Éperdument

Par Cinealain

Date de sortie 2 mars 2016


Réalisé par Pierre Godeau


Avec Guillaume Gallienne, Adèle Exarchopoulos,

Stéphanie Cléau, Aliénor Poisson, Cyrielle Martinez, Selma Mansouri


Genre Drame


Production Française

D’après le roman de Florent Gonçalves, Défense d’aimer

Synopsis

Jean (Guillaume Gallienne), 39 ans, est le directeur exemplaire de la prison pour femmes de Versailles.


Lorsqu'il accueille la jeune Anna (Adèle Exarchopoulos), 23 ans, impliquée dans une affaire sensible en cours de jugement, il tombe immédiatement sous le charme de cette beauté sauvage.

Jean essaye d'aider Anna, il pense de plus en plus à elle, il fantasme sur elle... jusqu'au moment où il se rend compte qu'Anna est aussi séduite - même si elle est également tout à fait consciente des avantages qu'il lui obtient.

Les deux succombent alors à une histoire d'amour passionnelle totalement interdite où Jean met en danger sa carrière, sa vie de famille, sa vie...

Guillaume Gallienne et Adèle Exarchopoulos

Entretien avec le réalisateur Pierre Godeau relevé dans le dossier de presse.

Pourquoi avoir souhaité adapter le livre de Florent Gonçalves ?


Le fait divers m’a passionné bien avant la publication de son récit. Dès janvier 2011 et les premiers flashes info relatant la liaison d’un directeur de prison pour femmes avec une détenue -et son arrestation-, j’ai pensé qu’il y avait là matière à un film formidable. Mais j’étais loin d’imaginer alors que je deviendrais réalisateur et que ce serait moi qui tournerais le film.

Qu’est-ce qui vous séduisait ?


J’adore les histoires d’amour et le dispositif qui entourait celle-ci lui donnait une dimension tragique et cinématographique qui me passionnait.

Connaissiez-vous le milieu carcéral ?


Absolument pas. Ce n’est qu’après avoir écrit une première version du scénario que ma vraie rencontre avec la prison a eu lieu. Au-delà du choc, terrible, de la découverte, cette première immersion m’a évoqué un rendez-vous avec un acteur qu’on pressent. On se dit : "Dans sa bouche, cette scène-là va être superbe", ou, au contraire : "Celle-ci ne va pas du tout".

Diriez-vous que la prison est le troisième personnage du film ?


Éperdument est une histoire d’amour qui se déroule en prison, ce n’est pas un film sur la prison. Mais pour donner toute la force à l’intrigue amoureuse, le décor devait être irréprochable : on devait sentir l’oppression, l’enfermement, la violence… En ce sens, tourner à la prison de la Santé a été une vraie chance. C’est une prison immense avec des espaces très différents les uns des autres qui permettaient de recréer deux centres pénitentiaires distincts- celui que dirige Jean et où Anna est détenue la plupart du temps, qui se trouvait dans l’unité médicale de la Santé ; et Fleury-Mérogis, qui a été recréée dans une autre aile, plus sombre et plus délabrée. Nous y avons passé six semaines. Six semaines dans un huis clos terrible, sans entendre aucun des bruits de la ville.

Anna est dans un état de tension quasi permanent.


Lorsqu’elle arrive dans le centre de détention dirigé par Jean, Anna a déjà effectué quatre ans de prison, elle est marquée dans son corps et dans son esprit. Elle ne parle pas, se déshabille mécaniquement devant les surveillantes. On la sent rompue à l’exercice du bizutage, la prison est devenue une routine pour elle et a fait en quelque sorte son travail de déshumanisation. Le corps et la parole sont dissociés en elle. Et puis, plus l’histoire d’amour avance, plus son corps est aimé, plus la parole devient précise jusqu’à ce qu’elle exprime distinctement ses désirs dans la chambre d’hôtel lorsqu’elle dit à Jean : "Je n’ai pas envie de me sentir coupable à nouveau". Je voulais que son corps soit comme un instrument de guerre au début et que, peu à peu, il devienne un instrument d’amour.

Vamp, femme-enfant, elle semble avoir tous les âges…


Elle a été habituée à un rapport avec les hommes qui passe par la séduction. Anna a toujours été aimée pour son corps, jamais pour ce qu’elle est réellement, et la séduction est la seule arme qu’elle connaisse. Elle en use presque machinalement, comme si elle était absente à elle-même. Je ne la vois pas comme une manipulatrice et Adèle Exarchopoulos rend parfaitement son ambiguïté : elle est excitante, elle est enfantine.

La thèse de la manipulation est celle que les juges ont poussé Florent Gonçalvez à soutenir au moment du procès…


Une thèse que son avocat a relayée et qu’il s’est refusé à défendre. Je partage son point de vue. Dans le film, Anna s’attache à Jean parce qu’il n’est pas courant d’établir du lien en prison et qu’il lui en offre. Il lui parle d’autres choses et représente sans doute la figure du père qu’elle aurait voulu avoir. À ce moment là, Jean ne fait que son métier, mais Anna prend cette main tendue pour de la séduction.

