Archetypes & fonctions dramatiques (1)

Créer des personnages archétypaux qui vont accomplir des  fonctions dramatiques spécifiques est peut-être un des aspects les plus méconnus de la création de personnages.
Dramatica est alors d’une grande aide pour comprendre l’importance des archétypes.Il est important qu’un personnage remplisse tout à fait une fonction dramatique, c’est-à-dire une fonction commune et vitale à la plupart des histoires.
Créer des personnages archétypaux n’est pas en soi un manque d’originalité ou un manque de confiance en soi. Il s’agit de répondre à des fonctions dramatiques et de s’assurer que ces fonctions soient bien incluses dans l’histoire afin d’enrichir cette dernière.

Chaque auteur a sa propre façon d’aborder la création de personnages.
Par exemple, le processus d’écriture pourrait commencer par l’invention d’un groupe de personnages qu’un auteur trouve intéressant, bien entendu. Puis, il imaginera des situations dans lesquelles il placera ses personnages ou bien il fera en sorte de les confronter à des problèmes qui les forceront à agir et à interagir.
C’est ainsi qu’au-travers des actions et des réactions, une intrigue émergera. Les personnages choisissent d’eux-mêmes en quelque sorte le rôle qu’ils vont jouer dans cette histoire et qui est, en fait, le même que ceux qui correspondent aux archétypes.
Cette méthode est bien sûr tout à fait créative et produit de bons personnages. Mais hormis le fait que de produire des archétypes, ou du moins à réfléchir à la création de ses personnages comme des archétypes, fait gagner du temps, cela évite surtout de créer des personnages qui n’ont aucune fonction dramatique dans l’histoire, aucune nécessité dramatique. Bien sûr, il suffit de les supprimer mais lorsqu’on a passé du temps avec un personnage, le faire soudain disparaître est une décision difficile.

D’autres auteurs commencent avec un sujet ou une question qu’ils veulent explorer. Ils choisissent une prémisse, ils ont une thématique ou une morale à délivrer. C’est le message qui leur importe.

A lire :
JOHN TRUBY : LA PREMISSE – PART 1
JOHN TRUBY : LA PREMISSE – PART 2
JOHN TRUBY : LA PREMISSE – PART 3
JOHN TRUBY : LA PREMISSE – PART 4

LA STRUCTURE THEMATIQUE EN TROIS PARTIES DE AI INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
LE THEME : ARGUMENTATION MORALE (1)
LE THEME : ARGUMENTATION MORALE (2)
LE THEME : ARGUMENTATION MORALE (3)

THEME & MESSAGE
UNE METAPHORE DYNAMIQUE

Puis ces auteurs créent des personnages  qui peuvent illustrer les différents points de vue, vivre des expériences ou adopter des attitudes relatifs au sujet choisi.

Ces méthodes fonctionnent sans aucun doute. Cependant, l’auteur risque de ne pas comprendre assez rapidement comment ses personnages fonctionnent dans l’histoire. Ils peuvent ne pas appréhender qui sera le personnage principal avant un bon moment du processus d’écriture et en fait, ces méthodes exigent davantage de révision.

Une autre méthode

Lorsqu’on a une idée et qu’on souhaite en faire une histoire, celle-ci sera axée autour d’un personnage spécifique (le personnage principal) et sur un problème particulier que ce personnage devra prendre en charge.

En faisant ainsi, vous pouvez écrire un synopsis ou simplement planifier votre histoire.  Vous découvrirez alors qu’il va vous falloir d’autres personnages pour que votre histoire fonctionne. Et pour que votre histoire fonctionne, il faut que des personnages spécifiques remplissent des fonctions dramatiques spécifiques et nécessaires.

Les personnages archétypaux ont ceci de remarquables qu’ils correspondent exactement aux fonctions dramatiques dont vous allez avoir besoin.

Prenons un exemple :
Un garçon orphelin est confié aux soins d’un oncle qui ne brille pas spécialement par ses qualités d’éducateur ou de père de substitution.
Mais ce pauvre orphelin est spécial et un sorcier ou bien un guerrier veille sur lui. Parvenu à un certain âge, le vieux sorcier explique au garçon ses origines, son véritable héritage et l’aidera à développer ses pouvoirs jusqu’à ce qu’il soit capable de venger la mort de son père.

Vous constaterez que nous avons là la base de l’idée derrière Star Wars, Harry Potter ou le Roi Arthur…

En décomposant, on s’aperçoit qu’il y a dans cette idée un certain nombre de personnages archétypaux mentionnés ou impliqués :
– Un orphelin
– Un oncle désarmé ou faible
– Un vieux et puissant sorcier ou guerrier
– Un méchant (celui qui as tué son père)

Nous apprenons aussi que le Story Goal (le but, l’objectif, la mission du personnage principal) est la vengeance.

