Une embardée lumineuse dans la science-fiction pour le déjà grand Jeff Nichols.
Il y avait autant à craindre qu’à espérer en imaginant un cinéaste de la trempe de Jeff Nichols aux commandes d’une production Warner Bros. Si certains de ses pairs ont négocié le virage « commercial » avec succès, d’autres s’y sont cassés les dents, brimés par les impératifs des studios, contraints de niveler leurs ambitions par le bas. Réjouissons-nous, Midnight Special ne souffre non seulement d’aucune concession mais se permet même d’affermir la singularité de son auteur. Dès son introduction, expéditive, laconique, le ton est donné. Deux hommes viennent d’enlever un petit garçon des griffes d’une secte, et roulent pied au plancher dans la nuit pour semer leurs poursuivants. A ce stade, difficile de trancher sur les bonnes ou mauvaises intentions des kidnappeurs qui, à force de non-dits et de brusques injonctions, semblent potentiellement aussi dangereux pour l’enfant que ses précédents tuteurs. La réponse nous parvient cependant assez vite, mais embraye sur de nouvelles interrogations, liées à la nature même du jeune kidnappé, doté de prodigieux pouvoirs. De quoi est-il vraiment capable ? Vers quel destin exceptionnel ses deux ravisseurs (en réalité, son père et un ami de ce dernier) le conduisent-ils ?
En préférant le discours implicite à la note explicative, le film brouille les pistes, se joue de nos attentes. Un parti pris risqué mais payant, qui laisse advenir l’extraordinaire par petites touches, de façon à stimuler la curiosité du spectateur, attentif aux moindres dérapages fantastiques du récit. Ce sens de la rétention faisait déjà merveille dans Take Shelter, où l’étrange se propageait avec parcimonie, au gré d’épisodes fugaces qui décuplaient le mystère. C’est pourquoi Midnight Special appartient totalement à son réalisateur, qui soustrait aux effets tapageurs un minimalisme constamment intrigant. Même dans un dernier acte grandiose, qui a tout de la sortie de route extravagante, Nichols régule son décorum SF et trouve le moyen d’entretenir nos doutes tout en bouclant la boucle. Pour autant, et c’est en cela que le film pêche un peu, l’émotion se fait moins vibrante qu’à l’accoutumée. Il y a bien quelques percées touchantes au milieu de cette course effrénée, comme cette scène où le fils, dans les bras de son père (Michael Shannon, sobre et intense), affronte le lever du soleil, mais le lyrisme bouleversant de Mud n’y est plus… ou presque. Le dénouement corrige le tir, quand vient le moment pour la mère (la parfaitement mélancolique Kirsten Dunst) d’assister à l’accomplissement de son enfant. En quelques plans, la comédienne irradie, rappelant par ailleurs à quel point Nichols dirige ses acteurs et surtout ses actrices à la perfection.
En revanche, le cinéaste brille là où on ne l’attendait pas forcément, en développant une scénographie tournée vers l’action et la fuite en avant. Rien ne doit entraver la route des héros et ce sentiment d’urgence ne faiblit jamais, tant chaque coup d’accélérateur relance la tension et affole la mise en scène, elle-même sublimée par le montage au cordeau et la musique synthétique, signée David Wingo. Moins de contemplation donc pour plus d’âpreté, de quoi donner définitivement tort à ceux qui comparaient Nichols à Terrence Malick. Non, si influence il y a, c’est du côte de John Carpenter qu’il faudrait se tourner. On pourrait aussi citer Steven Spielberg, mais les paysages arides, les motels miteux, la nuit anxiogène, évoquent davantage le maître de l’épouvante. Cela dit, Midnight Special existe au-delà de toute parenté cinéphile et vaut pour le style et l’imaginaire bel et bien uniques de son auteur. Quelque part, il est tout à fait possible qu’une seconde vision soit à l’avantage du film, déjà merveilleux mais peut-être plus encore.
Réalisé par Jeff Nichols, avec Michael Shannon, Joel Edgerton, Kirsten Dunst…
Sortie le 16 Mars 2016.