La Terre et l'ombre "La Tierra y la Sombra"

Par Cinealain

Date de sortie 3 février 2016


Réalisé par César Acevedo


Avec Haimer Leal, Hilda Ruiz, Edison Raigosa

Marleyda Soto, José Felipe Cárdenas

Tire orginal La Tierra y la Sombra


Genre Drame


Production Colombienne

Le film a été présenté à la Semaine de la critique

au Festival de Cannes 2015.

Récompensé par La Caméra d'Or.

Deux autres prix à la Semaine Internationale de la Critique 2015

Le Prix SACD et le Prix de la Révélation France 4

Sabine Azéma

Présidente du Jury de la Caméra d’Or - Festival de Cannes 2015 a déclaré :

"Nous avons vu 26 premiers films

et nous avons trouvé notre trèfle à quatre feuilles

dans un champ de cannes à sucre "

Synopsis

Alfonso (Haimer Leal) est un vieux paysan qui revient au pays pour se porter au chevet de son fils malade.

Il retrouve son ancienne maison, où vivent encore celle qui fut sa femme, sa belle-fille et son petit-fils.

Il découvre un paysage apocalyptique: le foyer est cerné par d'immenses plantations de cannes à sucre et une pluie de cendres liée à l'exploitation tombe sans cesse sur la maison, aggravant la maladie de son fils.

17 ans après avoir abandonné les siens, Alfonso va tenter de retrouver sa place et de sauver sa famille.

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Lauréat de la Caméra d'or au dernier Festival de Cannnes, La terre et l'ombre révèle César Acevedo né à Cali en Colombie en 1987


Il est diplômé de l’Ecole de Communication Sociale de l’Université del Valle, dans sa ville natale. Le scénario de La terre et l'ombre fut son travail de fin d’études, puis est devenu son premier long‑métrage, sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes en 2015 après avoir reçu le soutien d’un grand nombre de fondations et d’aides au développement en Colombie, à Cuba et en Espagne.


Avant de tourner La terre et l'ombre, César Acevedo a réalisé deux courts métrages, Los pasos del agua et La Campana. Il a aussi été co-scénariste et assistant à la mise en scène sur Los Hongos de Oscar Ruiz Navia (Prix Spécial du Jury au festival de Rotterdam), après avoir été assistant de production sur El vuelco del cangrejo, du même metteur en scène, qui fut récompensé par le Prix FIPRESCI au festival de Berlin. Il a également été directeur de la photographie du making off de La Sirga de William Vega et photographe de plateau sur Siembra de Angela María Osorio et Santiago Lozano.

Propos de César Acevedo


Ce film est le fruit d’une période douloureuse de ma vie. Quand j’ai commencé à écrire le scénario, ma mère était morte, mon père n’était qu’un fantôme, et puisque je n’arrivais pas à raviver mes souvenirs, j’avais l’impression d’avoir perdu mes parents pour toujours.
J’ai alors ressenti le besoin de faire un film qui me permettrait de retrouver les deux personnes les plus importantes de ma vie, à travers le langage du cinéma. J’ai d’abord envisagé de tourner une sorte de réflexion sur notre vie ensemble, ou sur ce qu’elle avait pu être, en m’inspirant des évènements les plus intimes et essentiels de notre relation. Je pensais qu’en retrouvant mes racines, je pourrais enfin faire face à ce que j’avais oublié.


De là est né ce microcosme composé d’une petite maison et d’un arbre, où je pourrais d’une certaine façon retrouver ceux que j’aimais le plus au monde. Mais en écrivant le scénario, je me suis rendu compte que cette maison était habitée par des fantômes qui erraient d’une pièce à l’autre, incapables de parler, ou de se reconnaître.

J’ai mis du temps à accepter que mon projet était voué à l’échec, simplement parce que ce que je recherchais avait disparu avec mes parents. Je me suis donc éloigné de cette idée de départ afin de mieux développer mes personnages et le conflit qui était au coeur du film. C’est ainsi qu’est née l’idée de raconter l’histoire d’une famille dysfonctionnelle qui tente de renouer des liens avant d’être séparée pour de bon. Non seulement les membres de cette famille sont contraints de faire face à leurs sentiments respectifs, mais, ce qui est plus éprouvant encore, ils découvrent des sentiments dont ils ignoraient l’existence, ou dont ils n’avaient pas conscience.