Elle et lui ne parlent pas le même langage. Et le processus amoureux s’enclenche.

Vous accordez beaucoup de place aux scènes oniriques.


C’était primordial d’insuffler une part de rêve dans cet amour qui se construit au milieu du béton, dans la réalité concrète de la prison. Cette histoire d’amour est avant tout l’histoire de deux fantasmes qui se rencontrent : ils l’ont plus rêvée que vécue. Il fallait le traiter et quel meilleur outil que le cinéma pour dessiner les fantasmes.

Les rêves qu’ils projettent l’un et l’autre sont très différents…


Il s’agit d’évasion pour l’un comme pour l’autre. Elle se traduit différemment pour les deux personnages que tout éloigne. L’important était de coller à leur imaginaire.

Quels étaient vos critères pour le choix des comédiens ?


Je tenais beaucoup à ce que la dualité qui oppose les deux personnages se retrouve dans le jeu des acteurs. C’est ma directrice de casting qui m’a soumis l’idée de Guillaume Gallienne. Elle m’a envoyé un article du "Monde" avec une photo de lui en noir et blanc prise au moment de la promotion de Guillaume et les garçons à table ! . Je suis resté scotché à cette image.

Avez-vous tout de suite pensé à Adèle Exarchopoulos pour le rôle d’Anna ?


Je savais que l’histoire l’intriguait. Je l’ai rencontrée, elle avait lu le scénario, était incroyablement enthousiaste et parlait formidablement du rôle. En termes de jeux, je pouvais difficilement trouver plus éloigné de celui de Guillaume ! À la première lecture qu’elle et lui ont faite ensemble, j’avais déjà l’impression de voir le film. Phrase après phrase et scène après scène, je voyais l’intelligence et la maîtrise de Guillaume s’effondrer face aux réponses d’Adèle. Tout était là.

Quelles recommandations aviez-vous faites à Guillaume Gallienne ?


Tout en le laissant très libre, j’avais insisté sur plusieurs aspects du personnage, son autorité souvent mal placée, son humour un peu bidon, sa toute-puissance présumée… Ce qui nous intéressait avec Guillaume c’était de "déshabiller le personnage", une sorte d’effeuillage pour aller vers le dépouillement dans lequel son personnage se trouve à la fin du film. Je me souviens qu’il avait accroché quand j’ai utilisé l’image du strip-tease. J’avais en tête L’Ange bleu, de Josef von Sternberg.

Et quelles recommandations à Adèle Exarchopoulos ?


Chaque vendredi après-midi, pendant quatre mois, on a co-animé des ateliers avec des détenues à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Nous réunissions une quinzaine de détenues dans une salle et leur projetions des scènes de films que nous aimions particulièrement. Nous les leur faisions ensuite rejouer entre elles ou avec Adèle. Je les filmais et, la semaine suivante, je leur montrais leur travail. Cela donnait matière à discussion : à ce moment-là, La Vie d’Adèle passait à la télé, c’était extrêmement gratifiant pour les filles de se voir sur un écran en train de jouer avec Adèle. Elles ne se considéraient plus comme des prisonnières, on pouvait parler d’autres choses que de ce qui les avaient conduites là. Leur parole se libérait, les corps… Ces ateliers ont été déterminants pour la mise en scène : il me suffisait d’échanger un regard avec Adèle pour savoir si la séquence qu’on venait de tourner était juste ou non. Ces séquences, nous les avions vécues !

On retrouve beaucoup de non professionnelles au générique d’Éperdument. Avez-vous recruté certaines d’entre elles en prison ?


Seulement deux et dans de tous petits rôles. Les filles devaient être libérées avant le début du tournage et il était très compliqué de savoir en amont lesquelles le seraient. Mais beaucoup des actrices du film ont une expérience du milieu carcéral. Ce qui m’intéressait par dessus tout, c’était leur rapport au corps. En prison, le contact leur manque, elles le recréent. Les filles se touchent, passent leur temps à se coiffer les unes les autres. De vraies comédiennes n’auraient pas pu restituer cela. Je n’aurais jamais eu l’idée, par exemple, de demander aux filles de s’allonger sur le bitume dans la scène où on les voit prendre le soleil dans la cour de la prison. Elles l’ont fait instinctivement. C’est à nouveau deux jeux qui s’opposent : d’un côté la spontanéité et l’improvisation ; de l’autre, la maîtrise et la précision de Guillaume Gallienne.

Avez–vous beaucoup improvisé ?


Avec les filles on était en permanence dans une semi-improvisation. Pour la séquence autour de "Phèdre" dans la classe, je soufflais les questions au comédien qui joue le professeur, la plupart des réponses des filles étaient spontanées. C’est d’ailleurs une des scènes où j’ai pris le plus de plaisir.

