Lieu, epoque & style de votre monde

Par William Potillion @scenarmag

Les bonnes histoires ont été déclinées sous toutes les versions. Il suffit de penser à la mythologie, aux mythes, aux légendes ou à Roméo et Juliette…
Les auteurs s’emparent d’un matériel préexistant, l’interprète ou le réinterprète, le déplace de lieu ou d’époque, lui insuffle de nouvelles intentions (une tragédie peut très bien devenir une comédie).
L’idée est que bien que les circonstances de sa survenue ont été changées, l’histoire reste la même.
Si l’histoire qui sert de fondement à une nouvelle histoire était divertissante, puissante, significative, la nouvelle histoire devrait l’être tout autant.
Comment distingue-t-on une nouvelle histoire de son illustre prédecesseur ? En déterminant pour votre propre histoire et votre intrigue une époque (le Quand ?), un lieu (le Où ?) et un genre (le Comment ?).

Ces choix dessineront les contours de votre monde.

Le Quand ?

L’époque où vous situerez votre fiction fait partie indéniablement du matériel qui servira globalelement à votre histoire et à votre intrigue. Définir votre monde à une époque particulière peut aider à développer dramatiquement vos intentions. En effet, le sous-texte psychologique ou émotionnel peut être plus clair et plus significatif en les plaçant dans certaines circonstances plutôt que d’autres.
Le monde que vous allez décrire est indépendant de votre histoire, pourtant, vous allez devoir trouver entre celle-ci et l’univers dans lequel elle prend place, une sorte d’alchimie qui permettra à votre fiction de s’exprimer pleinement. Il est fort probable que votre histoire pourrait s’adapter à n’importe quel monde (dont l’époque est un des principaux marqueurs), mais si vous ne lui choisissez pas la meilleure époque pour qu’elle puisse s’exprimer, vous risquez de lui faire perdre de sa puissance.

Le monde de votre histoire peut s’installer dans le passé (un passé très lointain ou relativement récent), dans le futur (comme le fait la science-fiction) ou plus généralement, dans le présent.
Ce n’est pas tant de nostalgie ou de précisions historiques dont il faut tenir compte. Il s’avère tout simplement qu’une idée fonctionne mieux à une époque particulière qu’une autre.
Vous pourriez vous inspirer, par exemple, de Patton pour l’un de vos personnages et vous apercevoir que votre personnage et votre histoire auraient plus de puissance s’il devenait un général romain.
Peter Dunne explique même que de nos jours nos personnages peuvent s’épancher auprès de leurs amis ou de leurs relations sociales sans en être particulièrement embarrassés ou jugés. Mais il fut un temps où les angoisses et autres anxiétés d’un protagoniste en lutte avec ses propres démons ou devant au moins les admettre était impossible sans en souffrir de sérieuses conséquences. Si ces conséquences sont importantes pour votre intrigue, il peut être alors intéressant d’envisager une époque où un tel épanchement (même s’il libère le protagoniste) le jette cependant sous une opprobre dévastatrice.

Certaines vérités sur le plan des valeurs, des émotions, des points de vue ne résistent pas au passage du temps. Si vous souhaitez interpeller dans votre histoire ces vérités d’un autre temps, vous devez mettre en place ce temps avec ses propres valeurs, ses propres idéaux, ses propres données sociales car les caractérisques d’un monde évoluent et chaque monde possède son propre jeu de valeurs.

Lorsqu’un lecteur s’abandonne à l’univers de votre histoire, il a besoin de repères réalistes afin de suspendre (le temps de la fiction) son incrédulité. Considérez votre intrigue, c’est elle qui devrait apporter ce sens de crédibilité et ainsi, définir le temps de votre histoire.
Sur le plan émotionnel, votre histoire doit être plausible. Vous ne pouvez jouer sur des émotions dépassées et hors de propos avec la période du monde que vous décrivez. Considérez un thème comme l’homosexualité, par exemple, et selon le message que vous souhaitez faire passer, vous devrez soigneusement choisir le temps de votre histoire.

Le Où ?

C’est une question délicate à répondre car l’impact émotionnel d’un Où ? est différent selon les individus et par ailleurs, du seul point de vue de la recherche documentaire, il est préférable d’être assez familier avec l’endroit que vous souhaitez illustrer dans votre monde.

Si le lieu de votre fiction a une importance dans celle-ci, vous devez le traiter de la même manière qu’un personnage dont la valeur influe et sur l’histoire et sur l’intrigue. Dans le cas contraire, ne vous appesantissez pas sur l’aspect pittoresque des paysages.

En tant que personnage de votre monde, le lieu peut transcrire directement la vie émotionnelle des personnages qui le peuplent. Peter Dunne donne l’exemple de Witness où les entrailles de la ville du capitaine John Book et le cocon d’une campagne où se sont installés des Amish renforcent la love story entre Brook et Rachel mais aussi ces vérités émotionnelles sur la simplicité, l’humilité et l’honnêteté comme valeurs spirituelles et croyances.

La puissance des histoires siège ainsi dans des lieux bien spécifiques. Ressentez cette puissance et situez-là à des endroits de votre monde où elle fonctionnera au mieux, scène après scène. Ces lieux spécifiques peuvent être de toutes sortes : des espaces dégagés comme confinés.
Un ascenseur, un appartement, une rue déserte, un restaurant, un champ de blé, une table de cuisine… Ce sont des décisions que vous devrez prendre au moment de chaque scène.

Envisagez plusieurs emplacements pour une même situation peut vous aider à affiner le pouvoir émotionnel d’une scène et d’une idée. Vous vous apercevrez sans doute être attiré par des lieux que vous connaissez personnellement. Vos souvenirs de ces endroits vous permettront de colorer vos scènes afin d’en faire ressortir la charge émotionnelle la plus efficiente.
Les souvenirs ont en effet cette particularité d’exciter l’imagination.

En immergeant votre lecteur dans votre monde, vous exciterez aussi en lui certaines résurgences émotionnelles même s’il ne s’est jamais rendu dans l’endroit que vous décrivez. Un détail, un indice (tel un temps pluvieux ou une sombre nuit) peuvent suffire à évoquer une émotion somme toute universelle.

Le Comment ?

Le Comment ? est une affaire de style selon Peter Dunne. Cette façon particulière de raconter une histoire dépend de qui vous êtes. Vous ne devez pas forcer un genre s’il ne vous correspond pas. Si la comédie romantique ne vous parle pas parce que vos expériences de vie ne vous y amène pas naturellement, ne vous infligez pas la douleur de devoir en écrire une. C’est une question d’honnêteté personnelle.

De plus, le lecteur s’apercevra probablement d’une certaine fausseté dans vos écrits. Alors, laissez vos sentiments, vos passions s’exprimer de la manière la plus honnête possible.
Cependant, adoptez une démarche graduelle dans l’exploration de vos sentiments et de vos émotions lorsque vous écrivez. Ne metttez pas tout d’un coup dans chaque scène. Si vous mettez toute votre passion dans chaque scène, vous devrez trouver les moyens de la revigorer à chaque nouvelle scène et vous succomberez à l’hypocrisie de sentiments qui ne vous appartiennent pas, qui ne sont pas vous.

Votre style devrait être tout en retenue et en profondeur intellectuelle. La façon dont vous écrivez, qui devient donc un genre dans l’esprit du lecteur, apporte une richesse personnelle à votre histoire. Et c’est cette richesse personnelle qui identifie votre style.