Genre :Drame
Année :1951
Durée :1h51
Synopsis :Charles Tatum, journaliste sans scrupules, va exploiter un scoop. Au Nouveau-Mexique, Léo Minosa, un Indien, est coincé au fond d'une galerie effondrée. S'arrangeant pour être le seul journaliste sur le coup, il va persuader le shérif de choisir la formule de sauvetage la plus lente. Tatum va devenir l'amant de la femme de la victime et poussera l'hypocrisie jusqu’à devenir l'ami de Léo.
Critique :
Nous voici ici arrivés au terme de mon triptyque cinématographique de vieux films traitant des ravages de la célébrité sous toutes ses coutures, même si cette oeuvre-ci se révèle être un peu différente mais j'y reviendrai par la suite. Souvenez vous, j'avais abordé 2 grands chefs d'oeuvre (Sunset Boulevard et Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?) du noble courant du nouvel Hollywood, courant majeur du 7ème art qui a donné naissance à une myriade de pépites telles qu'on n'en retrouvera plus dans l'Hollywood d'aujourd'hui. Oui, comme vous devez le savoir, je ne me lasse pas de critiquer l'Hollywood actuel mais ici je ne vais pas vous emmerder davantage avec mes longues litanies sur le cinéma actuel et le cinéma en noir et blanc, vu que vous devez connaître mon point de vue depuis le temps où je vous bassine avec ça. BREF !!! Inutile de vous présenter le réalisateur derrière ce projet qui n'est autre que Billy Wilder, réalisateur que j'avais déjà présenté et qui a réalisé le film culte Sunset Boulevard traitant déjà des ravages psychologiques de la célébrité sur l'être humain et ce qui en découle. Un an plus tard suit le film que je vais vous présenter aujourd'hui sans plus tarder. Il s'agit de "Le Gouffre aux Chimères".
ATTENTION SPOILERS : Charles Tatum est un journaliste quelconque et sans aucun scrupule désespéré de ne pas pouvoir trouver le scoop qui fera de lui quelqu'un de célèbre. Alors qu'un jour, il est envoyé pour couvrir une chasse au crotale, il apprend qu'un mineur indien est coincé au fond d'une galerie qui s'est effondrée. Persuadé de tenir enfin une véritable histoire journalistique, il n'hésitera pas à avoir recours à toutes les méthodes possibles pour que le sauvetage dure le plus longtemps possible. FIN DES SPOILERS
Vous connaissez désormais la litanie habituelle que je déverse après la fin des spoilers, à savoir que nous avons droit, une fois de plus, à un synopsis d'une efficacité redoutable susceptible d'attirer la curiosité de n'importe qui. Reste à savoir si le film tient toutes ses promesses et se montre efficace... Sauf qu'en fait, je ne vais pas faire durer un suspense vain car tout le monde saura déjà ce que ce film vaut et vous avez raison car Wilder nous a balancé une véritable petite bombe à la face.
Mieux encore, c'est une salve de flèches digne des Perses du film 300 qu'il nous envoie car ce film va non seulement au bout de son propos mais arrive encore à creuser plus loin (oui je suis d'accord avec vous que cette expression de "creuser plus loin" dans un film avec un mineur coincé était facile et je m'en excuse...). Non parce que, des films polémiques et virulents j'en ai vu mais celui-ci est un véritable poids lourd dans le genre. Wilder n'a pas volé sa réputation de très grand réalisateur car il parvient à additionner une superbe réalisation et une réflexion cinématographique profonde.
Oui il est évident que Le Gouffre aux Chimères est un film intelligent au propos qui en scandalisera plus d'un car, et là est un des atouts majeurs du film, c'est un film absolument détestable à tout point de vue. Wilder crache sur la société, la souille, la malmène et lui urine dessus en guise de cerise sur le gâteau.
Le réalisateur nous dégoûte de l'humanité et de son voyeurisme pouvant atteindre des sommets stratosphériques d'inhumanité. On a droit ici à une critique fortement acide des dérives journalistiques s'engouffrant dans le sensationnalisme, des journalistes gangrénés par l'individualisme et l'absence d'émpathie dans le but de s'assurer leur notoriété.
Et comme j'ai dit juste avant, la population n'est pas épargnée non plus. Il nous la présente comme voyeuriste, attirée et fascinée par le malheur des autres. Le célèbre diction "Une mauvaise nouvelle, c'est ce qui se vend le mieux" n'a jamais aussi bien été intégré à un film. Dicton que nous pouvons observé dans la vie de tous les jours. Il n'y a qu'à voir l'épisode des attentats de Paris avec toutes les éditions spéciales et directs proposés aussi bien sur la TV que sur Internet et ce flot de spectateurs regardant et regardant encore, même s'il n'y a rien à dire de plus.
Voilà un exemple parfait d'une dérive journalistique bien réelle et c'est en cela que Le Gouffre aux Chimères est toujours resté aussi intemporel car son propos est toujours d'actualité. Certes, en lisant le synopsis, on pense logiquement que le propos est volontairement exagéré et n'est qu'une mise en pratique des envies profondes des journalistes. Ce n'est pas faux mais il y a une part de vérité dans l'histoire car aussi étonnant que ça puisse paraître, le film s'inspire de plusieurs histoires vraies.
