Cher John Williams

Cher John Williams,

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Avec Hans Zimmer et Michael Giacchino (ton illustre fils spirituel), tu partages la plus grande partie des playlists de mon téléphone portable dédiées aux musiques de films (autrement dit une majorité). C’est avant tout grâce à toi que j’ai compris qu’une composition pour le cinéma pouvait avoir une vie en dehors du métrage auquel il se réfère. Après tout, si un morceau accompagne une parcelle d’images et de sons pour souligner les émotions qu’elle suscite, voire lui en apporter de nouvelles, pourquoi ne le ferait-il pas sur ma vie de tous les jours ? Je peux l’attester, il n’y a rien de plus galvanisant que d’entamer sa journée avec la Raider’s March d’Indiana Jones à fond dans les oreilles, ou que d’admirer la beauté d’un soleil couchant avec le thème d’E.T. Mais comme tu peux t’en douter, un seul de tes albums emplit mes tympans depuis maintenant plusieurs mois (notamment en écrivant ces lignes) : celui de Star Wars : Le Réveil de la Force. Un retour en grande pompe pour la saga qui t’a transformée en icône, à laquelle tu dois beaucoup, et réciproquement. Plutôt réciproquement d’ailleurs, tant tu as contribué à transformer l’œuvre de George Lucas en outil de culte. Je risque de ne jamais oublier ce 16 décembre 2015, dans cette salle de cinéma comble, qui attendait comme le messie la fameuse explosion de cuivres entamant un thème principal qui nous avait bien manqué.

Pourtant, à l’instar du film, ce nouveau crû n’a pas contenté tout le monde, certains arguant un manque de ces thèmes mémorables dont tu as le secret. Pour ma part, je me range plutôt du côté de nos confrères d’Underscores, qui défendent la maturité que tu as su atteindre avec le temps. Moins de hits en puissance mais une mécanique d’écriture toujours plus minutieuse et soignée. Chaque note et chaque instrument trouvent leur place dans l’harmonie si parfaite de ton orchestration, tels des petits pixels qui forment ensemble une image. Ton usage merveilleux du leitmotiv s’y accorde alors pour accentuer toute la complexité de l’action et des personnages, au point d’en devenir un à part entière. Il est merveilleux de constater que quatre notes te suffisent pour définir Kylo Ren, reflétant toute sa colère ainsi que son inachèvement dans la voie du Côté Obscur. Et que dire du thème de Rey, magnifique appel à l’aventure sensible et juvénile, qui laisse la part belle aux flûtes et aux violons. Tu as su capter cette équilibre particulier recherché par cette amorce d’une nouvelle trilogie, à la fois en quête de renouveau et reconnaissant envers son héritage. Tu ouvres l’horizon de futurs événements tout en rappelant, non sans une pointe d’amertume, les trente ans qui ont passé. Le thème que partagent Han et Leia m’arrache le cœur à chaque écoute, tandis que tu délivres, plus avec générosité que nostalgie, cet ensemble de notes mythique attribué à la Force. Pour autant, tu n’en oublies pas ces envolées fanfaronnantes qui t’ont rendues si célèbre. Que ce soit par la piste I Can Fly Anything, la déjà culte March of the Resistance ou encore ton génial Scherzo for X-Wings, tu nous rends cette puissance jouissive que Star Wars a toujours évoqué.

Je pourrais bien sûr parlé en détails de tout l’album, qui prouve une nouvelle fois à quel point tes compositions se suffisent à elles-mêmes. Mais il faut bien savoir s’arrêter, et je conclurai donc sur cette solennité émue, sur ce suspense insoutenable et cette émotion bouleversante que tu insuffles dans la dernière séquence du long-métrage de J.J. Abrams, dans une piste intitulée The Jedi Steps. On y retrouve toute ta sensibilité, celle qui réussit à mettre en valeur chaque son afin de démontrer cette magnificence de l’orchestre symphonique. A l’heure où l’électronique retrouve, pour le meilleur et pour le pire, une place de choix au sein du monde des bandes-originales, tu résistes encore et toujours pour nous faire voyager de la plus belle des manières. Qu’importe les peine-à-jouir qui ne parviennent pas à déceler toute la maestria de ton dernier chef-d’œuvre, ta musique pour Le Réveil de la Force est d’autant plus importante qu’elle reflète tout ce talent que tu as su mettre à profit depuis plus de soixante ans : une écriture riche et complexe, suffisamment érudite pour pouvoir mélanger les genres (classique, jazz, rock…), mais avant tout portée par une véritable générosité et un amour du septième art, que tu continues de pousser dans ses retranchements. Malgré tout ce temps, mes poils continuent de se hérisser régulièrement à l’écoute de tes compositions, aussi bien dans mes voyages en métro que devant mon ordinateur. Je t’avoue même qu’il m’arrive dans ce cas de quitter ma chaise pour battre fièrement la mesure avec mes bras, comme si je devenais un instant le chef d’orchestre de ces moments de bonheur musicaux et cinéphiles. Impossible donc de se lasser devant tant de maîtrise, ce qui me laisse de quoi réjouir longtemps mes oreilles avant que tu ne viennes leur présenter ce que tu auras concocté pour l’épisode VIII. Mais ne sois pas trop long quand même !

Avec tout mon respect.

Le Cinéphile Cinévore