La Berlinale est officiellement terminée.
Le Jury présidé par Meryl Streep a confié ses petits ours, d’or et d’argent, à des cinéastes, des acteurs et des techniciens comblés. Les festivaliers également, car ce palmarès est équitable et récompense les films les plus marquants de ces dix jours de festival, à une ou deux exceptions près.
Le triomphe de Fuocoammare était attendu. Alors que les migrations de populations sont au coeur de l’actualité et font débat dans tous les pays occidentaux, que l’Allemagne a fait l’effort d’ouvrir davantage ses frontières aux demandeurs d’asile et que la Berlinale a organisé une grande levée de fonds pour aider à l’intégration des réfugiés, il était logique que le beau documentaire de Gianfranco Rosi trouve sa place au sommet du palmarès.
Le jury semble avoir été sensible aux messages politiques et humanistes véhiculés par les oeuvres en compétition puisque Mort à Sarajevo de Danis Tanovic, subtile allégorie sur les conflits qui ont ravagé l’ex-Yougoslavie et sur l’avenir de l’union Européenne, a obtenu le Grand Prix du Jury.
Hedi, de Mohamed Ben Attia, qui parle de la Tunisie post-Printemps Arabe, a été doublement primé. Il obtient le prix du meilleur premier film et le prix du meilleur acteur pour Majd Mastoura.
Le Jury a aussi voulu un palmarès faisant la part belle aux femmes. Trine Dyrholm obtient un prix d’interprétation amplement mérité pour son rôle de femme blessée et trompée dans The Commune de Thomas Vinterberg. Mia Hansen Love obtient l’Ours d’Argent de la Meilleure Réalisatrice pour L’Avenir, autre beau portrait de femme en plein vertige existentiel. Les histoires de désir féminin dans la Pologne des années 1990, rassemblées dans United States of Love obtiennent de leur côté le Prix du Meilleur Scénario.
Enfin, le jury de Meryl Streep a souhaité mettre en avant les oeuvres les plus esthétiques du festival, en primant A Lullaby to the sorrowful mystery de Lav Diaz, qui rafle le prix Alfred Bauer, et le travail du chef-opérateur Mark Lee Ping-Bing sur Crosscurrent.
Comme toujours dans ce genre de festival, il y a des grands oubliés, des films qui auraient mérité eux aussi de figurer au palmarès, mais les prix remis sont assez cohérents et loin d’être injustes. Le jury a bien travaillé et peut maintenant se reposer.
Les festivaliers, eux, n’en ont pas tout à fait fini avec la Berlinale, car si la compétition est close, les projections continuent un peu partout dans les différents cinéma de la ville, avec la reprise de la sélection officielle et des films des sections parallèles “Panorama”, “Forum” et “Generation”. Les organisateurs veillent en effet à ce que les films passent plusieurs fois, et dans des endroits différents, pour qu’un maximum de personnes puissent voir les films. Il est à noter qu’à Berlin, le public peut aussi acheter des billets pour les projections et que la plupart des séances affichent complet. Par ailleurs, c’est assez rare pour être souligné, les cinéastes restent presque tous jusqu’au bout du festival et continuent de débattre avec les spectateurs après les films, y compris le lendemain de la cérémonie de clôture. Une motivation de plus pour prolonger le plaisir jusqu’au bout.
Ainsi, nous avons pu voir Little Men d’Ira Sachs, une petite comédie dramatique indie américaine, dans laquelle deux ados, amis inséparables, décident de régler la querelle opposant leurs parents – pour une sombre histoire d’héritage et de bail commercial – en faisant la grève de la parole. Le ton du film, léger, est appréciable, mais l’intrigue manque singulièrement d’enjeux et il est probable que le film ne laissera pas de souvenirs impérissables aux cinéphiles. Reste une belle évocation de l’adolescence et des amitiés d’enfance, et du passage difficile à l’âge adulte.
