Intrigue & personnage sont lies

Par William Potillion @scenarmag

L’intrigue et l’histoire c’est-à-dire l’événement et le personnage, sont intimement liés. L’un entraîne l’autre et en tant qu’auteur, vous devez comprendre pourquoi il est important de tenir compte de cette intimité parce que vous êtes responsables des rouages essentiels de votre projet. Vous êtes celui qui est en charge de qui et quoi fait tourner efficacement votre histoire.
Il doit y avoir un équilibre dans votre scénario entre l’intrigue et le personnage. L’un ne doit pas prendre le dessus sur l’autre sinon le lecteur risque d’être un peu confus.
Intrige et personnage, cela signifie un défi externe que doit relever un personnage mais aussi un tourment, un trouble qu’éprouve ce personnage.

Nous assistons à une synergie entre l’intrigue et le personnage. L’un crée l’autre et l’autre nourrit l’un afin de créer un tout (votre histoire). Que l’un de ces deux éléments dramatiques (l’intrigue ou le personnage) viennent à manquer ou à dysfonctionner et toute votre histoire s’effrondrera sur elle-même.
Les événements qui se déploieront perdront de leur puissance à soutenir l’édifice et surtout de ce potentiel naturel à accumuler une charge émotionnelle dynamique (qui se gonfle et se relâche périodiquement ce qui aide aussi à créer de la tension ).

Une histoire, ce sont des perles enfilées sur un collier. Si le cordon n’existait pas, les perles existeraient malgré tout comme suspendu dans l’éther. Mais vous n’avez pas de collier.
Reliez les perles entre elles en faisant en sorte que chaque scène existe seulement par ce qui s’est produit dans la scène qui l’a immédiatement précédée ou par des événements (c’est-à-dire des scènes) qui lui sont bien antérieures et vos lecteurs s’accrocheront fermement (c’est-à-dire essentiellement émotionnellement) à  votre histoire. C’est une règle de causalité que les scénarios se doivent de respecter.

Pour Peter Dunne, même si les événements précédents concernent d’autres personnages que ceux présents dans la scène actuelle, voire même un autre lieu, la causalité est possible grâce au contenu émotionnel de ce qui s’est passé et par lequel le présent se construit.

Puisque le jeu d’émotions contenu dans une scène précédente donne naissance à celui de la scène présente, le lecteur peut se connecter intuitivement à la signification profonde de votre histoire, c’est-à-dire sur un plan émotionnel. Pour que l’histoire fonctionne, il faut relier le lecteur à l’architecture émotionnelle de celle-ci.

Ce que vous avez à dire concernant votre histoire, la raison pour laquelle vous souhaitez la conter, se niche dans votre capacité à transcrire dans votre fiction cette part émotionnelle qui énergise l’élan, la poussée, la volonté d’écrire.

La transfiguration de votre personnage

L’intrigue doit mener à la transformation du personnage, à la transformation de sa personnalité. C’est un changement difficile à admettre. Personne, en effet, n’aime changer ce qu’il est ou plutôt ce qu’il est devenu comme le souligne Peter Dunne. Et ce qu’on est devenu est rarement la personne que nous voulions être.

C’est la même chose pour nos personnages. Ce changement inexorable ne se fera pas facilement et les luttes internes auxquelles ils devront faire face doivent être véritablement difficiles à vivre.
Après avoir été vaincu quelques fois, le personnage prendra enfin conscience de la nécessité de ses changements internes que lui avaient déjà par ailleurs présentés soit son mentor (si un tel archétype existe dans votre histoire), soit par d’autres personnages.

Bien sûr (puisque c’est dans la nature humaine), le personnage fera montre de quelques réticences face à ce changement. Il ne sera pas convaincu immédiatement (ou n’en sera peut-être même pas conscient) mais progressivement au cours de son aventure.
Cette transfiguration progressive de la personnalité du personnage se nomme son arc dramatique (et c’est un élément dramatique indispensable).

