Mes découvertes documentaires du mois de Février

Mes découvertes documentaires du mois de Février

Réal. : François Ruffin
Durée : 1h24
Sortie : 24 Février 2016
:star: / Indispensable

Pour commencer j'ai un aveu à vous faire : ce mois-ci je n'ai qu'un seul et unique documentaire à partager avec vous.

Alors, non, je n'ai pas -totalement- passé le mois à paresser. Si je ne vous parle que de Merci Patron ! aujourd'hui c'est parce que je me vois mal enchaîner cette chronique avec un avis sur un quelconque Disneynature ou un énième documentaire sur un artiste. Je me vois mal le faire parce que si le premier documentaire de François Ruffin est incroyablement filou, malin et drôle, il se fonde tout de même sur une réalité sociale, politique et économique éminemment brutale, tragique et révoltante. Dans Merci Patron ! François Ruffin campe un candide et insignifiant actionnaire de LVMH ayant pour mission de rétablir le dialogue entre Bernard Arnault et la France d'en bas. La France d'en bas ce sont, entre autres, les licenciés d'ECCE (Entreprise de Confection et de Commercialisation Européenne), située à Poix-du-Nord et spécialisée dans le haut de gamme (Kenzo, Givenchy). Pour ce faire, le rédacteur en chef de Fakir propose aux déçus d'acheter des actions LVMH et ainsi participer à l'assemblée générale des actionnaires. C'est en se lançant à corps perdu dans cette mission -très troisième degré, bien sûr- que le journaliste fait la rencontre de la famille Klur. Serge et Jocelyne Klur ont travaillé plus de vingt ans à ECCE et ont été licenciés, il y a six ans de cela, lors de la délocalisation de leur usine en Pologne. Aujourd'hui, ils vivent avec 400€ par mois et sont à deux doigts de perdre leur maison, alors les actions LVMH très peu pour eux. François Ruffin s'improvise porte-parole et ensemble ils échafaudent un plan rocambolesque pour arnaquer l'odieux milliardaire.

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choisit d'inverser la tendance en rejouant l'éternelle lutte du pot de terre contre le pot de fer. Et cette fois-ci, c'est le pot de terre qui marque une petite mais très enthousiasmante victoire : extorquer 31 000€ et un CDI au groupe LVMH, en réparation du licenciement des Klur et de la situation précaire dans laquelle il les a conduit. Car, oui, les conditions de ce dédommagement sont particulièrement cocasses et totalement rocambolesques. François Ruffin convainc les Klur de contacter LVMH pour leur poser un ultimatum : si le groupe du luxe ne prend pas contact avec eux dans les plus brefs délais, la famille Klur exposera sa situation précaire à tous les plus grands journaux nationaux ainsi qu'à Fakir, le journal indépendant local. Et c'est à la mention de ce nom que le groupe aux longues dents tremble comme une feuille et dépêche un type qu'on pourrait croire sorti d'un Tarantino pour négocier avec les deux sociaux-terroristes. LVMH, cette fois, est prêt à tout pour éviter la publicité que lui proposent les Klur. La manœuvre va payer, c'est le cas de le dire, et même surpasser les attentes du réalisateur. Le plus jubilatoire dans toute cette arnaque c'est de voir les oppressés utiliser les armes de prédilection des oppresseurs. Puisqu'on n'a rien sans rien et qu'il faut désormais taper du point sur la table pour obtenir des miettes, les Klur passent au chantage économique -or, c'est la spécialité des multinationales et des grands groupes. Dans la salle de l'Espace Saint-Michel où j'ai vu le film, le public était hyper réactif : rires de toutes les couleurs et frémissements dans les moments de suspense. Parce que Merci Patron ! ne s'arrête pas à un moment désopilant, ce film redonne un peu d'espoir en nous montrant que les plus petites initiatives, si elles ont la hargne de l'action, font peur aux plus grandes entités. Quand on voit le couple Klur présenter ses enveloppes à l'attention des plus grands médias et personnalités (Le Monde, Mediapart, France Inter, Mélenchon, Hollande...) au négociateur de LVMH, on s'esclaffe de la réaction du dernier terrorisé à l'unique idée que Fakir puisse avoir vent de l'histoire et s'en saisir. Donc, oui, nous pouvons agir et nous le devons. Qui plus est, à l'échelle locale où notre pouvoir est renforcé. Si le cas des Klur est très local, il concentre pourtant le système complet. Agir local, c'est agir global.

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Et puis il y a la réception de certains grands médias qui permettent de faire durer un peu la farce. François Ruffin devait participer à l'émission de Frédéric Taddéï sur Europe 1, le Social Club -2h d'émission. Or, il apprend (avant son enregistrement pour Arrêt sur Image) que son invitation est levée. On rappelle, au passage, que la radio est détenue par le groupe Lagardère, mais il serait malvenu de croire que tout cela est lié. Et puis devant la gronde Europe 1 se couche et invite de nouveau Ruffin mais cette fois face à Jean-Michel Apathie -15 minutes d'antenne seulement. Instantanément, et pour ne pas entretenir le simulacre de démocratie, Ruffin adresse au journaliste une lettre ouverte. Au final, l'interview tourne court et les apparences du dialogue sociale sont sauvées, ouf. En dehors de ces anicroches, les critiques sont plutôt enthousiastes, à l'image de la chronique de François Morel sur le film. Bien sûr, le film ne bénéficie pas de la même promotion que le dernier Iñárritu, je vous invite donc à le soutenir en salles si le sujet vous intéresse et si vous souhaitez soutenir la production de documentaires indépendants et engagés.