Seconde partie de notre article sur les archétypes. Regroupons maintenant les fonctions dramatiques à l’intérieur des personnages archétypaux.
A lire (la première partie de cet article) :
ARCHETYPES & FONCTIONS DRAMATIQUES (1)
Dans le précédent article, nous avions vu que Dramatica distingue 16 motivations (ou fonctions ou encore caractéristiques) qui s’opposaient deux à deux pour créer des paires dynamiques (dynamiques parce qu’elles sont contradictoires par nature, ce qui crée un frottement, un élan, une force donc de la tension).
Dramatica sépare les 16 fonctions en
. Action characteristic
. Decison characteristic
Les Action characteristics sont comme le nom l’indique des actions. Par exemple, une caractéristique communément attribué au protagoniste est pursue.
pursue résume la motivation à agir du protagoniste, à vouloir atteindre son but (et avec une volonté incoercible, d’ailleurs).
Les Decision characteristics décrivent des attitudes. Notre protagoniste reçoit souvent une caractéristique qui est consider, c’est-à-dire qu’il va inciter, exhorter voire conseiller les autres personnages à considérer la nécessité de réaliser l’objectif. C’est son attitude la plus évidente par rapport à autrui.
Si la Decision characteristic est une attitude, alors la Action characteristic est à voir comme une approche, une façon d’être au monde… On pourrait même l’assimiler à un masque social puisque cette Action characteristic est visible de tous et partout et ne révèle en rien la psyché du personnage, ce qui se passe en lui.
Dramatica identifie 8 archétypes et les 16 fonctions sont distribuées deux à deux parmi les 8 archétypes.
Ce qui est intéressant avec cette répartition des caractéristiques entre les personnages archétypaux, c’est que l’opposition, la contradiction des caractéristiques permet de définir des conflits ou du moins une dissonnance dans les intentions (sans conflit direct) naturels entre les personnages.
Les 8 archétypes fonctionnent en paires dynamiques :
Le protagoniste (pursue, consider) & l’antagoniste (avoid, reconsider)
Le protagoniste est convaincu du bien-fondé de sa quête et de l’importance de la compléter alors que l’antagoniste va tenter de convaincre le protagoniste de renoncer à cette quête et il tentera tout pour que cette dernière échoue.
Le Guardian (help, conscience) & le Contagonist (hinder, temptation)
Le Guardian est un autre nom pour le mentor. Nous vous conseillons de lire à ce propos l’étude de Christopher Vogler sur les archétypes.
CHRISTOPHER VOGLER : ARCHETYPES (1)
CHRISTOPHER VOGLER : ARCHETYPES (2)
Le Guardian est effectivement une sorte de précepteur qui doit essentiellement préparer le héros à affronter son ennemi (du moins à faire face au plus grand défi de sa vie de héros). Obi Wan Kenobi est un exemple souvent cité. Merlin est aussi un excellent Guardian.
Le Contagonist est un terme spécifique à Dramatica. Cet archétype retarde le protagoniste dans sa quête. Il ne cherche pas à lui nuire mais il le tente dans le but qu’il abandonne sa quête. Le Contagonist peut être aguicheur, séducteur… Il est aussi souvent confondu avec l’archétype du Trickster.
ARCHETYPE : LE TRICKSTER
Reason (logic, control) & Emotion (feeling, uncontrolled)
Par exemple, dans la série originale Star Trek, le Capitaine Kirk a habituellement deux conseillers. L’un d’entre eux est le personnage archétypal Reason (Spock) qui adopte une approche logique dans la résolution du problème actuel et qui semble contrôler ses émotions. Et l’autre est le personnage archétypal Emotion (Docteur McCoy) qui fait appel aux sentiments de Kirk et essaie de le convaincre de prêter attention à plus que le seul but de la mission.
On peut généralement considérer que l’archétype Reason est rationnel et maître de soi alors que Emotion est plus irrationnel, à fleur de peau et est susceptible d’emportements passionnés.
Le Sidekick (support, faith) & le Skeptic (oppose, disbelief)
Le Sidekick apporte soutien (de moindre portée que le Guardian cependant) et loyauté. Il peut être un ami du protagoniste ou de l’antagoniste (le méchant a aussi ses sbires). Il peut même être le chien de votre héros si cet animal à une signification dans l’histoire.
Dans le cas de Rintintin, le sidekick était Rusty ; même motif chez Flipper…
Le Sidekick approuve tous les plans du héros et il est stoïquement persuadé qu’il réussira dans ses entreprises. Le sceptique (Skeptic) est quant à lui un parangon de pessimisme. Il s’oppose sytématiquement aux plans et idées du héros mais cependant, contrairement à l’antagoniste, le Skeptic est un individu fidèle au protagoniste. Un bon exemple est la relation qui unit Han Solo à Luke.
Tant que vous utilisez ces archétypes pour créer vos personnages et que vous les habillez sous des formes qui vont s’adapter à votre histoire, vous n’êtes pas dans le stéréotype.
Prenez l’exemple du Guardian. On l’imagine aisément en un vieillard, un vieux sage… Faites-en un enfant si votre histoire s’y prête. De même, le Contagonist peut être aussi bien une jeune femme qui tente de détourner le héros en lui offrant son corps tout comme il peut être un homme qui propose au protagoniste un bakchich pour qu’il ferme les yeux sur un acte indélicat (alors que ce n’est pas dans la nature du héros de se voiler les yeux).