A lire :
MOTIVATIONS : LA VENGEANCE

A lire :
QUESTIONS D’INTRIGUE – PART 1
QUESTIONS D’INTRIGUE (LA MOTIVATION) – PART 2
QUESTIONS D’INTRIGUE (DE LA DUPERIE) – PART 3
QUESTIONS D’INTRIGUE – PART 4
QUESTIONS D’ INTRIGUE – PART 5
QUESTIONS D’ INTRIGUE – PART 6

L’intrigue dépends donc entièrement du Story Goal mais le Story Goal est aussi le centre autour duquel les fonctions dramatiques s’articulent.

Dans notre exemple, le Story Goal est la vengeance. Il y a donc nécessairement un personnage qui va s’impliquer dans cette vengeance. Cette vengeance signifie quelque chose pour ce personnage et dans notre exemple, il s’agit de l’orphelin.
Pour créer de la tension dramatique, il doit y avoir aussi un autre personnage dont la fonction dans l’histoire est d’empêcher le personnage qui poursuit une telle quête de ne pas parvenir à aller jusqu’au bout de celle-ci. Cet autre personnage fera tout pour que le personnage principal (en charge du problème de l’histoire) échoue dans sa mission et ce faisant, il essayera de nuire au personnage. Cet autre personnage est le méchant de l’histoire, l’antagoniste.
Ces deux personnages (communément appelés protagoniste et antagoniste) sont en opposition dramatique. Ils ont des intérêts contradictoires. Le conflit naturel qui s’ouvre entre ces deux personnages est l’élément dramatique qui caractérise véritablement une histoire.

Le lecteur s’attend à un combat entre un héros et un méchant. Le héros et le méchant sont des archétypes mais pas des stéréotypes. Il existe une infinité de héros et de méchants offrant une telle variété qu’ils ne peuvent être des stéréotypes à moins que l’auteur n’ait décidé d’assumer le plagiat.

Mais pour qu’une histoire soit complètement développée, d’autres oppositions dramatiques doivent être créées au sein de celle-ci. Ces oppositions nouvelles sont illustrées par des fonctions dramatiques qui s’opposent ou se contredisent deux à deux. Chacune des fonctions ainsi élaborées sont effectuées par d’autres archétypes.
Dans notre exemple, le vieux sorcier et l’oncle du gamin ont une justification dramatique : le sorcier aidera le jeune orphelin à se préparer pour prendre sa revanche sur le méchant qui a tué son père et son oncle tentera de faire obstacle à cette initiation. L’oncle n’a pas les motivations du méchant dans sa relation au garçon. Il a un point de vue différent sur la façon de résoudre le problème de l’orphelin. Il va donc sincèrement tenter de le détourner de la voie à suivre. Une voie que le lecteur acquiesce mais cette fonction de l’oncle dans l’histoire a l’avantage essentiel d’enrichir l’histoire, de la rendre complexe (donc passionnante) sans pour autant la compliquer inutilement.
Et puisque ces deux personnages (ou archétypes) fonctionnent en opposition (et même s’ils ne sont pas en relation, s’ils ne se rencontrent jamais dans l’histoire), ils créent eux aussi de la tension dramatique.
Dans Star Wars, par exemple, ObI Wan Kenobi occupent la fonction du vieux sorcier qui aidera Luke à développer ses pouvoirs et de voler au secours de la Princesse (indirectement donc de mettre la Force au service des Rebelles, c’est le Story Goal) et l’oncle de Luke essaie de le convaincre de rester à la ferme pour des raisons tout à fait légitimes.

Et Dramatica identifie d’autres fonctions archétypales. Cette théorie en dénombre 16. Ce sont 16 fonctions de personnages qui s’opposent deux à deux formant ainsi huit paires formant chacune une opposition fondamentale dans l’histoire. La terminologie qu’emploie Dramatica est Motivation, dans le sens où cette motivation représente une force qui pousse un personnage à agir dans une direction précise. Les actes d’un personnage sont donc motivés.