How heavy this hammer, du canadien Kazik Radwanski, qui suit quelques jours de la vie d’Erwin, un quadragénaire en pleine crise existentielle. L’homme a à priori tout pour être heureux : une femme aimante, deux enfants avec qui il s’amuse beaucoup, deux chiens, une belle maison, une grande voiture, un travail pas trop épuisant et bien payé, et un loisir, le rugby, qui lui permet de se défouler avec les copains le weekend. Pourtant, on comprend illico que quelque chose ne va pas. Erwin passe beaucoup trop de temps à jouer à un jeu vidéo en ligne, où il mène des troupes de vikings et de créatures mythologiques à l’assaut de forteresses. Mais le seul mur sur le point de tomber, c’est la façade que constitue sa petite vie rangée. Le scénario ne précise jamais si c’est parce qu’il est devenu dépendant au jeu vidéo qu’il se met à ruiner sa vie et celle de son entourage ou si c’est parce qu’il est malheureux qu’il se réfugie dans des univers virtuels. Le cinéaste nous montre juste un homme en grande souffrance, en train de perdre pied. Comme il joue toute la nuit à son jeu vidéo, il dort insuffisamment, devient irritable, voire odieux avec ses proches. Ses enfants s’éloignent de lui, sa femme lui fait la tête, ce qui le rend encore plus malheureux et le pousse à jouer encore plus à son jeu vidéo. Il décide de quitter son travail et sa femme pour prendre un nouveau départ, mais, comme il se refuse à aller voir un psy, ses problèmes de dépendance au jeu et de profonde mélancolie sont toujours là. Le marteau qu’il doit utiliser pour reforger son existence est lourd, très lourd…
Cette chronique sociale est plutôt réussie, car on s’attache assez vite à Erwin et à ses proches. Le sujet – l’addiction aux jeux vidéos – est inédit et le traitement du cinéaste est le bonne, pudique et sensible. Seul petit bémol, à vouloir mettre en place une ambiance monotone et ouatée, pour coller à l’état d’esprit du personnage, il prend le risque de donner l’impression d’un récit trop lisse, sans aspérités émotionnelles, et de perdre en route des spectateurs.
Nous avons aussi découvert un film de science-fiction allemand, Wir sind die flut, dans lequel deux jeunes chercheurs en physique enquêtent sur un étrange phénomène survenu quinze ans auparavant dans le village de Windholm. Un jour, dans cette zone géographique, la mer s’est brusquement retirée et le cycles des marées s’est arrêté. Le même jour, la quasi-totalité des enfants a disparu, comme s’ils étaient partis avec la marée. Leurs parents, qui n’ont jamais pu faire leur deuil, se montrent hostiles vis à vis des deux chercheurs, mais ceux-ci, aidés par la seule gamine n’ayant pas disparu ce jour-là, persévèrent dans leur enquête et font des découvertes surprenantes, en lien avec l’histoire d’une famille du village. L’ambiance de ce long-métrage, signé Sebastian Hilger, est assez singulière. Elle joue avec les codes du film d’anticipation et des films de fantômes, et tire parti du décor, un no man’s land côtier à l’allure post-apocalyptique. On se laisse porter par cette aventure qui n’a rien à envier à des blockbusters pour ados tels que Hunger Games ou Le Labyrinthe.
Présenté dans la section “Forum”, Aru michi (Un voyage) du japonais Daichi Sugimoto est un travail de fin d’études assez banal. Le cinéaste raconte son entrée à l’école de cinéma, sa préparation au concours perturbée par ses anciens copains de lycée et sa rencontre avec ceux qui vont devenir ses meilleurs amis. Il parle de son passage à l’âge adulte et de son souhait de retrouver, par le cinéma, l’excitation qu’il éprouvait, enfant, lorsqu’il capturait des lézards dans la cour de sa maison. Au début, on se laisse séduire par cette chronique douce-amère sur le passage à l’âge adulte et la perte de l’innocence enfantine, avant de réaliser que le cinéaste n’a pas grand chose à raconter. Il nous perd définitivement quand il se remet à chasser le lézard avec une go pro vissée sur la tête, ce qui donne un résultat assez peu agréable à l’écran…
Fantastic, de Offer Egozy, est plus ambitieux. C’est une sorte de film noir absurde, qui tourne autour de la mort d’un homme appelé Duncan Ross, à moins qu’il ne soit en réalité Hilary, un peintre abstrait. Duncan/Hilary s’est suicidé, à moins qu’il n’ait été assassiné. Des personnes de sa connaissance viennent lui rendre visite après qu’il leur ait envoyé un télégramme implorant leur aide, à moins qu’ils ne trempent dans les mêmes mystérieuses affaires que la victime. Un pseudo-shérif enquête sur cette disparition, à moins qu’il ne cherche à brouiller les pistes. Bref, rien n’est clair, mais ce n’est pas bien grave car le metteur en scène se moque complètement de la résolution de l’intrigue. Ce qui l’intéresse, ce sont les sentiments et la complexité des relations humaines. Et c’est son dispositif narratif lui-même, qui ne repose que sur des dialogues et des inserts étranges. Il y a des bonnes idées, notamment dans la façon de présenter les personnages et de faire avancer le récit. Il y a aussi des idées saugrenues, comme le choix de costumes ridicules et les intertitres/onomatopées qui annoncent de nouvelles péripéties. L’audace du metteur en scène est intéressante, mais on sent qu’il est plus intéressé par le cinéma en tant qu’outil pour créer des dispositifs artistiques que comme art à part entière et on lui sait gré d’avoir limité son film à une durée de 75 mn. Au-delà, on se serait probablement lassés. Certains n’ont pas eu la patience d’attendre et ont vite quitté la salle, trop désarçonnés par cette expérience cinématographique.