Et dites-vous que le lecteur n’est pas blasé à revoir les mêmes fonctions dramatiques éternelles et universelles (enfin, pour l’universalité, cela dépends aussi de la culture). Tant que vous faîtes endosser à vos archétypes une façade et une profondeur quelque peu originaux, le lecteur sera satisfait.
Dramatica va au-delà aussi de l’archétype dans ce que la théorie nomme des personnages complexes. Un personnage devient complexe lorsque les 16 fonctions dramatiques que nous avons énumérées dans l’article précédent ne sont pas distribuées naturellement entre les archétypes. Les personnages se voient alors attribués des fonctions qui appartiennent normalement à un archétype auquel ils ne correspondent pas. Vous pourriez ainsi avoir un personnage qui se contrôle émotionnellement et qui tente cependant de détourner le protagoniste de son objectif. Complexifier ainsi vos personnages peut les rendre moins prévisibles.
Prenons un exemple :
Une jeune femme, la trentaine, cadre supérieure dans une grande entreprise, ne vit que pour son travail. Un jour, cependant, une soudaine révélation se fait jour dans son esprit lorsqu’elle apprend la mort de sa vieille tante, une vieille fille qui est morte seule, sans personne pour l’accompagner. Notre cadre décide donc d’avoir une famille avant qu’un destin aussi lamentable que celui de sa tante ne lui soit pas épargné.
Son plan consiste donc à trouver l’amour et pour cela, elle commence par s’inscrire à des clubs de rencontre. Elle va même jusqu’à refuser une promotion qui l’aurait obligée à voyager davantage lui laissant peu de place pour vivre avec un homme.
Chacune de ses rencontres tourne au désastre. Son travail exige beaucoup d’elle ce qui la met dans une humeur qui ne facilite pas non plus le bon déroulement des rencontres.
Au fil de ses expériences, elle commence à réaliser cependant que son travail détruit la vie de famille et les relations sociales que peuvent avoir les employés hors du bureau et elle commence alors à éprouver une sympathie, voire une compassion, envers les personnes de son bureau qui cherchent à améliorer les relations au travail. Un comportement qu’elle avait toujours méprisé.
Déterminons les archétypes :
- La protagoniste est de toute évidence notre jeune femme, cadre dans une grande entreprise.
- La vieille tante est probablement le Guardian car notre héroïne a reçu en héritage une lettre de sa tante lui enjoignant d’avoir une famille et une vie en-dehors du travail. En lui offrant ses dernières volontés, cette vieille tante a agi comme une catharsis sur notre personnage principal lui permettant de révéler une vérité trop longtemps enfouie.
- Le Contagonist est son travail incarné dans l’image de son supérieur qui lui offre une promotion qui ne peut que l’éloigner de son objectif, c’est-à-dire de trouver l’amour et de vivre une vie pleine et heureuse au sein d’une famille.
- L’antagonisme est aussi son travail mais cette fois incarné par le président de la compagnie qui l’emploie. C’est lui qui décide de la politique de l’entreprise qui arrache ses employés de toute vie sociale et familiale (c’est d’ailleurs le thème de ce synopsis). La relation entre le supérieur de notre héroïne et le président de la compagnie peut être assimilée à celle qui existe entre Darth Vador et l’empereur Palpatine, par exemple.
- Reason & Emotion sont peut-être les plus délicats à inventer. Nous avons précisé dans le synopsis que toutes ses rencontres avec des hommes étaient désastreuses. Reason et Emotion pourraient permettre d’illustrer la cause de ces échecs. L’un des rendez-vous pourrait lui faire une proposition de mariage basée sur la logique (le mariage est une institution, il est plus facile d’obtenir des prêts pour s’acheter une maison lorsqu’on est marié…). Cela interpelle le côté rationnel de notre personnage principal (ce qui la caractérise aussi sur le plan professionnel) mais malheureusement, elle ne ressent rien pour lui, ce n’est pas quelqu’un pour qui elle éprouverait une réelle affection.
Un autre rendez-vous pourrait strictement faire appel aux émotions de notre héroïne (en évoquant un bébé dans un berceau, par exemple) mais le manque de rationalité (cet homme ne semble pas avoir vraiment les pieds sur terre) choque notre protagoniste.
Ainsi, aucun des deux ne l’attire vraiment et la relation s’arrête. - Le sceptique (Skeptic) pourrait être un de ses collègues avec lequel notre héroïne s’entend le mieux et qui en toute sincérité balaierai d’un revers de la main sa folle idée de trouver l’amour. Mais pris au jeu, il pourrait l’accompagner discrètement à ses rendez-vous et lui donner un avis sur ses rencontres.
- Le Sidekick est le personnage qui pourrait enrichir l’histoire. Il serait un ami sincère qui connait notre héroïne depuis l’enfance ou dont l’amitié remonterait à leurs études. Notre héroïne n’aurait simplement pas vu que cet ami est secrètement amoureux d’elle depuis toutes ces années. Bien que cela le déchire, il soutient la jeune femme dans sa recherche désespérée de rencontrer l’amour jusqu’à ce que cette dernière a enfin l’illumination que le véritable amour de sa vie a toujours été là, dans cette silhouette dont elle avait éminemment besoin mais qu’elle n’avait jamais identifiée comme étant cet amour qu’elle s’était toujours refusé au profit de sa carrière.
L’usage des fonctions dramatiques (réparties entre les archétypes ou distribuées de façon à créer des personnages complexes) crée des oppositions et de la tension ce qui ajoute à la valeur dramatique de l’histoire et par là, renforce l’engagement émotionnel du lecteur.