Puisque mon intention de départ était de faire un film autobiographique et que je suis originaire de la vallée du Cauca en Colombie (une région dont l’économie dépend principalement de l’industrie sucrière), j’ai naturellement choisi cet endroit comme décor. J’ai tout de suite voulu parler d’un peuple anéanti par une vision paradoxale du progrès.

J’ai donc commencé des recherches minutieuses sur le sujet pour illustrer les problèmes sociaux existants, mais aussi pour faire revivre la lutte et la résistance de ces paysans attachés à leur terre. Je n’ai eu aucune difficulté à définir le conflit ni la structure du film, parce qu’ils font partie de moi ; ils sont intrinsèquement liés à la vie de ma famille.

La difficulté a été de comprendre qu’il fallait que je me détache de ce qui me manquait tant et que j’avais perdu pour toujours, car ces fantômes empêchaient les personnages de se développer et de prendre vie de façon autonome. J’ai passé des années à réécrire le scénario, en tentant de rendre les personnages aussi humains et authentiques que possible, et en me gardant bien de juger leur comportement.

Puisque le film s’articulait autour d’un drame familial, il m’est apparu essentiel d’exprimer à l’écran la distance entre les corps et les émotions des personnages. Il me fallait un dispositif qui forcerait les personnages à évoluer dans une unité de temps et d’espace, en dépit de leur manque de communication. Un sentiment de malaise pouvait alors s’installer et les émotions se révéler peu à peu, à mesure que les personnages se frottaient les uns aux autres et se confrontaient à cet environnement commun.
Les plans-séquences, parfois fixes, permettent de rendre palpable l’enfermement des personnages dans un espace à la fois physique et émotionnel, mais aussi de guider leurs actions dans le cadre. Nous voulions des plans capables d’exprimer le passage du temps, pour que le spectateur puisse ressentir ce qu’il y a à l’écran, sans se limiter à ce qui est représenté, visible. En offrant différents niveaux de compréhension, j’espère avoir su créer une réelle profondeur de sens.
Le rythme du film est dicté par l’état émotionnel des personnages, par l’évolution de leurs sentiments. Le début du film est marqué par leur isolement, la distance qui les sépare, le malaise que crée cette promiscuité retrouvée : le rythme est alors ralenti, oppressant, parfois jusqu’à l’inconfort. Mais à mesure que l’histoire progresse et que les personnages commencent à réparer les liens qui les unissent, la caméra prend ses distances, le rythme et les situations s’écoulent de façon plus organique.

Mon intention était d’utiliser le microcosme dépeint dans le film (une famille de cinq personnes, une petite maison et un arbre, cernés par un champ de cannes à sucre aux dimensions impressionnantes) pour montrer de quelles façons l’illusion du progrès a pu mettre en péril l’histoire, la mémoire et l’identité d’un peuple. J’ai voulu attirer l’attention sur certains problèmes sociaux majeurs liés à l’expansion écrasante de l’industrie sucrière dans la région où j’ai grandi : paysages défigurés, épuisement des sols, petits paysans poussés à la faillite, pauvreté, maladie, déplacements de populations...


Mais mon propos ne se limite pas à ces questions ; ma priorité a toujours été de montrer le sentiment d’appartenance des paysans à une terre, et l’importance de leur résistance. Leur combat quotidien devient une lutte épique pour défendre leur liberté et leur dignité.

Les personnages principaux du film peuvent être rapidement définis ainsi : une femme qui refuse d’abandonner la terre qu’elle a défendue toute sa vie ; un fils qui ne parvient pas à quitter sa mère, au risque d’y laisser sa santé ; une épouse courageuse qui se bat pour sauver les siens ; un père confronté à ses erreurs passées pour retrouver la famille qu’il a abandonnée ; un enfant qui rencontre la mort pour la première fois.


