Une histoire vraie au rendu trop académique, malgré l’implication de Will Smith.
S’il y a un film récent auquel on pourrait comparer Seul contre tous – Concussion (constatez déjà la nullité du titre français), ce serait Le Pont des espions de Steven Spielberg. Deux histoires vraies sur deux héros américains, qui refusent de se laisser abattre par un système dont ils tentent de corriger les imperfections. Ou plutôt deux fantasmes de l’américain modèle, tel qu’il devrait être et non tel qu’on accepte qu’il soit. Malheureusement, les connivences s’arrêtent ici, poussant le long-métrage de Peter Landesman à mettre le genou à terre face à son sujet, là où le dernier chef-d’œuvre du papa d’E.T. bombait le torse avec fierté. La principale force du Pont des espions était de croire en son idéalisme et de proposer des solutions aux problèmes qu’il posait tout en conservant une part de lucidité. Seul contre tous, à l’inverse, tombe dans la démarche facile et malhonnête de l’indignation constante, afin d’appuyer notre empathie envers le Dr. Bennet Omalu, un neuropathologiste parti en croisade contre la Ligue Nationale du Football américain, alors qu’il tente de prouver les risques forts d’une affection cérébrale chez les joueurs professionnels, qu’il baptise « encéphalopathie traumatique chronique ».
Plus précisément, le film se révèle avec une certaine putasserie comme un pur objet taillé pour les Oscars, à tel point que même l’Académie a dû percevoir la maladresse de la démarche, et ainsi ne pas le nominer. La prestation de Will Smith, qui y met véritablement ses tripes, devient bêtement l’alpha et l’oméga d’un ensemble qui montre très rapidement ses limites. La mise en scène a beau se montrer parfois ingénieuse, notamment lorsque ses jeux de focale décrivent la désillusion progressive de son héros avec son environnement, elle se complaît dans les astuces d’une réalisation pseudo-réalistico-sincère avec sa caméra portée, le plus souvent à l’usage de gros, voire très gros plans. Tout est mis en œuvre pour épier chacun des faits et gestes de l’acteur et de son personnage, et ainsi mettre en valeur chaque facette de son jeu. Cela est d’autant plus regrettable que le métrage parvient par moments à amener cette spontanéité qu’il artificialise le reste du temps, à commencer par les habitudes parfois maniaques du docteur qui le rendent assez attachant (il parle aux cadavres qu’il autopsie comme à des patients vivants, il n’aime pas qu’on déplace ses affaires…). Même son histoire d’amour avec Prema, une jeune immigrée qu’il héberge (Gugu Mbatha-Raw), propose quelques scènes douces et sensibles, déconnectées du reste du récit comme Omalu essayait de séparer vie intime et vie publique, avant de tomber dans l’académisme ambiant.
Mais surtout, Seul contre tous ne semble pas assumer le point de vue qu’il tient, à savoir celui d’un homme face à une culture américaine défaillante, métaphorisée par l’un de ses symboles les plus forts. Cet être, qui s’est construit sur ce pays et ses valeurs, se retrouve à le remettre en question, au point d’avouer lui-même qu’il aurait préféré ne jamais s’occuper du footballeur décédé à l’origine de son enquête. C’est ce dilemme, par ailleurs responsable d’un ébranlement de sa foi chrétienne, qui aurait dû être au centre de l’histoire, plutôt que d’être simplement survolé. Car le film atteint dès lors un point de non-retour, et ne condamne jamais complètement ses antagonistes. Passe encore que le personnage d’Alec Baldwin, allié d’Omalu et intermédiaire entre lui et la Ligue, lui explique toute la beauté de ce sport qu’il s’apprête malgré tout à attaquer. Certes, il ne sert à rien de rabaisser la discipline plus bas que terre, et il s’avère plutôt avisé de la traiter avec respect. Cependant, il est gênant que Landesman crée un amalgame entre ce respect et le patriotisme auquel tente de se raccrocher Omalu. L’idéalisme défendu par le film redevient simple résignation, jusqu’à cette dernière séquence à l’arrière-goût drapeautique risible. Peut-être que cette difficulté à promouvoir une critique anti-américaine est involontaire, mais elle est néanmoins révélatrice du manque général de virulence de Seul contre tous, qui parvient pourtant à dépeindre lors de courts instants la détresse de ces joueurs tombant petit à petit dans une folie qu’on refuse de leur expliquer. Ces quelques fulgurances sont malheureusement tuées dans l’œuf par un cahier des charges trop stricte, voire assez inquiétant, s’il s’agit de la vision qu’Hollywood s’est formatée du récit inspirée d’une histoire vraie.
Réalisé par Peter Landesman, avec Will Smith, Alec Baldwin, Albert Brooks, Gugu Mbatha-Raw…
Sortie le 9 mars 2016.