont là pour obtenir des informations sur la cause de la mort de la bouche du médecin légiste.
C’est un pur exposé.
A lire :
DES DIALOGUES… PAS UN EXPOSE
Pas de conflits, pas d’émotions. Il manque à l’évidence quelque chose à cette scène. Martell propose alors d’ajouter la femme de la victime qui est là pour identifier le corps.
L’un des deux policiers veut immédiatement obtenir les informations dont il a besoin (ainsi que le lecteur, d’ailleurs) et le médecin légiste commence à débiter des détails scabreux en présence même de la femme de la victime.
L’autre policier s’aperçoit du trouble de la femme et essaie de faire taire le médecin légiste et de faire comprendre à son collègue que ce n’est pas le moment de poser de telles questions mais le collègue s’obstine et le médecin légiste (pris dans son propre univers de médecine légale) ne se rendent pas compte de l’émoi de la femme.
Par cette mise en place de la femme dans la scène, le lecteur ressent émotionnellement à la fois le trouble de la femme et la gène du second policier (qui est en conflit avec son collègue et le médecin légiste).
Et bien que ce qui justifie cette scène est un apport d’informations pour permettre au lecteur de comprendre l’histoire qui va lui être contée, il va cependant se retrouver émotionnellement impliquée dans la scène.
L’idée est donc de placer le lecteur en plein milieu de la situation, au moment même où elle se produit. Une scène aura plus d’impact si le lecteur peut assister directement à ce qui se passe. Martell donne comme autre exemple que l’effet sur le lecteur sera plus puissant s’il découvre en même temps que le mari trompé que la femme et le meilleur ami du mari sont dans le même lit.
Si le mari trompé avait seulement été averti que sa femme le trompait avec son meilleur ami ou bien s’il avait trouvé des preuves de cette trahison, il n’y aurait pas eu cette réaction viscérale du lecteur qui éprouve ce que le mari ressent lorsqu’il découvre de visu l’impensable. C’est comme si le protagoniste et le lecteur étaient dans la même pièce.
Vous devez donc essayer de créer l’impact émotionnel le plus fort possible. Le lecteur doit donc être témoin des événements au moment même où ils se déroulent. Il ne doit pas avoir l’information après l’événement (dans ce cas, vous exposez une situation et vous ne la faites pas vivre à votre lecteur).