"Phèdre" et la télé-réalité, c’est un grand écart…


J’aimais bien l’idée de placer mes personnages entre tragédie et trivialité… Et que chacun, au fil de la rencontre, aille vers l’autre : Anna choisit les mots de Phèdre dans sa lettre - "Mon mal vient de plus loin… " - et Jean se rêve dans le décor de "Secret Story".

La mise en scène joue sur beaucoup de registres différents.


Avec Muriel Cravatte, la chef opératrice, on avait l’impression, au fil du tournage, de passer d’un film à l’autre et c’était très excitant. La direction d’acteurs elle-même évoluait en permanence selon que nous tournions avec les comédiennes non professionnelles, avec Guillaume ou avec Adèle. Aucun ne jouant du même instrument, c’était trois façons de faire différentes. Au début du film, j’ai pris le parti de suivre Adèle caméra à l’épaule : elle est à vif, on épouse ses mouvements mais elle reste enfermée dans le cadre, tandis que les plans sur Guillaume sont très installés et qu’il ne cesse, au contraire, d’entrer et de sortir du cadre. Peu à peu, les rapports s’inversent. Elle est plus libre et c’est lui qui se trouve enfermé dans l’image. Autant Juliette, mon premier long métrage, était très accès sur le style, autant Éperdument est d’abord un film d’acteurs. La difficulté consistait à trouver la juste distance pour les observer.

Parlez-nous de la musique.


Elle devait porter l’histoire d’amour et symboliser la liberté et l’évasion à laquelle aspirent Jean et Anna. On devait l’entendre passer sous les portes et à travers les barreaux et déplier les paysages imaginaires dans lesquels tous deux se projettent. Je la voulais ample et orchestrale et qu’elle ait aussi une dimension tragique. C’est la première fois que je travaille avec un compositeur de film et la rencontre avec Rob a été extraordinaire. La flûte qu’il a introduit donne, je trouve, une touche épique et presque mythologique au film.

…qui se termine par la chanson "Ne partons pas fâché", de Raphaël, reprise par Philippe Katerine. D’où vous est venue l’idée de cette pirouette ?


Soudain, on est très loin de la tragédie. À la fin du film, ce que Jean recherche dans le regard d’Anna c’est une preuve que leur histoire d’amour a bel et bien existé. Il se moque du procès, de cette salle remplie et de ce juge qu’on ne montre même pas. Tout ce qui compte pour lui c’est le sourire qu’elle lui offre. La chanson permet de s’évader du décorum pesant de la salle de tribunal, de prendre de la distance avec la tragédie et de terminer avec mes personnages sur une note plus légère.

Vous avez un parcours très atypique…


J’ai grandi dans le milieu du cinéma avec un père et un oncle producteur, une mère photographe de plateau. Instinctivement, j’ai toujours su que je ferais du cinéma, je ne me suis jamais vu travailler ailleurs parce que ça a toujours été une passion ; c’est ce que je connais le mieux. Mais j’ai mis du temps avant de me trouver, justement parce que j’appréhendais ma légitimité et c’est pour ça que j’ai d’abord voulu faire une école de commerce. Le naturel est vite revenu au galop : en rentrant de Madrid, ma seule ambition était de créer et d’aider les autres à créer via un ciné-club que j’ai monté avec des jeunes de mon âge qui avaient les mêmes envies que moi. Ça m’a permis d’exercer, de tourner des clips, d’écrire et finalement trouver ma voie : celle de l’écriture et de la réalisation. Je me suis enfin senti à ma place en écrivant Juliette. C’est ce sentiment, ce processus qui me fait vivre et qui m’anime chaque jour : écrire des histoires, créer des images et les partager...

Mon opinion

"Une part de rêve dans cet amour qui se construit au milieu du béton, dans la réalité concrète de la prison. Cette histoire d’amour est avant tout l’histoire de deux fantasmes qui se rencontrent : ils l’ont plus rêvée que vécue. Il fallait le traiter et quel meilleur outil que le cinéma pour dessiner les fantasmes." A déclaré le réalisateur/scénariste.

Beaucoup de femmes, présentes dans le film, ont eu une expérience du milieu carcéral. Elles donnent une véracité au propos tout en augmentant la sensation d'étouffement, en appuyant sur ce besoin de rêves, au travers d'émissions de télé réalité, en boucle sur les téléviseurs des cellules.

À aucun moment le scénario ne revient pas sur les raisons qui ont poussé la principale protagoniste en prison. "Je voulais que son corps soit comme un instrument de guerre au début et que, peu à peu, il devienne un instrument d’amour." Précise le réalisateur.

Seules les visites de la mère ponctuent un conflit bien réel entre mère et fille.

Le très beau visage d'Adèle Exarchopoulos illumine l'écran. Certaines scènes lui donnent la possibilité de laisser éclater son talent. Guillaume Gallienne, dans ce rôle d'homme amoureux, perdu, père attentif ou époux désemparé est tout aussi convainquant.

La réalisation trop sage et monotone nuit à cette passion que vivent les deux personnages. La dernière scène semble assez invraisemblable. À vous de voir.