Nous profitons de cette dernière chronique berlinoise pour glisser un mot sur Les Premiers, les Derniers de Bouli Lanners, qui est déjà sorti en salles en France.
Le nouveau long-métrage du cinéaste belge débute comme un film noir, se poursuit comme un western moderne et se termine comme une fable humaniste, quasi mystique, le tout enrobé d’un humour absurde assez savoureux et d’une ambiance de fin du monde. Cela donne un récit constamment surprenant, qui devient de plus en plus riche et profond à mesure que l’intrigue avance.
On suit le parcours de deux chasseurs de primes fatigués, chargés par un puissant homme d’affaire de retrouver son précieux téléphone, dérobé par un cambrioleur. Les derniers signaux satellite localisent le voleur dans la Beauce pouilleuse, près de l’aérotrain de Saran. En fait, le téléphone a été dérobé par deux handicapés mentaux qui se sont échappés de leur centre éducatif. Persuadés que la fin du monde est proche, ils veulent retrouver un être cher avant que ne se déclenche l’apocalypse. Pour survivre, ils chapardent de la nourriture et des objets dans les motels ou les stations-service, ce qui crée des tensions avec la population locale, et notamment le gang d’un caïd local, qui n’apprécie pas vraiment que des intrus viennent rôder sur son territoire. En chemin, les deux chasseurs de primes croisent un cadavre momifié, un vieux pasteur, un gérant de chambre d’hôte-jardinier, une femme étourdie et un vagabond à l’allure christique, qui vont changer leur perception des choses.
Alors que l’on rentre un peu décontenancés dans cette histoire, on en sort émus, touchés en plein coeur par la poésie de l’oeuvre, par le message humaniste véhiculé par le récit et la beauté des derniers plans. Et apparemment, nous ne sommes pas les seuls, puisque le film a remporté deux prix annexes (Prix Oecuménique et Label Europa Cinéma). Mais ce n’est pas une surprise, puisque les trois précédents films du cinéaste ont raflé des prix à Cannes ou à Berlin.
Pour en finir avec ces quotidiennes, quoi de mieux que The End, de Guillaume Nicloux, une oeuvre expérimentale, elle aussi, dans laquelle Gérard Depardieu incarne un homme perdu en forêt. Le cinéaste a affirmé qu’il était parti d’un de ses cauchemars pour écrire le scénario et effectivement, son film possède la structure d’un mauvais rêve. Le personnage principal perd ce qui le rattachait à la civilisation – son chien, son fusil, son téléphone portable – et croise des personnages étranges, un jeune homme, puis une femme en état de choc, qui pourrait correspondre à un fils et une épouse. Il manque de marcher sur des scorpions, est assailli par d’autres types d’insectes, entend des cris inquiétants. Et il semble tourner en rond le long du même sentier.
Le film aussi tourne un peu en rond, faute d’éléments pour venir alimenter la lente montée en tension de l’oeuvre. Gérard Depardieu continue de marcher dans la forêt en râlant (“Mon fusil! On m’a volé mon fusil! Et j’ai perdu mon chien!”), sans but précis. Et là, on se rappelle d’une réplique de Bernard Blier dans Buffet froid, avec le même Depardieu : “C’est la nature qui est chiante! Je m’emmerde, moi! “. Heureusement, les dernières scènes, glaçantes, viennent redynamiser un peu l’ensemble et lui donner une autre ampleur. On est encore loin des grands films oniriques de David Lynch, cinéaste qui a visiblement beaucoup influencé Guillaume Nicloux, mais le peu de matière présent dans le film est toutefois suffisant pour offrir différents niveaux de lecture et d’interprétation. Le travail d’analyse du film promet d’être intéressant. Nous aurons un an pour le mener à bien, avant de découvrir, on l’espère, une sélection 2017 de la Berlinale d’aussi belle teneur que ce cru 2016.
Voilà, dies ist das Ende. La Berlinale 2016, c’est fini. Merci d’avoir suivi nos billets journaliers et à bientôt pour de nouvelles aventures cinématographiques!