Des nouvelles de la planète Mars, voile fragile entre folie et aliénation

Publié le 10 mars 2016 par Rémy Boeringer @eltcherillo

Mars, dit-on dans la culture populaire, est le mois des fous. Qu’advient-il lorsque celui est écoulé ? Où s’en vont mourir les gentils illuminés et les psychopathes dangereux ? On s’en soucie rarement. Pourtant, nous vous l’assurons, il serait dommage de ne pas prendre Des nouvelles de la planète Mars. Dominik Moll, qui avait travaillé sur la série Tunnel, nous offre un cinquième film ébouriffant de maîtrise scénaristique et d’humanité.

Philippe Mars (François Damiens que l’on a vu dans La famille Bélier et Le tout nouveau testament), salarié de la même entreprise depuis vingt ans, réagit avec une placidité à toute épreuve aux événements contrariant qui viennent troubler sa petite vie tranquille. Parmi ceux-ci, son fils Grégoire (Tom Rivoire) qui devient subitement végétarien et militant, sa fille Sarah (Jeanne Guittet) imbue d’elle-même, et qui ne vit que pour réussir professionnellement, son ex-femme Myriam (Léa Drucker que l’on a vu dans Arrêtez-moi là), journaliste de chaîne d’info continue, qui les lui confie au dernier moment et sa sœur Xanaé (Olivia Côte que l’on a vu dans Une rencontre), artiste égocentrée. Le tableau ne serait pas complet sans son chef manipulateur Gordon (Julien Sibre), son collègue timbré Jérôme (Vincent Macaigne) et son amie Chloé (Veerle Baetens) tout aussi folle. Heureusement, ses parents défunts (Michel Aumont et Catherine Samie) veillent sur lui. Grégoire (Tom Rivoire), Philippe (François Damiens) et Sarah (Jeanne Guittet)

Il est toujours drôle de voir à quel point les rôles d’un artiste peuvent rentrer en résonance avec sa carrière. Lorsque l’on a vu Des nouvelles de la planète Mars, on a inévitablement pensé au Tout nouveau testament dans lequel François Damien a joué l’année dernière. On y retrouve cette même atmosphère de désenchantement subtil qui sonne justement comme un irrésistible appel à réenchanter le monde. Dans notre société, les originaux, tous ceux que l’on juge marginaux ou fou à lier, tout est dans cette expression commune, sont considérés comme néfaste, réduits à des données indésirables dans le jeu social qu’il faut isoler du contrat. Les formes de défiances et de mise à l’écart sont nombreuses et ne sont pas tout d’ordre psychiatrique. La définition de la folie a toujours été, avant tout, un outil coercitif du pouvoir. Au Moyen-Âge, on faisait interner les oisifs, ceux qui ne pouvaient pas travailler. De nos jours, les dépressions et les burn out, véritables signes d’épuisement psychique dû à un monde du travail de plus en plus oppressant et aliénateur, sont souvent déconsidérés et leurs victimes sont jugées inaptes alors même que ce sont les conditions de travail qui devraient faire l’objet de véritable réforme en profondeur. Qu’arrive-t-il au fond, de plus, à Jérôme, certes un brin excentrique, mais surtout poussé dans ses retranchements par un manager véreux qui a décidé de le faire craquer ? Que celui qui n’a jamais pensé, un jour de grande lassitude ou d’énième brimade, à commettre quelques carnages salvateurs dans les rangs de sa hiérarchie lui jette le premier lexomil ! Philippe (François Damiens) et Jérôme (Vincent Macaigne)

Sans pour autant partager son végétarisme, on comprend aisément Chloé dont la difficulté à accepter des rapports tactiles n’est que le reflet d’un mal qui touche de nombreux couples contemporains. À savoir que, face à l’apocalypse écologique annoncée partout, le désir d’enfant s’amoindrit et apparaît de plus en plus clairement comme un égoïsme nous offrant notre part d’éternité. Sarah est le symptôme de tout ce que la société capitaliste a créé de plus désincarné et de plus affligeant. Même pas tout à fait adulte, la voilà asservi au marché, tant on a dû lui seriner quel ne serait rien sans une position sociale importante. Elle apprendra, à ses dépens, que l’on devient vite la proie dans un système qui n’a plus de barrière morale et que l’on peut trouver ailleurs que dans le succès illusoire de l’argent, un moyen de se construire et de se sentir vivre. Les apparitions de ses grand-parents sonnent comme un rappel de ce bonheur simple que l’on peut acquérir dans les bras fortifiant d’un père ou le regard d’une personne aimée. Pour revenir au personnage de Gordon, c’est exactement ce que pourrait devenir Sarah : un ersatz d’être humain transformé en manager interchangeable à la solde de la sacro-sainte gouvernance. Deux personnages qui donnent envie de relire La médiocratie d’Alain Denault, ouvrage saisissant démontant la novlangue des héritiers de Thatcher. Philippe (François Damiens) et Chloé (Veerle Baetens)

Le point d’orgue, le fil d’Ariane du récit n’en est pas moins situé sur une autre dimension qui se joue entre Philippe et les deux squatteurs que deviennent Jérôme et Chloé. À première vue, on pourrait vite se diriger vers un remake de Vilaine ou de Viens chez moi, j’habite chez une copine mais l’incroyable Damiens emmène le film vers d’autres cieux en campant son personnage toujours aimable et fondamentalement bon. Une sorte d’Amélie Poulain du quotidien. Le pauvre homme n’en vit pas moins dans un marasme hallucinant et semble subir sa vie plus qu’il la vit. Longtemps, on s’attend à ce que les deux fous qu’il abrite fasse l’effet d’un électrochoc et qu’il gueule un bon coup, qu’il arrête de se faire marcher sur les pieds. C’est une troisième voix que Des nouvelles de la planète Mars propose gommant les frontières entre folie de type psychiatrique et aliénation sociale. On ne sait plus très bien qui est le plus fou des trois, celui qui accepte sans coup férir une humiliation permanente ou bien ceux, qui comme Don Quichotte, s’en vont combattre des moulins à vent. C’est cette vision des choses qui fait du film de Moll, permettant à tous de s’enrichir des autres, les uns trouvant une nouvelle stabilité, les autres reprenant foi en l’utopie, une fable à la fois pertinente, drôle et émouvante.

Philippe (François Damiens)

Subtil, intelligent, poétique et même politique, il n’est pas certain que Des nouvelles de la planète Mars demeure jusqu’en Avril dans les salles. Nous ne pouvons que vous conseillez de vous précipiter dans les salles et de faire un détour par la maison de fou près de chez vous pour organiser quelques évasions.

Boeringer Rémy

Pour voir la bande-annonce :