Un drame poignant sur une relation mère-fils porté par la symbiose de ses acteurs.
Un lit, une armoire, une télévision, un velux : tant d’objets rectangulaires au sein d’un même espace fermé par quatre murs. Une chambre dans laquelle sont séquestrés Joy et son fils Jack depuis plusieurs années. A vrai dire, l’enfant de cinq ans a même vu le jour dans cette pièce close, poussant sa mère à lui affirmer qu’ils habitent sur leur propre planète, et que le monde autour d’eux n’existe pas. Dès lors, Room aurait pu se contenter d’un statut de thriller claustrophobe et glauque, attendant avec inquiétude les venues quotidiennes du geôlier des protagonistes. Mais plutôt que de suivre le regard lucide et désespéré de Joy, le film préfère se focaliser sur le point de vue innocent de Jack, en pleine incompréhension de l’horrible réalité de la situation. Se dessine alors une enfance tentant de survivre dans un contexte qui aurait pourtant dû l’annihiler, et que le métrage va mettre à l’épreuve à partir du moment où les deux prisonniers s’essayent à un plan qui leur offre enfin l’opportunité de fuir leur kidnappeur. Lâché dans un monde qu’il n’avait même pas imaginé, Jack doit trouver de nouveaux repères, pour la plupart assez flous, à commencer par les membres de sa (nouvelle) famille, réduits à de simples fonctions. Peu de noms se font entendre dans Room, les personnages privilégiant des surnoms (Grand-Père, Grand-Mère, Maman, voire même Vilain Nick pour définir le ravisseur) explicitant un rôle qu’ils doivent assumer, non sans difficultés.
En effet, le film est avant tout le récit d’une interrogation sur le retour à une vie normale. Tout comme l’envisage Jack, la mise en scène souligne par des cadres aérés (le plus souvent en laissant de l’espace au-dessus des protagonistes) une liberté illusoire, même lorsqu’ils sont enfin délivrés. Le coffre d’une voiture, les portes de la maison de la mère de Joy, les fenêtres d’un hôpital : tout est sujet à des surcadrages bouchant les lignes de fuite. Mais les plus grandes frontières délimitées par le film sont les bords du cadre, marquant un hors-champ qui ne demande qu’à être exploré. Lenny Abrahamson, réalisateur de Frank et de What Richard did, exploite alors toute sa poésie aux limites de l’onirisme pour exprimer celle du cadre cinématographique. La beauté du récit repose sur la maturité qu’atteint progressivement Jack, cette conscience que l’univers ne tourne pas qu’autour de lui, et qu’il est bien trop grand pour être exploré. Cette immensité touche à une forme de sublime perçu par l’enfant, qui n’est autre que le sentiment que peut procurer le septième art. L’écran est une ouverture sur un monde qui nous dépasse, concentré sur une parcelle d’espace et de temps que l’on sait néanmoins bien plus épanouie, et que nous acceptons comme tel. Le cadre n’est qu’une limite qui demande à être transcendée, par l’imagination et la volonté de voir au-delà.
Room devient alors une leçon de vie et d’espoir, en permettant à son jeune héros de défier la tristesse d’un environnement volontairement rendu terne par la photographie et la production design. Abrahamson nous pousse, comme Jack, à personnifier les objets ou à inventer des êtres imaginaires pour ressentir ces émotions invisibles. Loin de jouer sur le tire-larmes, le film préfère développer la complexité du trauma de Joy et de son fils, ainsi que l’évolution de leur relation. Contrairement à ce que l’on peut lire, Room n’est pas une métaphore de la famille comme renoncement à l’individualité. Il montre l’universalité du lien unissant une mère et son enfant, même isolé de toute société. On pourrait d’ailleurs songer à la première partie du long-métrage comme une expérience sociologique malsaine, se rapprochant de la notion d’état de nature décrite par Rousseau, tout en lui donnant tort. L’humain est fait pour se rallier à ses compères. Il en a besoin pour grandir et s’épanouir, quand bien même il s’agit d’une société réduite à sa condition la plus primaire. C’est ce que représente cette chambre, dans laquelle a été instituée des règles auxquelles Jack s’est habituée, au point d’avouer que le lieu lui manque par moments. Film de l’acceptation plutôt que du rejet, Room a la bonne idée de ne pas bêtement s’indigner face à l’horreur de son récit, mais propose lucidement un lâcher-prise qui passe par un affrontement du traumatisme, et la conscience du poids qu’il représentera tout au long de la vie des protagonistes.
Et c’est par cette justesse et cette immersion dans le cœur de ses personnages que le long-métrage touche à une profonde sincérité. Si l’on pourra lui reprocher quelques longueurs, ainsi qu’un symbolisme par moments trop appuyé, Abrahamson construit toujours son scénario et son montage pour servir ses deux héros et leur relation unique. Il se révèle par ailleurs être un brillant directeur d’acteurs. Brie Larson (déjà admirable dans States of Grace) fait ressentir toute la souffrance enfouie de Joy, qui lui a valu à juste titre l’Oscar de la meilleure actrice. Néanmoins, son interprétation n’aurait peut-être pas atteint une telle maestria sans l’alchimie qu’elle a su engendrer avec Jacob Tremblay, enfant acteur d’une incroyable maturité, et que l’on peut d’ors et déjà promettre à une grande carrière. Ce sont ces deux-là, ensemble, qui nous retournent les tripes, tandis que le récit oblige Joy à constater qu’elle doit laisser son fils sortir du nid pour découvrir le monde par lui-même. Car Room traite aussi de ce moment déchirant pour tout parent, où l’on se rend compte que son enfant est en train de perdre son innocence. Cette innocence qui, dans le cas de Jack, a été préservé par sa mère, envers et contre tout. On devine qu’ils ont encore de belles aventures à partager. C’est pourquoi, quand le générique de fin débute, on se dit qu’on passerait bien quelques heures de plus avec eux.
Réalisé par Lenny Abrahamson, avec Brie Larson, Jacob Tremblay, Joan Allen…
Sortie le 9 mars 2016.