D’après Dramatica, pour qu’une histoire fonctionne, pour qu’elle soit réputée complète, il faut :

  1. Un personnage qui poursuive un but (pursue). Il est généralement le personnage principal de l’histoire.
  2. Un personnage qui veut éviter que le but soit atteint (avoid). C’est généralement l’antagoniste, le méchant de l’histoire qui prend en charge cette fonction.
  3. Un personnage qui va aider le personnage qui suit un but, qui va soutenir et s’impliquer dans ses efforts. A noter que ce personnage a en charge d’éduquer aussi le personnage principal, de l’initier tel un précepteur, de lui apporter un code moral (help).
  4. Un personnage qui va tenter de détourner le personnage principal de son objectif (hinder). Dramatica donne l’exemple d’un champ de bataille. Un soldat (dont nous voyons la scène à travers ses yeux, son point de vue) sort de la tranchée. Soudain, face à lui, une silhouette se dessine. Le soldat ne peut déterminer s’il s’agit d’un ami ou d’un ennemi. La silhouette lui dit de ne pas aller tout droit car il y a un champ de mine. La silhouette lui conseille d’emprunter un autre chemin. Que doit croire le soldat ?
  5. Un personnage qui essaie de convaincre d’autres personnages de suivre une ligne de conduite, un plan d’action (consider). Il s’agit généralement du personnage principal. Vous notez que plusieurs fonctions peuvent être attribuées à un même personnage. Mais certaines fonctions habituelles chez un archétype donné peuvent aussi manquer chez un personnage, ce qui le rend plus complexe.
  6. Un personnage qui va tenter de faire changer d’avis les autres personnages sur le bien-fondé de la quête du personnage principal (y compris le personnage principal lui-même). Son idée est que les personnages reviennent sur leur décision de soutenir les efforts du personnage principal dans son but, sa mission (reconsider). L’intention déclarée est de nuire au personnage principal. Cette motivation est généralement celle de l’antagonsite.
  7. Un personnage qui est à la recherche d’une explication raisonnée, logiquement satisfaisante (logic). Dramatica dénomme cet archétype Reason. Il représente les qualités de logique et de maîtrise de soi (control). Cet archétype évalue les situations et agit ou prend des décisions sur la base seule d’une logique calme sans passion, sans émotion. C’est un personnage que l’on retrouve souvent dans les histoires mais avec lequel le lecteur éprouve quelques difficultés à trouver sympathique. C’est ainsi que l’archétype Reason est souvent modifié pour fournir plus de potentiel à une éventuelle empathie du lecteur. En particulier, il est rajouté au personnage un aspect émotionnel qui par nature n’appartient pas à cet archétype.
  8. Un personnage qui se laisse guider par ses émotions (feeling). Il répond à l’archétype que Dramatica nomme Emotion (ainsi Emotion s’oppose à Reason). Ce type de personnage est qualifié d’immodéré, d’effréné, qui ne se contrôle pas ou qui ne contrôle pas ses émotions (uncontrol). Cet archétype réagit passionnément aux tours que prennent les événements sans considérer les conséquences de ses actes ni s’il n’existait pas un autre moyen (certainement plus rationnel) pour obtenir ce qu’il veut dans une scène particulière ou des circonstances particulières.
  9. Un personnage qui est maître de soi (control). Cette fonction ou motivation à agir est souvent attribué à l’archétype Reason. Cette fonction permet au personnage de se concentrer sur une tâche précise ou un domaine d’expertise particulier à l’exclusion de toute autre chose.
  10. Un personnage qui apparaît effréné en toute chose (uncontrol). Habituellement, c’est une caractéristique réservée à l’archétype Emotion. Le personnage essaie de jongler ou de réagir à plusieurs choses simultanément. C’est un être relativement brouillon.
  11. Un personnage qui fait appel à la conscience ou au sens moral (conscience). C’est une fonction que l’on retrouve chez le personnage qui va aider le personnage principal. Le personnage qui occupe cette fonction se caractérise aussi par son abnégation capable de se priver ou de s’abstenir d’un bénéfice ou d’un plaisir immédiats à cause des conséquences possibles s’il relâchait sa maîtrise de lui-même, s’il se laissait aller.
  12. Un personnage qui va faire appel à la tentation (temptation). La tentation est la pulsion d’adopter toutes formes de bénéfice malgré les conséquences possibles. La tentation possède un véritable pouvoir d’attraction renforcée par la croyance que des conséquences négatives ne peuvent qu’être imaginaires ou bien facilement évitées. Bien sûr, il s’agit souvent de chimères et celui qui succombe à la tentation aura un prix à payer. Bien souvent, on pense que l’on peut éviter les conséquences négatives et l’on donne satisfaction à ses désirs. La tentation s’oppose donc naturellement à la morale, au code éthique.
  13. Un personnage qui supporte les efforts du personnage principal (support). Cet archétype est le sidekick. Nous devons cependant rajouter que l’antagoniste a aussi ses propres sidekicks, ses propres alliés (qui d’ailleurs peuvent se retourner contre lui). Ce cas de figure n’apparaît cependant pas très souvent du côté du héros qui bénéficie d’alliés fidèles. Ce support est indirect, il est fondamentalement différent de celui d’un mentor, par exemple. La fonction (ou motivation) support est ponctuelle. Il aide l’effort mais sans participation directe dans celui-ci. Dramatica donne l’exemple d’un personnage dont une des caractéristiques est help. Celui-ci va participer à creuser la terre. Le personnage qui possède la caractéristique support fournira une pelle mais ne creusera pas.
  14. Un personnage qui va s’opposer à l’effort. Il s’agit de dénigrement (oppose). Il est contre toute action. Pour lui, elles sont vouées à l’échec, il n’y croit pas. Il se prononce toujours contre tout. Cependant, cela ne l’empêche pas de participer à l’action. En effet, bien qu’il maugrée, il fait partie de l’action parce qu’il est loyal au personnage principal. C’est une relation semblable à celle qui unit Han Solo et Luke Skywalker. Il peut être aussi très utile pour l’auteur qui peut ainsi exposer ou explorer le côté négatif d’une action, d’un effort, d’une tentative.
  15. Un personnage qui va exprimer la foi, la conviction en quelque chose sans que cette chose ne soit prouvée. C’est la confiance en quelque chose qui sera donc vraie même et surtout si rien ne vient étayer cette vérité essentielle (faith).  La croyance est une puissante source d’inspiration à agir, à aller jusqu’au bout de n’importe quel but. Par contre, il est difficile d’argumenter avec cet archétype sur les raisons de sa foi puisque celle-ci ne s’appuie pas sur la logique ou la preuve. Le danger de la caractéristique faith est qu’elle ne permet pas de déterminer si des obstacles sont des signes ou non que la motivation à agir est juste (voire morale ou immorale) puisque ces obstacles apparaissent comme des tests, des épreuves qui doivent être surmontés par la foi inébranlable.
  16. Un personnage qui va exprimer l’incrédulité, le scepticisme, le doute (disbelief). Dramatica nomme cet archétype le sceptique (Skeptic). Le personnage est persuadé qu’une chose est fausse. L’incrédulité est différente du manque de foi. Le manque de foi est l’absence de confiance absolue en quelque chose qui est ou sera vraie. L’incrédulité (disbelief) est la confiance absolue en quelque chose qui n’est pas vraie. C’est un personnage qui marque un refus ferme d’accepter. Cette caractérisque ne devrait donc pas être attribuée au personnage principal qui bien qu’il refuse dans un premier temps l’appel à l’aventure (faisant montre ainsi d’une certaine incrédulité mais qui n’est en fait qu’une prudence), il finit toujours par accepter de prendre en charge son problème, c’est-à-dire de se lancer dans l’aventure.