Mais ces personnages sont aussi plus complexes je crois. Ils se révèlent peu à peu avec le délitement inévitable de la famille, ils font face aux sentiments les uns des autres, mais aussi à leur propre culpabilité et leur propre souffrance. Ils semblent rester impassibles, en dépit des bouleversements qui les affectent ; mais parfois, les passions internes qui les consument font remonter de violentes émotions à la surface. Le poids dramatique de ce conflit s’exprime moins par les mots qu’à travers les silences, la distance entre les corps, les regards qui ne se croisent jamais, et certains petits détails comme la nourriture qui refroidit sur une table sans convives. Parce que ce qui importe vraiment ne se trouve pas dans ce que l’on voit, ni dans ce que les personnages disent, mais plutôt dans ce qu’ils cachent, dans cette partie d’eux-mêmes dont ils ne soupçonnent même pas l’existence…

Seules deux actrices du film sont professionnelles : la jeune femme est interprétée par une comédienne confirmée, et la femme plus âgée a fait du théâtre pendant des années, même si elle n’a pas suivi de formation en bonne et due forme. Aucun des hommes dans le film n’avait déjà joué ; les coupeurs de cannes à sucre sont incarnés par de véritables coupeurs.
Sachant que les acteurs allaient devoir supporter une charge émotionnelle importante, nous avons décidé de les préparer plusieurs mois avant le tournage. Des ateliers réservés aux cinq membres de la famille ont été animés par une répétitrice brésilienne, Fatima Toledo. Elle a élaboré un programme intensif de six semaines, en utilisant une méthode fondée sur l’éveil de la mémoire des acteurs, destinée à les rendre plus à l’écoute de leurs émotions réelles utiles pour leur rôle. Nous ne leur avons jamais donné de scénario, et nous avons attendu les derniers jours de préparation pour travailler certaines scènes spécifiques. Même si Fatima n’était pas présente sur le tournage, sa contribution s’est révélée essentielle car elle a fourni les outils nécessaires aux acteurs et à moi-même.
Pendant le tournage, nous tournions les scènes au jour le jour, en partant de zéro. J’expliquais aux acteurs la situation et leur donnais des dialogues à apprendre, adaptés à leur propre façon de penser et de s’exprimer. Nous n’avons pas beaucoup répété avant le tournage, pour que des moments d’exception puissent se produire naturellement sur le plateau. Puisque cela impliquait une quête permanente, nous avons retourné chaque scène de nombreuses fois jusqu’à obtenir le résultat souhaité.
Je crois que tout a bien fonctionné parce que nous avons vraiment appris à nous connaître et à nous faire confiance. Nous sommes devenus une vraie famille, et bien des émotions exprimées par les acteurs sont nées des liens que nous avons su créer entre nous.

Mon opinion

En parlant de La Terre et l'Ombre, Caméra d'or au dernier festival de Cannes, Sabine Azéma, présidente du jury a déclaré :" …. Nous avons trouvé notre trèfle à quatre feuilles dans un champ de cannes à sucre ".

César Acevedo réalise, avec un incomparable brio, son premier long-métrage.

Il révèle : "Les plans-séquences, parfois fixes, permettent de rendre palpable l’enfermement des personnages dans un espace à la fois physique et émotionnel, mais aussi de guider leurs actions dans le cadre."

Là n'est pas la seule réussite de ce film, asphyxiant dès les premières images qui vous enveloppent dans une poussière étouffante sans vous en délivrer vraiment.

Il est, entre autres, question de grands sentiments. Le temps qui passe les rend plus douloureux quand il n'a pas été possible de les laisser vivre. Mais aussi d'une terre riche qui guérit les blessures corporelles, mais qui favorise l'ignominieuse exploitation de la canne à sucre dans des étendues sacrifiées.

Au milieu de ces paysages lugubres la tache colorée d'un cerf-volant donnera un faible espoir.

Ce premier long-métrage est le deuxième film colombien que je découvre. Un film dur et puissant. Réussi de bout en bout.

Je souhaite sincèrement que cette première réalisation de César Acevedo puisse être vue par le plus grand nombre.