A la fin de votre histoire, votre héros devra être quelqu’un d’autre (généralement une meilleure personne). Le véritable acte héroïque en fin de compte est de réussir à devenir un être meilleur. D’ailleurs, le lecteur veut voir ce changement chez le héros et l’attend.
Au-delà de l’empathie que le lecteur ressent pour ce personnage, le voir surmonter ses problèmes et devenir meilleur peut créer un sentiment d’émulation réconfortant (l’identification à son paroxysme).
Le revirement de Rick Blaine dans Casablanca ou la rédemption de Jerry Maguire sont ainsi des concrétisations exemplaires d’un arc dramatique efficace.
Jerry Maguire a intelligemment construit le dilemme moral de Jerry en le forçant à choisir entre le succès professionnel et le succès en amour. Il a d’abord pris le risque de tenter de devenir un être humain meilleur dans un domaine professionnel où une telle chose est considérée comme une faiblesse. A partir de ce moment, ses efforts sont perçus autrement et pour le lecteur, il est plus important qu’il réussisse avec Dorothy que dans sa profession (où il excelle pourtant).

Cette lutte personnelle qui est en fait la véritable histoire (Peter Dunne insiste sur la différence entre l’intrigue faites d’actions et l’histoire qui conte un morceau de la vie intime d’un personnage) est intrinsèquement liée aux événements de l’intrigue.
Les actions dans l’intrigue permettent des découvertes sur le personnage. Le problème qui le mine de l’intérieur s’enracine souvent dans le passé du personnage. Les événements de l’intrigue vont solliciter la mise au jour des facteurs souvent enfouis dans le passé, dans l’histoire personnelle du personnage, pour permettre à celle-ci de se continuer avec une âme guérie de ses tourments.

Les deux lignes dramatiques (l’action ou Overall Story chez Dramatica et l’arc dramatique du personnage) sont enchevêtrées. Et ce que l’on nous donne à voir recèle les clefs de l’évolution du personnage.
C’est comme si l’on nous demandait de lire entre les lignes à cette différence près que les comportements, attitudes et postures du personnage nous révèlent des indices sur la transformation qui s’opère en lui.

Le Chekhov’s Gun

A chaque fois que vous introduisez un nouvel élément, une information nouvelle ou un nouveau personnage dans la vie de votre héros, assurez-vous qu’ils soient reliés d’une manière ou d’une autre avec une révélation future.
C’est le principe du Chekhov’s Gun. Tout doit avoir une portée significative soit avec l’intrigue, soit avec le personnage. Ainsi, tout élément aura un impact dramatique.

A lire sur le principe du Chekhov’s Gun :
RONALD B. TOBIAS : RETOUR SUR L’INTRIGUE

Chaque nouveau personnage, par exemple, qui vient interférer dans la vie de votre personnage principal est alors chargé d’informations qui sont autant d’indices sur certaines vérités qui se cachent sous l’apparence des choses.

Ce qui est intéressant avec le Chekhov’s Gun est qu’il met le lecteur (et le personnage principal) dans l’attente d’un événement inévitable. C’est une allusion (directe ou subtile) d’un événement ou d’une information futurs.

Au cours des réécritures, repérez tous les éléments qui ne renvoient à rien car ils surchargent inutilement votre histoire. De même que le principe de causalité, les liaisons entre éléments dramatiques doivent être verrouillées. Si un élément n’est lié à aucun autre, supprimez-le.

La complexité

Il est toujours utile de rechercher une certaine complexité. Cela enrichit l’histoire. Cela ne signifie pas que votre histoire doit être compliquée à comprendre mais seulement que les situations et les personnages sont complexes.
La différence entre complexité et complication est qu’une histoire compliquée est surchargée de dialogues inutiles, de scènes sans raison d’être et aussi probablement d’incohérences.

Peter Dunne ajoute que si vous proposez quelque chose comme un fait, il doit le rester quelque soit les circonstances. Dunne prend l’exemple d’un flic infiltré qui ne boit jamais d’alcool. Vous ne devez pas lui autoriser de faux pas s’il se trouve dans une situation où il ne peut faire autrement que d’accepter le verre qu’on lui tend. Vous devez trouver le moyen de lui faire respecter cette règle de vie même si cela met en danger sa propre vie.
Il ne faut donc pas tricher avec ses personnages , ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils ne peuvent pas agir immoralement, voir à ce sujet :
LA MORALITE DU PERSONNAGE
LE SENS DE L’ETHIQUE

Le passé du personnage

On peut considérer que le passé (plus ou moins récent) d’un personnage est égale à la définition de ce personnage.
Ce n’est pas tant ses relations actuelles aux autres personnages qui vont pouvoir expliquer qui il est. Les apparences recèlent une vérité bien plus profonde, bien plus enfouie qui détermine le personnage.

