Après s’être perdus en montagne avec Michel Houellebecq dans leur dernier long-métrage, NDE (Near Death Experience), le tandem Gustave Kervern/Benoît Delépine retrouve l’inspiration… dans le vin. Ils nous emmènent dans le sillage de Gérard Depardieu et Benoît Poelvoorde, père et fils pour l’occasion, pour une route des vins atypique, drôle, tendre et décalée, dans l’esprit de leurs meilleurs films.
Saint-Amour, c’est l’un des meilleurs crus du Beaujolais. Un de ceux que Bruno (Benoït Poelvoorde) aime à déguster quand il se fait sa “route des vins” annuelle, c’est-à-dire le tour des stands de viticulteurs du Salon de l’Agriculture. Pour cet éleveur bovin, cette manifestation correspond à une bouffée d’oxygène, une pause loin des soucis de l’exploitation familiale, des quotas européens et des prix imposés, les seules journées de “vacances” qu’il peut s’octroyer dans une année de dur labeur. Personne ne pourra l’empêcher de se faire plaisir. Pas même son père, Jean (Gérard Depardieu), qui, déterminé à remporter une médaille au concours d’élevage bovin, aurait pourtant bien besoin de l’aide de son fils pour bichonner les bêtes.
Mais évidemment, faire le tour des vins de France en une journée, ça peut vite monter à la tête, surtout si on ne recrache pas pendant la dégustation…L’alcool, combiné à la fatigue et à la dépression, peut rapidement conduire à des dérapages. Bruno craque et agresse verbalement une jeune hôtesse qui a repoussé ses avances. Jean comprend alors que le malaise de son fils est plus profond qu’il ne le pensait. A la mort de sa femme, il s’est investi encore plus dans le travail, exigeant beaucoup de ses employés et de son fils, au point d’étouffer complètement ce dernier. Bruno ne possède pas la force de caractère de son père. C’est un homme fragile, qui, à quarante ans passés, prend conscience que sa vie n’est faite que de travail, de souffrance et de privations. Il vit seul, sans enfants, sans perspectives d’avenir et ne prend jamais le temps de profiter de l’existence.
Le patriarche décide donc d’emmener son fils se mettre au vert pour resserrer leurs liens. Il happe le premier taxi venu, celui de Mike (Vincent Lacoste), jeune titi parisien, et emmène Bruno pour une vraie route des vins de France, de l’Alsace jusqu’au pays de Loire, en passant par la Bourgogne, le Languedoc, le Bordelais… En route, ils croisent une galerie de personnages haut en couleurs, représentatifs de la France profonde, comme les aiment Kervern et Delépine : un gérant de chambre d’hôte dépressif (Michel Houellebecq), un agent immobilier aguicheur (Ovidie), une serveuse fatiguée (Solène Rigot), un prophète-philosophe de comptoir (Jean-Louis Jacob), une paire de jumelles appariées (Ana Girardot) et LA femme, Vénus, qui va changer leur vie (Céline Sallette).Avec leur style atypique, reconnaissable entre mille, Kervern et Delépine croquent avec talent la France d’aujourd’hui, baignée dans un climat de morosité et de résignation. Ils parlent des difficultés rencontrées par le monde rural, l’usure des travailleurs, le désespoir des chômeurs, la cassure entre les politiciens – évoqués à travers une apparition aussi coquine qu’inattendue – et la France d’en-bas, les “sans dents”. Et ils captent l’air du temps pour décrire une société en pleine mutation, ballotée entre traditions et nouvelles technologies, en proie au stress, à l’angoisse et la dépression, ce qui ne laisse que peu de place aux relations humaines en général et à l’amour en particulier.
Saint Amour est aussi, comme son titre l’indique, une célébration de l’Amour.
Le point commun entre les trois personnages principaux, c’est le vide affectif qu’ils éprouvent, à différents niveaux. Jean a perdu son épouse et, bien qu’il continue de lui laisser des messages sur la boîte vocale de son téléphone mobile, comme si de rien n’était, on devine que cette absence lui pèse. C’est moins l’amour charnel qui lui manque que la tendresse, l’apaisement d’une présence féminine à ses côtés. Bruno, lui, est aussi frustré sexuellement que sentimentalement. Il a sacrifié ses plus belles années pour un métier à l’agonie, sans avenir et n’a jamais eu le temps ou l’énergie de sortir avec des femmes. Evidemment, il a besoin de se libérer de toute la tension sexuelle accumulée en ayant des rapports charnels, mais il éprouve aussi le besoin de construire une relation affective durable et de fonder une famille. Mais cette quête est difficile car les moeurs ont changé. Avec la loi sur le mariage pour tous, certaines femmes affirment leur homosexualité ou leur bisexualité, d’autres se veulent libres et sans attaches, et beaucoup de jeunes femmes sont plus obsédées par leur avenir professionnel que par leur désir d’avoir des enfants. Bruno trouve en Mike ce fils de substitution. Le jeune homme se prétend heureux en amour et plutôt à l’aise dans sa vie de famille, mais c’est pour mieux cacher un immense vide affectif et une immaturité sentimentale.
L’amour c’est aussi ce qui unit le père et le fils.
A force d’être confrontés aux difficultés du quotidien, de travailler ensemble sept jours sur sept, Jean et Bruno ont fini par oublier les liens familiaux très forts qui les unissaient. Jean a commencé à voir Bruno comme un simple collègue. Il n’a jamais su trouver les mots pour lui exprimer ses sentiments, sa fierté de l’avoir pour fils. Et Bruno a fini par considérer son père comme un employeur tyrannique, sans coeur, le traitant comme un moins que rien.
Mais ce qui commence par une engueulade dans les coulisses du Salon de l’Agriculture se terminera par une étreinte émouvante, pleine de chaleur et de tendresse, célébrant les retrouvailles apaisées des deux hommes et le début de la reconstruction de la cellule familiale.
Enfin, Saint Amour est une ode à la sérénité et au bonheur. Il invite le spectateur à faire comme ses personnages, c’est à dire lâcher prise, prendre le temps de profiter de la vie, prendre le temps de profiter de la nature et de ses meilleurs fruits (le raisin, entre autres), faire des rencontres, amicales ou amoureuses…
Si on devait comparer le film de Gustave Kervern et Benoît Delépine à un vin, il serait effectivement un Saint-Amour. Un peu rustique de prime abord, il se montre ensuite léger et aromatique, avant de se révéler plus complexe, solidement charpenté, avec un bel équilibre entre l’acidité et la rondeur. Et pour finir, il laisse de nombreuses caudalies dans nos mémoires de cinéphiles.
Assurément, ce Saint Amour Kervern/Delépine 2016 est un bon cru…
Saint Amour
Réalisateurs : Benoît Delépine, Gustave Kervern
Avec : Gérard Depardieu, Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste, Céline Sallette, Solène Rigot, Ovidie, Chiara Mastroianni, Solène Rigot
Origine : France, Belgique
Genre : Comédie gouleyante
Durée : 1h41
date de sortie France : 02/03/2016
Contrepoint critique : Libération