La première ayant eu lieu en 1925 dans laquelle Collins, un propriétaire d'une grotte, se trouve piégé dans celle-ci suite à un éboulement. Un journaliste local surnommé Skeets avait participé aux manoeuvres de sauvetage en même temps qu'il couvrait l'événement. Collins mourut malheureusement dans la grotte mais la nation entière avait eu le temps de se passionner devant son calvaire sauf que les révélations ressurgirent et on apprit qu'un sauveteur missionné avoua avoir caché la nourriture dans la grotte au lieu de l'apporter à Collins tandis que le propre frère de Collins avoua, au moment de la mort de celui-ci, avoir monté un spectacle ambulant payant pour raconter son histoire. Surréaliste n'est ce pas ???
Vous en voulez une autre ? (la chronique sera longue je vous le dis..). En 1949, une fillette de 3 ans tomba dans un puits abandonné suscitant l'émotion collective. Une heure après, une opération d'envergure était menée en même temps qu'une grosse troupe de badauds (estimée à 10 000 selon une source) se rassembla pour suivre son déroulement. Pendant plusieurs jours, les ouvriers creusèrent un tunnel parallèle mais le clou du spectacle, et je suis entièrement d'accord avec vous car moi-même j'ai encore du mal à y croire, c'est que des studios de cinéma offrirent leurs projecteurs, des jockey proposèrent leur gabarit réduit tout comme la troupe de nains d'un cirque voisin dans le but de participer à l'effort collectif.
Quand les secours atteignirent la fillette, celle-ci était morte du manque d'oxygène et la foule se dispersa tranquillement.
Wilderfut profondément marqué par ces 2 histoires absolument infâmes et décida de s'en inspirer. Heureusement, on est bien loin de ce genre de débordement actuellement mais le sensationnalisme est toujours présent et ne risque pas de disparaître. Le réalisateur nous offre comme personnage principal, le talentueux Kirk Douglas que l'on retrouvera notamment dans de grands films tels que Spartacus ou Les Sentiers de la Gloire pour ne citer qu'eux. Le reste du casting principal se composera de Jan Sterling et de Porter Hall notamment. Tous ces personnages délivreront une prestation honorable et bien sûr la mention spéciale reviendra à Douglas parfait dans la peau de ce journaliste machiavélique et cynique.
Il y a beaucoup de choses à dire sur ce film car comme je l'ai dis avant, le film s'inspire d'histoires vraies mais il tend à exagérer la chose volontairement en la poussant au paroxysme. Le Gouffre aux Chimères parvient à créer un équilibre entre la réalité et la farce macabre surréaliste. Une farce dans le sens où le réalisateur illustre le voyeurisme apparemment sans limite d'une population toujours plus avide dans la passion de nouvelles sensationnelles.
Ainsi comment ne pas être marqué par ces stands de hot-dogs installés sur le site même du sauvetage afin de nourrir les badauds ? Wilder poussera même le vice à avoir l'idée d'installer une véritable fête foraine sur le site avec ces gens naïfs et visiblement pas si attristés que ça du calvaire de notre homme bloqué. Il présente la population comme idiote, écervelée et inhumaine. Vous vous douterez bien que ces idées ne sont qu'une farce et ne sont rien d'autre qu'une représentation de la nature humaine hypocrite, se désintéressant complètement du sort du prisonnier et ne cherchant qu'à observer le malheur des autres, dans le but d'oublier leurs problèmes personnels et de se rassurer sur leur vie.
Pourtant, force est de constater que la farce nous met mal à l'aise et nous donne envie de rentrer dans le film pour tabasser un à un chaque personnage afin de leur remettre les idées en place et de balancer par la même occasion Tatum dans un puits de la galerie tellement celui-ci apparaît odieux, méprisant, hypocrite et inhumain jusqu'à un point tel qu'il n'hésitera pas à courtiser la femme du mineur et à être son amant. Ici aussi, Wilder nous crée une autre exagération où les pulsions primaires de l'être humains s'additionnent avec son besoin de célébrité et de narcissisme.
Attirer les regards et glorifier son égo. La recherche de la célébrité à tout prix quitte à y perdre son humanité pour renforcer son image personnelle. Et heureusement, les exactions de Tatum lui feront perdre peu à peu le contrôle de la situation.
Comme je l'ai dit avant, le réalisateur sait réaliser son film via des plans travaillés, des cadrages pensés, une mise en scène efficace tenant à la gorge et un jeu d'acteurs frôlant l'excellence en plus de nous offrir la superbe actrice Jan Sterling. A ce niveau, le film est un régal et se révèle être une véritable leçon de cinéma.
En conclusion, Wilder nous livre sur un plateau d'argent un film redoutable et qui créera inévitablement le débat. Virulent, incendiaire et terriblement nihiliste, c'est un vrai film choc que je vous propose aujourd'hui. Le genre de film qui marquera fortement son spectateur et qui le scandalisera mais aussi pourra lui prouver toute la bêtise humaine dans ce qu'elle a de plus pure. On peut décemment dire que le réalisateur n'y va pas par 4 chemins et ne se refuse aucune excentricité. Véritable fable néanmoins réaliste, je ne peux que recommander fortement ce film à tous les amoureux du 7ème art. Injustement trop méconnu compte tenu de ses qualités et c'est fort dommage, nous tenons ici assurément un chef d'oeuvre.
Note :18/20