L’intrigue et le personnage sont liés. Ils sont en fait tissés l’un avec l’autre. Et ils le sont d’une manière organique c’est-à-dire que le personnage réagira aux événements non pas contre le plan de l’histoire mais de manière naturelle comme si l’auteur était à l’écoute de ses personnages.
C’est la structure psychologique du personnage qui répond aux événements (à l’action). L’auteur n’a alors pas besoin d’expliquer à son lecteur ce qu’il vient de voir. La structure interne du personnage doit être suffisante pour expliciter ses actions.

Considérons Witness.
Le premier lien séminal de l’arc dramatique de John Book est que le méchant de l’histoire est un collègue de John. Jonh Book ne peut donc gérer cette affaire comme il a l’habitude de le faire. C’est ainsi qu’il doit non seulement se mettre au vert pour préserver sa vie mais aussi celle de Samuel, le seul témoin de l’affaire.
A lire :
JOHN BOOK : WITNESS
Il a réagi viscéralement, par instinct de survie et même si son intention première n’est pas de rester parmi les Amish (la première réaction d’un héros est d’être toujours réticent à l’aventure quelque soit la forme que prend cette méfiance ou prudence), son séjour parmi eux est l’énergie qui alimentera la transformation progressive de sa personnalité.
Ce tout premier lien participe donc à la cohésion d’ensemble de l’histoire et justifie la présence de Book parmi les Amish. Cet immersion de John dans un monde qui lui est totalement étranger se fait malgré lui et il ne l’accepte que parce qu’il est persuadé qu’il pourra gérer les choses à sa manière habituelle et qu’elles retourneront à la normale. Il se trompe donc puisque les événements lui échapperont parce que ce n’est pas son arc dramatique de vaincre la corruption. Il doit apprendre à être un être meilleur en acceptant non pas seulement un monde différent du sien mais en comprenant cette communauté Amish et le partage et la confiance dans le travail avec les autres (confiance perdue à Baltimore). La dimension de cette transformation personnelle est donc bien universelle et ne se limite pas à la communauté Amish.

Afin de créer d’autres liens entre l’intrigue et le personnage, il est intéressant de créer des symboles visuels. C’est le cas du revolver de Book, un objet qui va permettre d’explorer des idées et des problématiques de l’histoire.
D’une manière générale, les armes sont des symboles ou des images communément employés dans les thrillers ou les histoires de crime. Dans le cas de Witness, il est utilisé pour rappeler le monde de violence dans lequel John doit survivre (même si cette arme ne le protège pas totalement). Pour Book, son revolver représente un mode de vie, il sent qu’il en a besoin (il le demande à Rachel pour descendre en ville, par exemple) et il ne peut tout simplement pas y renoncer comme il ne peut renoncer à son monde.
Pour les Amish, le revolver de John Book représente la menace globale du monde extérieur et comme l’explique Eli à Samuel, les Amish ne peuvent approuver de prendre une vie quelles que soient les circonstances.
Les liens peuvent s’inscrirent aussi dans la gestualité. Eli dit à Samuel de ne pas toucher aux choses impures. Lorsque Samuel joue avec le revolver de Book et que Rachel lui reprend des mains, elle le tient comme s’il s’agissait d’un rat mort ou plus symboliquement comme d’une chose impure.
C’est ainsi qu’il faut trouver le moyen de relier les scènes par quelque chose qui fait écho à quelque chose. Un ami nous a dit que c’était comme un effet miroir : quelque chose renvoie toujours à quelque chose quelle que soit la forme qu’emprunte ce quelque chose.
Le revolver est aussi symbolique de peur comme encore une fois le sage Eli le dit à Rachel :
You bring fear to this house. Fear of English with guns
Tu as apporté la peur dans cette maison. La peur de l’anglais avec des armes.

Afin d’apaiser Rachel mais aussi parce qu’il devient plus familier de la culture Amish et qu’il comprend mieux la différence entre les deux cultures, Book consent à remettre son revolver à Rachel.

Vous devriez meubler votre script avec ce type d’inventions surtout comme le dit Peter Dunne si elles sont en rapport avec la condition humaine. En effet, c’est à travers la condition humaine que des thèmes universels peuvent être reconnus et partagés par le plus grand nombre. C’est par ces thèmes subtilement introduits comme dans Witness que le lecteur peut s’immerger dans l’histoire à un niveau satisfaisant (dans le sens où il n’éprouvera pas de frustrations à la lire).
Vous devez rechercher un lien émotionnel entre les idées que vous allez coucher dans votre histoire.