 Votre intrigue sera mieux développée, plus entière (et donc plus satisfaisante pour le lecteur) si vous parveniez à créer des personnages qui remplissent ces 16 fonctions (ou le plus possible, du moins).
Si vous avez un personnage dont le rôle est d’aider le protagoniste (fonction help), essayez de voir si vous ne pourriez pas trouver le moyen de placer dans votre histoire un personnage qui va entraver la marche du héros vers sa quête (fonction hinder).
Si vous avez un personnage qui va inciter votr personnage principal à examiner son problème sous un angle logique (logic), tentez de rajouter un personnage qui présentera les faits ou la situation sous un angle hautement émotionnel (feeling).

Vous n’avez nul besoin (et votre muse s’en offusquerait certainement) de créer 16 personnages répondant chacun à une fonction. Un même personnage peut intégrer plusieurs de ces fonctions. Vous pourriez même avoir deux personnages avec les 16 fonctions réparties entre eux deux. Vous pourriez même avoir plus de 16 personnages en tenant compte de ceux qui vont peupler vos intrigues secondaires.

Deux conseils :

  1. Chaque fonction ne doit être exécutée que par un seul personnage à un moment donné. Si dans la même scène, deux personnages servent la même fonction, vous serez redondant. Dans une scène, deux personnages ne peuvent marquer leur incrédulité, par exemple.
  2. Aucun des personnages ne peut abriter deux fonctions qui font partie de la même paire dynamique. Une paire dynamique est constituée de deux fonctions qui s’opposent naturellement comme la foi et l’incrédulité, par exemple. L’orphelin de notre histoire ne peut rechercher à la fois la vengeance et agir contre cela.

Si votre personnage principal est en conflit avec lui-même, il faudrait alors créer deux facettes du personnage un peu à la manière de Jekyll et Hide ou bien du petit ange (conscience) et du petit démon (temptation).